INTERVIEW > L’Idel Sarah Guerlais, 35 ans, diplômée en 2001, est une figure de la profession, qu’elle a représentée via le collectif Ni bonnes ni nonnes ni pigeonnes (NBNNNP) sur les plateaux de télévision. Aujourd’hui, elle raccroche. Et s’en explique pour notre magazine.
S.G. : Ce n’est déjà pas simple de faire ce métier physique, d’être tout le temps dehors, en mouvement. Mais si, en plus, on ne peut plus accéder au domicile du patient… Le jour où vous recevez les PV, vous avez l’impression qu’on vous empêche de travailler. Par ailleurs, même en me formant chaque année, je ressens une lassitude liée au fait de ne pas apprendre. Malgré de nouvelles rencontres, le travail se répète. Et à plusieurs dans le cabinet, il faut toujours assurer la continuité des soins sept jours sur sept. Même avec un réseau, on est assez isolé. Exercer en libéral m’avait réconciliée avec la profession, en raison de l’autonomie, sans pression hiérarchique. Cette profession, je l’ai aimée, je l’aime toujours. Mais trop de choses négatives prennent le dessus.
S.G. : Pendant dix-huit mois, je me suis beaucoup investie. C’est fatiguant physiquement. Et je me suis fait une raison, face à la difficulté à faire bouger les collègues et à obtenir des résultats. La parole s’est un peu déployée, mais cela ne suffit pas. Il y a une résignation collective sur l’évolution et la reconnaissance de la profession. Nous manquons d’exigences. En acceptant certaines choses, nous sommes les premières responsables de la situation, qui se délite progressivement dans l’hospitalisation publique et privée. J’ai quitté l’hôpital au moment de la mise en place de la tarification à l’activité. Les conditions de travail ne correspondaient plus à mon éthique de soins.
S.G. : D’abord, réviser la nomenclature en créant des lettres-clés pour les actes non pris en charge, surtout au près des personnes âgées dépendantes. On se débrouille avec la démarche de soins, mais il faudrait reconnaître la prise de constantes, la pose de bas de contention, l’administration d’un collyre. Le temps passé à l’éducation du patient n’est pas payé. Pour les libérales, une grève serait plus compliquée ; elle est une prise directe sur les revenus. On avait parlé de ne plus accepter de nouveaux patients, mais l’idée de ne pas prendre les gens “en otage” s’est imposée. NBNNNP compte [proportionnellement] beaucoup de libérales [à sa tête]: malgré certaines journées plus chargées, elles ont déjà quitté l’institution hospitalière et peuvent prendre position sans pression. Chez les sympathisants, en revanche, la part des libérales est assez représentative de la réalité. Je continuerai de suivre NBNNNP. Je ne suis pas résignée. Infirmière, cela fait partie de mon identité.
S.G. : En libéral, on découvre tout sur le terrain, en termes de gestion. Nous avons rencontré énormément de candidats, dont beaucoup quittaient l’hôpital mais reculaient en réalisant l’ampleur des contraintes au quotidien, en charges administratives, en télétransmissions. Comme si le libéral était une planque! Aujourd’hui, des gens cherchent, tâtonnent. À l’image de la profession, qui ne sait pas trop ce qu’elle veut. Pourtant, notre proposition était clé en main, avec l’assurance d’un revenu même si le patient est libre de son choix. Nous avons finalement trouvé une personne très rodée, libérale depuis vingt-sept ans.
S.G. : Je commence une formation pour travailler dans l’édition. En libéral, pour se reconvertir, il faut s’arrêter, sinon on n’a pas le temps. J’ai la possibilité de prendre une année, j’ai envie d’essayer.
À lire aussi, un commentaire p. 8, et l’interview sur espaceinfirmier.fr, notamment sur l’inertie de la profession, à la date du 17 septembre.