La Cour des comptes, cet été, a préconisé de généraliser à toutes les professions de santé le “conventionnement sélectif” (conditionnel) en zones surdotées.Cette limitation de la liberté d’installation concerne les infirmières depuis 2009. À l’incitatif, faut-il ainsi, pour tous, ajouter enfin plus de restrictif ?
Médecin, président de l’Union nationaledes professionnels de santé (UNPS)
L’accord de 2008 entre les syndicats infirmiers et l’Assurance maladie sur la régulation démographique est-il une bonne mesure ? Cet accord avait été un troc. Le directeur de l’Assurance maladie, négociateur habile, avait dit aux syndicats infirmiers : « Si vous voulez une augmentation significative de vos lettres clés, en échange, nous mettrons un frein à la liberté d’installation. » Le frein a été supportable, sinon les syndicats infirmiers n’auraient pas signé. Cela pose quand même certains problèmes : aujourd’hui, une jeune infirmière qui veut s’installer en Paca doit attendre qu’une autre parte à la retraite. C’est une prime aux anciens car cela valorise leurs cabinets mais en pénalisant les jeunes. Il y avait eu un accord similaire avec les kinésithérapeutes, qui a été annulé en Conseil d’État [en mars 2014]
L’approche de la question démographiquede Marisol Touraine est-elle intéressante ? Tout ce qui est incitatif est bon, comme la garantie de revenus minimaux pour les généralistes en zone déficitaire. Il faut pouvoir s’adapter aux régions. Dans la précédente convention médicale, on avait prévu une majoration d’honoraires pour les généralistes des zones déficitaires. Il faut une palette de mesures pour séduire les professionnels de santé et leur donner envie de s’installer partout.
La Cour des comptes et certains députés dénoncent les limites de l’incitation.Que préconisez-vous ? Ce sont souvent des gens qui sont très loin du terrain et leurs propositions sont en décalage. À l’inverse, les différents ministres de la Santé depuis dix ans ont toujours compris l’intérêt d’une approche basée sur l’incitation. Il ne faut pas oublier que chaque fois qu’on a parlé de contrainte, les étudiants sont descendus dans la rue en masse !
Je pense aussi que si on arrive à valoriser la coordination des soins entre les professions de santé libéraux – comme ce que nous sommes en train de faire dans la négociation entre l’UNPS et l’Uncam – ce sera un élément de motivation supplémentaire pour faire venir les professionnels dans les zones déficitaires.
Chargée de mission Assurance maladie au Collectif interassociatif sur la santé (CISS)
L’accord de 2008 entre les syndicats infirmiers et l’Assurance maladie sur la régulation démographique est-il une bonne mesure ? Très clairement oui, bravo les infirmières ! C’est un modèle qu’on aurait aimé voir repris pour les médecins notamment. Le bilan de l’accord infirmier semble plutôt positif : il y a eu un rééquilibrage territorial. Après ce succès, l’Assurance maladie a voulu le décliner à d’autres professions, en particulier les kinésithérapeutes. Le Conseil d’État l’a annulé, mais cela devrait pouvoir être réparé.
L’approche de la question démographiquede Marisol Touraine est-elle intéressante ? Il y a un article dans la prochaine loi de santé qui prévoit que les conventions nationales entre l’Assurance maladie et les syndicats de professions de santé pourront être adaptées au niveau régional. Il pourrait y avoir des contrats-types qui permettraient de favoriser l’installation dans certaines zones, mais on ne sait pas encore concrètement comment cela va se décliner. Aujourd’hui, le conventionnement sélectif des professionnels de santé en fonction des besoins de santé de la population n’existe pas, ce qui est dommage. Le bilan des contrats incitatifs qui ont été proposés aux médecins n’est pas très probant, parce qu’ils n’étaient pas assez ambitieux ou attractifs. Difficile de savoir si la loi sera efficace, mais on pourrait commencer par s’inspirer de ce qui a marché chez les paramédicaux.
La Cour des comptes et certains députés dénoncent les limites de l’incitation. Que préconisez-vous ?
La première chose à faire serait de rendre les schémas régionaux de l’offre de soins ambulatoires opposables, comme c’est déjà le cas pour les établissements. On ne peut pas construire un hôpital ou une clinique ou même ouvrir des lits sans l’autorisation de l’Agence régionale de santé. Mais on ne peut toujours pas empêcher un médecin de s’installer où il veut, en particulier lorsqu’il choisit des territoires déjà surdotés par exemple. Les médecins sont très crispés sur la liberté d’installation. Pourtant, ils risquent ainsi d’y perdre, notamment avec le développement de la délégation de tâches. Une autre façon d’envisager la question est de réfléchir aux évolutions des modes de rémunération des libéraux. Pour les médecins, il faut développer le paiement au forfait et à la capitation pour que ce soit plus intéressant pour eux d’exercer dans les zones déficitaires.
*Au motif que ce conventionnement sélectif n’avait pas été permis par la loi. l’exercice au quotidien