L'infirmière Libérale Magazine n° 308 du 01/11/2014

 

DIFFICULTÉS FINANCIÈRES

Votre cabinet

Me Geneviève Beltran*   Véronique Sokoloff**  

L’infirmière libérale est un entrepreneur individuel. Ses créanciers professionnels et personnels peuvent saisir indifféremment ses biens professionnels et ses biens personnels. Toutefois, divers instruments juridiques permettent de mettre à l’abri son habitation principale des poursuites des créanciers. Passons-les en revue.

Le choix du régime matrimonial

Pour l’entrepreneur marié, le choix judicieux d’un régime matrimonial peut lui permettre de soustraire certains biens du gage des créanciers.

La communauté réduite aux acquêts

Précisons tout d’abord que le régime matrimonial légal, à savoir celui qui régit les unions dès lors qu’aucun contrat de mariage notarié n’a été passé, est le régime de la communauté réduite aux acquêts. L’article 1413 du Code civil prévoit que « le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf récompense à la communauté s’il y a lieu ».

Par conséquent, le paiement des dettes professionnelles contractées pendant le mariage peut être poursuivi sur les biens communs. Seuls les biens propres du conjoint sont à l’abri des poursuites des créanciers professionnels.

La séparation de biens

Il est dès lors préférable d’opter pour le régime de séparation des biens, beaucoup plus protecteur du patrimoine familial. Dans ce régime, il n’existe pas de masse commune et chaque époux a un patrimoine personnel. Il reste donc tenu, seul, de ses dettes, qu’elles soient contractées avant ou pendant le mariage (article 1536 alinéa 2 du Code civil). Les époux ne sont solidaires que des dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants (article 220 du Code civil). Les créanciers professionnels de l’époux entrepreneur ne peuvent alors agir que contre le patrimoine personnel de ce dernier à l’exclusion de celui de son conjoint. Si des biens sont acquis en indivision par le couple, les créanciers de l’entrepreneur pourront provoquer le partage afin d’obtenir le paiement de leurs créances. Il peut être tentant de mettre certains biens au nom du conjoint n’exerçant pas d’activité entrepreneuriale, mais des déconvenues peuvent apparaître en cas de séparation…

La participation aux acquêts

L’entrepreneur peut opter pour un régime de participation aux acquêts, qui fonctionne comme un régime de séparation de biens pendant le mariage : les créanciers professionnels ne pourront agir que contre les biens personnels de l’entrepreneur. À la liquidation du régime, les richesses créées pendant le mariage sont partagées à parts égales. La participation aux acquêts peut toutefois être limitée aux biens privés en insérant une clause d’exclusion des biens professionnels. Le contrat de mariage exige de passer devant un notaire. Les époux peuvent opter pour le régime qui leur apparaît le mieux correspondre à leur situation. Cette option peut se faire lors du mariage ou ultérieurement après deux ans d’union.

Le choix d’un régime matrimonial peut donc s’avérer être un outil efficace de protection du patrimoine de l’entrepreneur.

La fiducie

La fiducie est un contrat par lequel une personne (le constituant) transfère tout ou partie des biens qu’elle possède à une autre personne (le fiduciaire) dans l’intérêt d’un bénéficiaire. Le bénéficiaire et le constituant peuvent être la même personne. Il s’agit d’un transfert de propriété limité dans son usage et dans le temps. Les parties sont libres d’en fixer la durée. Les biens transférés en fiducie peuvent être laissés en jouissance au constituant. Une des formes de la fiducie, la fiducie-gestion, permet de faire gérer ses biens et de les soustraire du gage général des créanciers. Lorsque l’objet du transfert en fiducie relève d’une communauté entre époux ou d’une indivision, le contrat de fiducie doit être établi par acte notarié.

La déclaration d’insaisissabilité

La déclaration d’insaisissabilité permet de mettre à l’abri des poursuites des créanciers professionnels l’habitation principale (en pleine propriété, en usufruit ou en nue propriété) ainsi que tout bien foncier bâti ou non bâti. Ces biens immobiliers peuvent être propres à l’entrepreneur, communs aux époux ou en indivision.

Par ailleurs, si le bien est également utilisé pour un usage professionnel, seule la partie destinée à l’habitation peut être protégée. La déclaration d’insaisissabilité doit être établie devant un notaire et publiée au bureau des hypothèques du lieu du bien.

En ce qui concerne les professions libérales, un extrait de la déclaration doit être publié dans un journal d’annonces légales du département dans lequel est exercée l’activité professionnelle. L’intérêt de cette déclaration est que les créanciers ne pourront pas saisir les biens mentionnés dans la déclaration d’insaisissabilité. Bien entendu, ne sont concernées que les dettes nées après la publication de la déclaration. Les créanciers professionnels dont la créance est née avant et les créanciers personnels de l’entrepreneur conservent quant à eux le droit de saisir les biens immobiliers déclarés insaisissables. Si l’habitation principale protégée est vendue ultérieurement, le prix de la cession ne pourra pas être saisi par les créanciers professionnels dont les droits sont nés après la publication de la déclaration, sous réserve que le produit de la vente soit réemployé dans un délai d’un an pour l’achat d’une nouvelle résidence principale.

L’EIRL

Il est également possible d’affecter une partie de son patrimoine privé à son activité professionnelle. Le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) permet aux professionnels de séparer leur patrimoine privé de leur patrimoine professionnel. Pour cela, il suffit de déposer une déclaration d’affectation au greffe du tribunal de grande instance du lieu de l’établissement principal. La déclaration comportera notamment un état descriptif des biens, un rapport d’évaluation en cas d’affectation de biens d’une valeur unitaire supérieure à 30 000 euros établi par un expert. Ce dernier peut être un notaire – pour les seuls biens immobiliers –, un expert comptable, un commissaire aux comptes ou une association de gestion et de comptabilité. L’entrepreneur peut affecter des biens communs ou indivis à son EIRL. À cet effet, il devra obtenir l’accord exprès de son conjoint ou de ses coindivisaires. Dans le cadre de son activité, il devra systématiquement solliciter l’accord de l’autre pour la conclusion de n’importe quel emprunt ou cautionnement : à défaut, le bien commun affecté pourrait servir de gage aux créanciers professionnels.