En secteur rural, Aline et Vincent Caruel, un couple d’infirmiers libéraux, ont créé leur propre maison de santé. Ils en ont ouvert les portes en mai, avec un ambulancier et une dentiste. Et une originalité dans ce type de projet : sans médecin généraliste. En toute autonomie.
Sous les nuages des Ardennes, il n’y a pas que les cerisiers qui ont fleuri au printemps. Entre l’école et la brasserie de Launois-sur-Vence, petite commune de 800 habitants, une maison de santé a surgi dans le paysage. Rien de très inhabituel, dans un contexte général de vieillissement de la population et de désertification médicale en milieu rural. Sauf qu’à l’origine du projet se trouve un couple d’infirmiers libéraux, Aline et Vincent Caruel. Ces Ardennais ont révolutionné l’ordre “habituel” des choses, à savoir : un médecin sinon rien ! Ils ont retroussé leurs manches et créé de toutes pièces leur outil de travail, en fonds propres et avec une bonne dose d’huile de coude, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Charleville-Mézières. Le 1er mai, la maison de santé pluridisciplinaire a ouvert ses portes.
Mais revenons d’abord quelques années en arrière… « Je suis devenu infirmier après avoir fait une tentative à la faculté, en sciences éco, puis en biologie », confie Vincent. En effet, après ces deux années d’études, qui lui permettent de croiser la route d’Aline, alors inscrite en histoire, il tente le concours de la Poste ainsi que celui de l’Ifsi. Reçu aux deux, il choisit le soin. Il a trouvé sa voie. Diplômé en 1999, il s’engage en 2001 comme sapeur-pompier infirmier volontaire à Hirson, dans l’Aisne, où il travaille à l’hôpital. En 2008, il bifurque vers l’enseignement, à l’Ifsi de Laon, ville où il exerce aux urgences pendant quatre ans. « J’ai aimé le contact avec les étudiants et, comme j’étais “faisant-fonction”, j’ai tenté l’école des cadres de Reims. Mais j’ai abandonné, Aline était enceinte de notre deuxième enfant. » Pour se rapprocher de sa famille, en 2009, il prend un remplacement en libéral à Charleville-Mézières. Une expérience d’autonomie qui lui plaît et lui donne l’idée de créer, un jour, son propre cabinet.
Parallèlement, Aline vit aussi ses propres expériences : deux ans de faculté d’histoire, deux années de formation d’assistante vétérinaire pour un premier poste dans les Vosges, où elle apprécie sa fonction auprès des animaux, chiens et chats. Mais elle souhaite revenir dans les Ardennes et devenir, elle aussi, infirmière. Elle décroche son diplôme en 2005. La boucle est bouclée.
Les défis ne leur font visiblement pas peur. Alors, après trois ans dans un service mobile d’urgence et de réanimation et un an aux urgences, Aline quitte le centre hospitalier de Charleville-Mézières pour assumer l’exercice à domicile. « Avec deux enfants dont un en bas âge, les horaires de l’hôpital sont parfois difficiles à vivre. » En novembre 2010, Aline crée son cabinet à Launois-sur-Vence, « un petit local un peu caché et vieillissant, loué à la mairie ». La première année, le temps de lancer le cabinet, Vincent conserve ses remplacements habituels pendant qu’un autre infirmier seconde Aline. « Depuis, Vincent est mon remplaçant, s’amuse Aline. C’est une petite patientèle, vingt-cinq à trente passages par jour, dont quinze à vingt patients chroniques. »
Une fois l’installation menée à bien, leur projet de nouveau local est prêt à éclore. « Au bout de deux ans, j’ai cherché autre chose, témoigne Aline. Construire semblait plus facile. Finalement, nous avons décidé de partir sur cinquante mètres carrés pour un cabinet infirmier ou sur cent mètres carrés en s’associant avec d’autres professionnels de santé… » Dans la famille, le côté pragmatique est bien assis, comme en témoigne Vincent : « Quand il a fallu choisir où créer le cabinet d’Aline, j’ai pris une carte. J’y ai reporté les cabinets infirmiers existants dans les environs de Warnécourt où nous habitons, à mi-chemin entre ici et Charleville-Mézières. Une zone déserte est apparue, avec pour centre Launois-sur-Vence. Et, dans un périmètre de quinze kilomètres alentour, il existe trois villes d’un millier d’habitants. »
En 2012, « quand l’idée de construire une maison pluridisciplinaire a émergé, nous avons rencontré les banques. Sans médecin, il n’y a aucune subvention possible de la part des pouvoirs publics et/ou de l’Agence régionale de santé », indique Vincent. En revanche, la mairie est réceptive. Le dernier généraliste est parti dix ans auparavant et les élus ont tenté de monter une maison de santé sans succès, n’ayant pas réussi à attirer un nouveau praticien. « Il leur restait le terrain », résume Vincent qui, pour adapter le concept à leurs besoins, visite deux maisons de santé existantes. Au mois de novembre, les plans d’un édifice de plain-pied de cent mètres carrés, comprenant quatre bureaux de quinze à vingt mètres carrés chacun, sont déposés. Le terrain (1 100 m2) est acheté à la mairie. Budget global : 150 000 euros, dont un apport personnel de 30 000 euros, le reste remboursable sur dix ans. « Nous avons fait appel à un architecte car nous nous trouvons dans le périmètre d’un monument classé. C’est aussi plus prudent, avec les normes à respecter pour un établissement recevant du public. À cela, il faut ajouter l’intervention du géomètre, la création d’un local électrique, etc. Hors construction du bâtiment, il y en a déjà pour 30 000 euros », informe Vincent. Pour faire baisser la facture, le couple n’hésite pas à s’engager dans l’autoconstruction. Les week-ends, soirées et jours de repos, Aline et – surtout – Vincent les consacrent à de nouvelles fonctions : maçon, charpentier, plombier, peintre, etc. « Avant, j’avais un peu bricolé pour notre maison, mais rien de comparable. La famille a donné un coup de main, notamment mon cousin qui est de la partie », commente ce dernier.
En amont, « nous avons envoyé un courrier à tous les professionnels de santé dans les vingt kilomètres à la ronde : une quinzaine de médecins généralistes, des sages-femmes, des diététiciens… », explique Vincent. Rien de concret en retour. Alors, en décembre 2012, le couple dépose une annonce en ligne, sur leboncoin.fr : « Un opticien, une sage-femme, trois diététiciens, et aussi un certain nombre de professionnels alternatifs nous ont contactés ou encouragés. Mais nous voulions des professions avec un diplôme d’État. Les petites surfaces éloignaient les kinésithérapeutes. D’autres voulaient y entrer tout de suite… », explique-t-il.
Tel quel, le projet est viable, et avance. En avril 2013, la première pierre est posée. Le couple ne manque pas de ressources, et, une fois de plus, il s’adapte : des baux locatifs seront signés avec les éventuels candidats futurs. Les mois passent, un ambulancier se positionne et, à l’été, une dentiste. Encore une fois, leur capacité d’adaptation fait des merveilles : « Sylvain Féron voulait une vitrine pour exposer du matériel médical. Sonia Cresson avait besoin de plus grand : nous en étions au stade de la construction du toit, nous avons pu modifier les plans », relate l’homme de toutes les situations.
Aujourd’hui, le projet est, pour ainsi dire, victime de son succès. « Certains contacts, une diététicienne de Reims et un pédicure-podologue de Charleville-Mézières, pourraient déboucher sur des vacations. Nous partagerions notre propre cabinet », rapporte Vincent. Dernièrement, un médecin hospitalier, qui s’était informé dans les premiers temps, a repris contact. Seulement, la maison affiche complet… à moins qu’elle ne double sa surface. « Il est encore trop tôt, mais nous y pensons. Il faudrait que nous trouvions une formule de pré-réservation pour savoir où nous mettons les pieds », indique Vincent, placide mais satisfait. Retrouver un peu d’émulation du travail en équipe, “valoriser” la patientèle des uns des autres et, cerise sur le gâteau, permettre à la commune d’être attractive pour l’installation d’un médecin : tout cela n’a peut-être plus rien d’un combat de Don Quichotte.