L'infirmière Libérale Magazine n° 311 du 01/02/2015

 

Éditorial

MATHIEU HAUTEMULLE  

La métaphore du “corps social” a ses limites. Qui est censé constituer la tête ? Qui le pied ? Personne, non plus, n’a le monopole du cœur. Cette image du “corps social” a pourtant été mobilisée après les attentats de janvier pour tenter de comprendre l’impensable. « Nos sociétés refoulent des populations entières hors du corps social », a ainsi analysé le penseur Zygmunt Bauman. Ce bannissement aurait conduit certains,en quête de vengeance, à commettre l’irréparable horreur. Parmiles moteurs de cette exclusion, figure « notre capitulation devantun capitalisme licencieux, effréné, aveugle à la misère humaine »*. Touchée à un organe (de presse), touchée en son cœur, la société française, elle, a donné l’impression de faire corps, jusqu’à “l’unité nationale” – au moins en partie, du moins en apparence. Reste à savoir maintenant quel “traitement” appliquer à ce grand corps meurtri. Les seuls tressaillements de la main droite de l’État, celle qui frappe et condamne, ne suffiront pas, et risquent de se doubler d’effets secondaires pour toute la population. Il faut lui ajouter l’action de la main gauche, celle du social, de l’éducation, de la santé, de la protection. Le corps social n’existe peut-être pas ; il y a, à l’inverse, un peu de social en chacun de nous : du social incorporé. C’est cette partie qui nous rattache à l’autre, suffisamment pour être tous raccord, sans forcément être d’accord. Nul doute que les soignants, par leur connaissance du corps, et de l’humain, pourront, plus que d’autres, contribuer à ce que se relève ce fameux corps social.

* Interview paru dans le Corriere della sera, à lire sur le site de Courrier international (bit.ly/1C5zkmo).