Vol au-dessus du mont Ventoux - L'Infirmière Libérale Magazine n° 311 du 01/02/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 311 du 01/02/2015

 

VAUCLUSE

Initiatives

Laure Martin  

La passion de Patrice Lapierre pour l’aviation l’a amené à passer son brevet de pilote professionnel et à devenir instructeur, tout en continuant à exercer son métier d’infirmier libéral à Caromb et son activité de gérant d’entreprise de services à la personne.

« Fox Mike Delta, bonjour. Demande autorisation décollage. » Vérifications de l’appareil faites. Contrôles moteurs effectués. Les pieds sur les pédales, une main sur le manche, l’autre sur l’accélérateur. La piste ouvre grand ses bras. L’avion prend de la vitesse et décolle. Pour la suite, la magie opère. Le temps est dégagé. Survol du pont d’Avignon, du Palais des Papes, des petits villages de la région jusqu’au pont du Gard. La vue est saisissante.

Aller plus loin que les autres

Enfant, Pascal construit des avions avec des morceaux de bois et se met des ailes dans le dos pour voler. Adulte, il passe le cap de l’apprentissage pendant ses études d’infirmiers, de 1985 à 1988 à l’Ifsi d’Avignon. Mais l’aviation n’est pas la seule discipline qu’il affectionne. Il a un réel attrait pour les activités techniques et extrêmes, dans les airs comme au plus profond sous terre. Pendant longtemps, il fait de la spéléologie. « Il existe deux sortes de spéléologie : celle qui s’exerce en visiteur, en se rendant dans des endroits déjà découverts, et celle qui consiste à partir à la recherche d’endroits encore jamais explorés, explique-t-il. Personnellement, j’ai toujours aimé aller plus loin que les autres, découvrir des siphons ou des gouffres vierges. » Mais le décès de l’un de ses amis avec lequel il exerçait cette activité a raison de sa pratique. Et l’aviation prend alors le dessus dès ses études à l’Ifsi.

Avant même d’entrer en Ifsi, Patrice a déjà un pied dans le métier d’infirmier. « J’ai arrêté mes études en seconde, n’ayant aucune affinité avec le système scolaire. Je savais que je voulais être infirmier et que je pouvais le devenir en intégrant la Marine, sans avoir besoin du baccalauréat. » Il décide donc de suivre uniquement la formation interne. Or l’armée ne lui convient pas. Après avoir achevé son premier contrat, il ne rempile pas. En revanche, sa formation lui donne une équivalence d’aide-soignant dans le civil. Il travaille quelque temps à la clinique Sainte-Catherine d’Avignon.

Faire de la voltige

Désireux d’apprendre toujours plus et d’aller de l’avant, Patrice décide finalement de passer son DE d’infirmier. Il reprend donc les cours du soir pour obtenir le baccalauréat et ainsi intégrer l’Ifsi d’Avignon, tout en travaillant comme aide-soignant la nuit. « Mes calculs étaient vite faits, raconte-t-il enthousiaste. Une nuit de travail me payait une heure de vol ! » C’est ainsi que, progressivement, il obtient son brevet de pilote privé, puis le brevet professionnel. Il valide également des qualifications pour pouvoir voler la nuit, faire de la voltige, atterrir sur la neige avec des skis. Pendant longtemps, il ne vole que par passion. À partir de 2004, et pendant sept ans, il met ses compétences au service des pompiers – avec lesquels il a déjà travaillé en participant à la création du corps des infirmiers sapeurs-pompiers dans le Vaucluse en 1992 – pour effectuer des vols de reconnaissance et de surveillance incendies sur le département. Entre-temps, en 2005, il passe le brevet d’instructeur. « Au départ, c’était davantage pour l’image que j’avais de l’instructeur, reconnaît-il en précisant être également examinateur. Quand on apprend à piloter un avion, l’instructeur est un dieu, celui qui nous enseigne tout. C’est ce qui m’a motivé à le devenir. Puis je me suis découvert une véritable passion pour l’enseignement. » Un pied de nez à la vie pour lui qui n’a jamais aimé les études.

Pouvoir transmettre

Pour voler, il est impératif de suivre un apprentissage studieux. L’obtention du brevet de pilote privé nécessite un minimum de 45 heures de vol – généralement 60 heures en moyenne – et une centaine d’heures de théorie. « Un vol se prépare car de nombreuses réglementations sont à respecter, et il faut surtout analyser les conditions météorologiques. » N’a-t-il jamais peur ? « J’ai déjà eu quelques frayeurs avec deux pannes moteur, mais c’est plutôt positif car je suis toujours là », plaisante-t-il. Chaque cours a une structuration identique avec, au sol, une reprise de la théorie et du pilotage relatifs à la leçon. Une fois en vol, la leçon est organisée autour de trois phases : la démonstration, pendant laquelle l’instructeur montre à l’élève ce qu’il va devoir faire ; le guidage, au cours duquel ils exercent ensemble ; puis la restitution, pendant laquelle l’élève doit piloter seul. « Être instructeur dans un aéro-club permet d’avoir des élèves aux profils variés, du chef d’entreprise à l’étudiant en passant par l’agriculteur ou l’ingénieur, souligne Patrice. Ce panel d’élèves rend passionnant l’enseignement car il oblige à s’adapter à chacun d’eux en ayant un discours pédagogique différent, tout en faisant passer le même savoir. » Et d’ajouter : « C’est un vrai plaisir pour moi de pouvoir transmettre. Un élève qui descend de l’avion avec la larme à l’œil car il a volé seul pour la première fois, c’est émouvant. » En règle générale, l’infirmier ne donne pas de cours les mêmes jours que ses tournées car, étant affilié à l’aéroport d’Avignon, « les allers-retours avec Caromb sont trop fatigants ». Pendant longtemps, il a eu entre trois et cinq élèves. Depuis un an, il a levé le pied car il développe une autre activité, en plus de son métier d’infirmier libéral.

Être son propre patron

À la fin de ses études à l’Ifsi, Patrice commence par effectuer les remplacements d’un infirmier libéral basé à Caromb. « À l’époque, j’hésitais entre trois modes d’exercice, se souvient-il. Soit devenir infirmier anesthésiste, soit travailler pour le Club Med, soit devenir libéral. » La vie a choisi pour lui : il se retrouve associé en 1990. « Mon contrat avec le Club Med était quasiment signé, mais l’infirmier que je remplaçais est venu me voir, complètement épuisé et à bout, car il travaillait énormément, avec parfois cent visites par jour. Il m’a demandé de venir travailler avec lui. J’ai accepté et je me suis retrouvé infirmier libéral. » Au début, l’exercice en équipe lui manque. Mais le fait de pouvoir être son propre patron, « de n’avoir de compte à rendre à personne sauf aux patients, et la diversité de la patientèle » le séduisent. Pendant dix ans, Patrice travaille au même rythme que son associé, avec peu de congés. « J’avais 28 ans, j’avais la pêche, j’ai alors adopté la même cadence, se souvient-il en affirmant ne s’être arrêté que 19 jours sur une année… Quand on a la tête dedans, on ne se rend pas compte. » Jusqu’à la tournée de trop. « J’ai pété les plombs. Du jour au lendemain, j’ai tout arrêté. » Son épouse Valérie, rencontrée sur les bancs de l’Ifsi, reprend alors sa tournée pour lui permettre de souffler. Une fois prêt à repartir, Patrice réorganise son activité afin d’éviter l’épuisement. Ils travaillent d’abord à trois, puis à quatre, pour finalement aboutir à six avec un secrétariat. Le tout est organisé autour de trois tournées : à Caromb, à Carpentras et sur les deux territoires.

Corriger ce qui ne va pas

Le travail d’équipe et la prise en charge globale du patient ont toujours attiré Patrice. Aussi décide-t-il, en 2010, parallèlement à son cabinet infirmier, de monter une entreprise de services à la personne, AP Services, qui emploie aujourd’hui 17 personnes. « Je côtoie depuis longtemps des aides ménagères, des auxiliaires de vie, explique-t-il. Je voulais corriger ce qui n’allait pas et offrir une prise en charge globale à mes patients car, dans notre système, tous les services sont éclatés. » Il reçoit l’agrément du conseil général et lance sa nouvelle activité. « AP Services existe depuis quatre ans, mais nous fonctionnons véritablement depuis deux ans car je n’avais pas le temps de m’en occuper pleinement jusqu’à présent. » Son idée, faire une maison de retraite à la maison, et son leitmotiv, être à l’écoute des bénéficiaires, leur offrir des services adaptés à leurs besoins et non en fonction de ce qui arrange l’entreprise. Le démarrage de ce projet n’a pas été facile, « d’autant plus qu’un libéral qui se lance dans ce type d’activité est vite vu d’un œil suspicieux, voire réprobateur, par les services sociaux dans un secteur généralement géré par des associations ».

Aujourd’hui, AP Services se félicite de la belle image dont elle bénéficie dans le village. Les autres cabinets infirmiers lui envoient des patients et les relations avec les services sociaux se sont bien éclaircies. « Nous avons un numéro de garde, nous cherchons à être les plus réactifs possible et jamais nous ne laissons un bénéficiaire tout seul », souligne Patrice. L’objectif affiché est de former les aides à domicile dans le même état d’esprit que les infirmiers du cabinet, afin de faciliter, lorsque la situation du patient l’exige, la prise en charge commune et le travail d’équipe. AP Services vient d’ouvrir une deuxième agence sur Carpentras et souhaiterait pouvoir développer des couchers tardifs et des gardes de nuit à la carte. Patrice, qui cherche à satisfaire les personnes âgées isolées, organise également des repas dans le village, pour leur permettre de se retrouver. À d’autres moments, les tout-petits sont également de la partie. L’occasion de partager un bon moment et de favoriser les échanges, loin de l’isolement.