L'infirmière Libérale Magazine n° 312 du 01/03/2015

 

Cahier de formation

Savoir faire

Vous devez faire un prélèvement sanguin à Khalil, 10 mois, mais il hurle quand il vous aperçoit.Trempé de sueur, il se débat dans les bras de sa mère. En plus, celle-ci vous accueille sèchement.

D’une voix la plus douce possible, vous expliquez le soin. Vous proposez de mettre Khalil en body et de lui donner un peu d’eau sucrée : le sucre, couplé au plaisir de la succion, soulage. Vous faites asseoir la mère avec Khalil sur ses genoux, puis vous agenouillez de telle sorte que l’enfant ne voit pas l’aiguille. Vous prévenez Khalil parce que vous allez lui tenir fermement la main, et que les enfants n’aiment pas se sentir bloqués. Khalil ne réagit pas lorsque vous le piquez. Vous félicitez la mère et l’enfant pour leur patience. Finalement, la mère s’excuse de son énervement à votre arrivée, elle était « angoissée ».

ATTITUDE SÉCURISANTE

Une fois dressé le constat d’une anxiété par le recours à une grille d’évaluation ou à quelques questions (lire aussi Savoir p. 39), que peut faire l’infirmière libérale ? D’abord, ne jamais négliger le caractère potentiellement anxiogène de sa propre intervention auprès du patient. En se mettant en “position basse” par rapport à la personne prise en charge, elle peut la sécuriser et atténuer les effets délétères de l’anxiété, comme un refus de tout ou partie du soin, une agressivité, un allongement du temps de déroulement des actes, une insatisfaction des protagonistes… L’Idel affine ses capacités d’observation, d’écoute, d’empathie et d’analyse pour mieux cerner d’éventuels troubles anxieux et adapter son comportement en restant prudente, en parlant doucement et en articulant, en expliquant le déroulement de ses soins, en assurant une présence “étayante” et soutenante… Cela peut lui éviter d’être perçue comme “agresseur” par un patient paniqué ou souffrant d’une pathologie psychiatrique dont elle n’aurait pas eu connaissance, et pour qui tout geste invasif peut être vu comme une effraction de sa “zone de sécurité”, déclenchant un risque de décompensation agressive.

COMMUNICATION ADAPTÉE

Communiquer pourrait paraître simple. Pourtant, nombre de malentendus perturbent les relations avec les patients et sont générateurs d’angoisse. D’où l’intérêt de se former pour acquérir des outils, en vue de déterminer le canal préférentiel de perception de son interlocuteur et d’adapter son langage pour augmenter la clarté des explications préliminaires au soin, en assurer une meilleure compréhension, et ainsi diminuer l’anxiété du patient. Il peut même arriver de devoir négocier le soin si besoin (en pédiatrie souvent, en psychiatrie parfois).

Les cinq canaux sensoriels sont résumés dans le sigle Vakog, pour visuel, auditif, kinesthésique, olfactif, gustatif. Voici des exemples de phrases qui peuvent être utilisées ou entendues lors d’un soin et qui peuvent montrer, comme également la direction d’un regard, qu’il est fait recours à l’un ou l’autre des sens : « Voyez-vous ce que je veux dire ? » (visuel) ; « entendons-nous bien… » (auditif) ; « ce que vous me dites me touche », « l’atmosphère était glaciale… » (kinesthésique, c’est-à-dire sensible au toucher, dans un contexte) ; « Comment vous sentez-vous ? » (olfactif) ; et une expression d’ordre gustatif qui peut évoquer une hospitalisation pénible : « J’ai dégusté ! »

« On peut utiliser certaines stratégies pour faire parler son patient », ajoute l’infirmière clinicienne et doctorante en psychologie clinique Kim Sadler. Par exemple :

→ clarifier les propos du patient : « Que voulez-vous dire exactement par… “je suis fatiguée” ? » ;

→ les paraphraser : « Mettre l’accent sur l’essentiel du contenu du message en le mettant » dans ses propres mots ;

→ les refléter : faire ressortir l’aspect affectif du message. Si le patient indique « on doit me laver comme un bébé », lui demander : « Cela vous bouleverse d’être dépendant des autres pour vos soins physiques ? » ;

→ les interpréter, en faisant « ressortir les thèmes récurrents dans le discours »(11).

« Une fois les difficultés du patient exprimées, il faut identifier ses forces, ainsi que ses ressources internes et externes », indique Kim Sadler.

PAROLE SOULAGEANTE

Souvent, la parole est en elle-même une modalité de soulagement d’un trouble anxieux qui ne devrait pas rester occultée sous peine, souvent, d’évoluer défavorablement au point d’induire une dépression. Le simple fait de mettre des mots sur l’anxiété contribue à évacuer, au moins partiellement, la tension psychique et a une vertu thérapeutique – d’où l’intérêt des groupes de parole. « Il est faux de prétendre que faire parler le patient de sa détresse aggrave cette dernière », note Kim Sadler.

TECHNIQUES SIMPLES

En pédiatrie, la distraction peut être très efficace pour apaiser l’anxiété de l’enfant et de ses parents lors des soins, en utilisant des bulles, des ballons, un DVD… pendant le soin. L’Idel peut également utiliser la respiration, la relaxation, des techniques d’imagerie mentale, le toucher-massage, voire l’hypnose si elle y est formée. En effet, en déplaçant par ces méthodes l’attention du patient vers un état de détente et de mieux-être, le soignant diminue son angoisse et sa perception de la douleur. Le recours à l’humour, pour “dédramatiser” la situation, peut aussi être une voie – à condition que le patient n’ait pas l’impression qu’on se moque de lui. Ou encore l’usage du silence, qui peut permettre au patient de rassembler ses pensées et émotions, qui pourront par la suite être élaborées avec l’aide du soignant au besoin, note Kim Sadler. Enfin, l’infirmière peut adopter un comportement prévisible en ritualisant les soins chez des patients chroniques : toujours dans le même ordre, instaurant ainsi une routine rassurante.

ORIENTATION

L’Idel peut conseiller au patient de faire appel à un psychologue ou un psychiatre, par exemple, ou à l’un des 3 800 centres médico-psychologiques (CMP) et autres structures ambulatoires de secteur. La difficulté peut être le délai d’attente, qui, pour un premier rendez-vous en CMP avec un médecin, s’élève à plus de deux semaines dans 70 % des cas, selon l’Assurance maladie(11). Même si cela peut lui sembler compliqué, le patient peut être invité à accepter l’idée de recourir à l’aide d’un spécialiste, psychologue ou psychiatre, lorsque les symptômes envahissent son existence au point de compromettre sa vie sociale ou ses activités professionnelles. Par exemple, il est quasiment indispensable, face à un TOC, de suivre une psychothérapie. Une Idel peut utilement suggérer à une patiente en souffrance de prendre rendez-vous avec un psychiatre qui lui proposera une prise en charge plus adaptée. à noter qu’il peut exister « une réelle complémentarité » entre « une analyse du pourquoi de la crise par la psychologue » et un travail « en priorité dans “l’ici et maintenant” avec l’infirmière » dans le cas où celle-ci propose une consultation d’accompagnement du deuil(4).

La consultation régulière d’un médecin peut éviter une réhospitalisation. Selon l’Assurance maladie, « 45 % des patients hospitalisés pour troubles anxieux ou pour autres troubles de l’humeur n’ont pas consulté de médecin généraliste libéral dans le mois suivant l’hospitalisation ; la grande majorité d’entre eux n’ont pas consulté de psychiatre. Or le fait de consulter un psychiatre libéral dans le mois suivant la sortie de l’hôpital est associé à un risque moindre d’être réhospitalisé ». Les liens d’une infirmière libérale avec le généraliste, le psychiatre ou le CMP, sont donc capitaux : aux autres professionnels de santé, notamment en vue d’adapter le traitement, l’Idel peut indiquer tout signe observé susceptible de majorer une anxiété. Les autres personnes-ressources sont les travailleurs sociaux, les art-thérapeutes, les musicothérapeutes, les hypnothérapeutes ou encore les sophrologues, qui peuvent être sollicitées pour une évaluation de l’anxiété avec le patient, et éventuellement de la famille.

(1) Dans l’article cité en encadré, p. 33.

(2) « Des outils diagnostiques et thérapeutiques. Comment les démêler sans trop se mêler ? », Le Médecin du Québec (lien : bit.ly/1DcoDNR).

(3) Lien raccourci : bit.ly/1zBYoiE

(4) Isabelle Sanselme, « Consultation d’accompagnement du deuil », dans La consultation infirmière, C. Jouteau-Neves, B.Lecointre et é. Malaquin-Pavan (dir.), Anfiide, éditions Lamarre, 2014.échelle d’Hamilton à retrouver sur notre site (lien : bit.ly/1DwVAoz).

(5) À retrouver dans ce document : bit.ly/1M9iBBO

(6) H.M. Chochinov, K.G.Wilson, M.Enns, S.Lander, « “Are you depressed ?” Screening for depression in the terminally ill », AM.J.Psychiatry, 1997, 154, pp. 674-676.

(7) C. André et P. Légeron, La peur des autres : trac, timidité et phobie sociale, Odile Jacob, 2000, p. 256.

(8) Cf.entre autres J.Velten, K. L.Lavalle, S. Scholten et al., « Lifestyle choices and mental health : a representative population survey », BMC Psychology, 2014, 2:58 (lien : bit.ly/17tlo98).

(9) L’immersion (flooding) est une forme de thérapie comportementale visant à confronter le patient à une situation qui lui apparaît comme fortement anxiogène, suffisamment longtemps pour que sa réponse anxieuse s’épuise.

(10) S. Cormier, P. S.Nurius et C. J.Osborn, Interviewing and change strategies for helpers : Fundamental skills and cognitive-behavioral interventions (6e éd.), Brooks/Cole Cengage Learning, 2009.

(11) Selon la Drees, citée dans le rapport “Charges et produits pour l’année 2015” de la Cnamts (bit.ly/1t8BWcu).

Point de vue

« Être un infirmier heureux ! »

Catherine Diamantidis, Idel à Pierre-Bénite (Rhône), titulaire de diplômes universitaires (DU) en psychothérapie et psychologie médicale

« Il s’agit pour le soignant d’être un infirmier heureux ! D’une part, en déposant les angoisses projetées par nos patients dans une supervision individuelle ou collective sous forme de groupe de parole type Balint ou autres – cela évite d’être submergé par les affects du patient, qui peuvent entrer en résonance avec les nôtres par des phénomènes d’identification. D’autre part, en nous formant, afin d’asseoir, de développer et d’assurer nos compétences (tout en reconnaissant nos limites), d’augmenter notre confiance en nous, de partager nos expériences avec d’autres professionnels et de rompre l’isolement que nous ressentons parfois en libéral… Nous sommes alors plus sereins dans notre exercice professionnel, mieux préparés à prendre en charge les troubles anxieux de nos patients, avec bienveillance, fermeté, respect, calme et humilité. »

Conseils aux proches des patients souffrant de troubles anxieux

Un trouble anxieux et notamment l’anxiété généralisée (TAG) bouleverse la vie de la personne malade mais aussi, souvent, celle de son entourage. Les proches jouent un grand rôle en faisant preuve d’empathie et en encourageant le patient à prendre régulièrement ses médicaments et à suivre une psychothérapie : comme pour toute maladie psychique, il est primordial d’encourager la personne anxieuse à se faire soigner et à suivre une psychothérapie.

La solitude et l’inactivité aggravent l’anxiété : la présence attentive et patiente des proches et un investissement partagé des centres d’intérêt du patient sont particulièrement bénéfiques pour le patient, en évitant bien sûr tout jugement ou minimisation des sentiments négatifs.

Il est difficile de vivre avec un patient anxieux car son pessimisme et sa constante tendance à tout dramatiser rejaillissent tout autour de lui. Il n’est pas rare que cela décourage un entourage qui a l’impression de dépenser beaucoup d’énergie psychique pour amener le malade à voir la vie de façon positive. Ce travail peut nécessiter une aide : les proches également ne doivent pas hésiter à consulter un psychothérapeute ou à contacter une association de familles de malades pour exprimer les difficultés rencontrées dans un groupe de parole.

Point de vue

« L’anxiété, obstacle aux soins »

Brigitte Lecointre, Idel à Nice (Alpes-Maritime), membre de notre comité scientifique.

« L’anxiété peut constituer un obstacle à la réalisation d’un soin. Je me souviens d’un jeune homme pris en charge pour un kyste pylonidal, “intouchable” si je ne pratiquais pas quinze à vingt minutes de relaxation – exercices de respiration et de visualisation positive – avant le soin. Si, avant un soin, une personne veut exprimer et libérer ses émotions, nous devons commencer par une approche non médicamenteuse, quitte à reporter le soin. Ainsi, pour un patient chez lequel j’étais intervenue pour une instauration d’autosurveillance glycémique à la suite d’un diabète inaugural, dès le début de notre rencontre, il me dit « il ne manquait plus que ça », chargé d’émotions. Atteint par le VIH, en trithérapie, il venait également d’être quitté par son compagnon, avec lequel il vivait depuis vingt-sept ans. Il ne voulait pas voir les lecteurs de glycémie, ni entendre parler de régime, il voulait juste parler… Et plus tard, seulement, « se piquer le bout du doigt »… Il a pleuré, nous avons noté ses sources d’angoisse et d’apaisement, et j’ai décidé à cet instant de reporter le soin à un moment où cela aurait du sens pour lui. »