Nuit et jour, 365 jours par an, le patient bénéficie d’une prise en charge ininterrompue. Les Idels y contribuent. Pour elles, la “continuité des soins” est même une obligation quand elles commencent un suivi. Pour l’assurer, elles s’organisent elles-mêmes, à la différence d’autres professions dont le rôle en matière de “permanence des soins” est gravé.
C’est une question presque incongrue pour une infirmière. Et pourtant, continuité et permanence des soins sont bien des vraies particularités de la profession. Rançon de la liberté qu’offre l’exercice libéral, le travail à des horaires extensibles ainsi que le dimanche est une notion complètement intégrée par les infirmières, d’autant qu’un grand nombre d’entre elles ont souvent commencé leur carrière en établissements de santé. « Contrairement aux autres professions de santé libérales, nos patients ont besoin de nous tous les jours de la semaine, c’est simplement une évidence », résume Annick Touba, présidente du Sniil. De fait, contrairement aux médecins généralistes, les syndicats d’infirmiers n’ont jamais fait de la permanence des soins un objet de revendication ou de pression. « À partir du moment où un infirmier a accepté de prendre en charge un patient, il est tenu de le suivre dans la durée : c’est ce qu’on appelle dans le Code de la santé publique “la continuité des soins”, rappelle Jean-Yves Garnier, infirmier libéral et membre du bureau du Conseil national de l’Ordre des infirmiers. De la continuité des soins découle la “permanence des soins”, c’est-à-dire que les soins doivent être assumés quels que soient les horaires, les jours fériés ou les dimanches. C’est une obligation pour notre profession. »
Mais, contrairement aux médecins, où la permanence des soins est organisée par les Agences régionales de santé depuis 2010 en lien avec les conseils départementaux de l’Ordre (lire l’encadré p. 27), les infirmières se débrouillent toutes seules et s’organisent de manière artisanale. « On vient de se réunir à plusieurs cabinets pour essayer d’assurer la prise en charge des patients », explique ainsi une Idel sur notre page Facebook. « Les tours de garde sont informels, chaque cabinet est responsable de la continuité des soins et s’arrange dans son organisation et il n’y a pas de déclaration à faire, contrairement aux médecins », confirme Jean-Yves Garnier. Idem pour les vacances. Contrairement à un cabinet de chirurgien-dentiste, de kinésithérapeute ou de podologue, un cabinet infirmier ne peut jamais fermer si les patients ne sont pas pris en charge par d’autres, remplaçants ou confrères. « Aujourd’hui, c’est de moins en moins un souci, car les mentalités ont évolué et il y a moins de concurrence entre les cabinets, note Jean-Yves Garnier. On voit de plus en plus de cabinets d’un même secteur qui se remplacent mutuellement pendant les vacances, voire les week-ends. » Les associations d’Idels, en tenant des listings actualisés et localisés des professionnels, de même que les pharmacies, qui de leur côté relèvent d’une garde organisée, notamment le week-end, contribuent aussi à garantir une prise en charge sans interruption des patients, en leur fournissant les numéros d’infirmières. Et finalement, sans doute parce qu’il n’y a pas de malades qui restent sur le carreau, les pouvoirs publics ont préféré jusqu’à maintenant ne pas s’en mêler. À l’Assemblée nationale, une “mission d’information” travaille depuis plus d’un an sur l’organisation de la permanence des soins dans toutes les professions. Ses conclusions étaient annoncées il y a plusieurs mois déjà.Les députés devraient au final les rendre dans les prochaines semaines, juste avant le début de l’examen du projet de loi de santé.
Mais ce n’est pas pour autant qu’assurer la permanence des soins est toujours simple pour les Idels. Depuis une période récente, l’emploi du temps des week-ends de travail des infirmières libérales est de plus en plus souvent chamboulé par des sorties d’hôpital, y compris le dimanche à 13 heures ! « Quand la sortie est attendue le week-end, pour des patients chroniques, par exemple, je m’arrange pour me faire faxer 48 heures avant les ordonnances de sorties, histoire d’avoir le matériel et le traitement pour les retours, raconte Stéphanie sur Facebook. Mais quand ce sont des patients “surprises”, on y va et on navigue à vue. » Le projet de loi de Marisol Touraine prévoit qu’une lettre de sortie d’hospitalisation soit systématiquement envoyée au médecin traitant. Autrement dit, les infirmières ne seront pas davantage informées lors des sorties d’hôpital à la veille du week-end, si le médecin traitant n’est pas lui-même de garde.
Ce ne sont pas les seules nouvelles difficultés qui compliquent la continuité des soins. Brigitte Lecointre, infirmière libérale à Nice et membre de notre comité scientifique, pointe aussi les difficultés – organisationnelles, financières, émotionnelles – que rencontrent les familles pour accompagner leurs parents “jusqu’au bout”, avec en parallèle « la concurrence de gros réseaux mercantiles qui démarchent directement les hôpitaux et qui peuvent se permettre une prise en charge 24 heures sur 24 et sept jours sur sept ».
Encore plus complexe est de savoir s’il faut répondre aux sollicitations de nuit, même si elles sont quand même relativement rares. Le Code de la santé publique est muet sur cette question. « La nuit, je dors ! Téléphone toujours sur silencieux. Nous ne sommes pas le Samu », répond Matt sur notre page Facebook, comme une majorité d’Idels. « Un matin, j’ai été appelée à trois heures par une vieille dame souffrant de Parkinson, que je soigne toute l’année depuis vingt ans, raconte Brigitte Lecointre. En se retournant, elle avait renversé un gobelet sur sa table de nuit, où chaque soir je lui pose un comprimé de tramadol. À ce moment, peut-on vraiment se poser la question d’y aller ou pas ? Si je n’y étais pas allée, nous l’aurions retrouvée le matin épuisée par la souffrance. » Une histoire qui illustre la difficulté que peut poser l’absence de permanence de soins organisée collectivement.
Une expérimentation originale en ce sens est justement sur le point de démarrer en juillet à Bordeaux (Gironde), dans le cadre des Parcours des soins des personnes âgées, les Paerpa. Toutes les nuits, une infirmière libérale sera de “garde” et rémunérée à ce titre 150 euros par nuit en plus de la cotation des actes qu’elle pourra éventuellement réaliser (lire également l’interview ci-contre). Concrètement, lorsque le centre 15 enverra le médecin généraliste de garde au domicile d’un patient de plus de 75 ans inclus dans le programme Paerpa, l’intervention de ce dernier pourra être suivie, si nécessaire, de la visite de l’infirmière libérale de garde. Le généraliste laissera la prescription au domicile du patient ou le régulateur transmettra une prescription électronique.
Dans tous les cas, l’infirmière n’interviendra jamais en première intention et sans prescription et elle sera toujours contactée, non pas par le patient directement, mais par la régulation du centre 15. « Aujourd’hui, quand un médecin fait une visite de nuit chez un patient âgé, il peut y avoir besoin de faire poser une perfusion, et si lui-même n’a pas l’habitude de le faire ou tout simplement n’a pas le matériel sur lui, il est alors obligé d’envoyer son patient aux urgences, explique Patrick Experton, président de l’URPS-infirmiers d’Aquitaine. L’intervention de l’infirmière pourra également être utile pour d’autres gestes techniques comme une sonde vésicale qui s’est décrochée ou un ballonnet qui s’est dégonflé. » Cette expérimentation unique en son genre permettra en tous cas de mesurer pour la première fois la réalité des besoins des soins infirmiers non programmés de nuit.
Pour autant, ce n’est pas tout à fait la première fois que des infirmiers travaillent de nuit de manière organisée. À Grenoble (Isère), depuis une quinzaine d’années, un “cabinet de nuit” assure les soins après vingt heures et jusque vers deux ou trois heures du matin. Dans ce cabinet classique avec secrétariat et salle d’attente, exercent six infirmiers qui se relaient à raison de quatre à sept nuits chacun par mois et qui travaillent également, par ailleurs, dans un autre cabinet aux horaires plus classiques. « Nous ne sommes pas en concurrence avec les autres cabinets, explique Lionel Menant, qui exerce au cabinet Allô nuit soins depuis 2002. Nous intervenons surtout auprès de jeunes handicapés qui souhaitent un coucher plus tardif. Pour ces patients, nous intervenons bien entendu en collaboration avec le cabinet de jour qui les prend en charge ainsi qu’avec les auxiliaires de vie. » Le cabinet de nuit peut aussi intervenir ponctuellement auprès de patients âgés ou ayant besoin de soins prescrits à des horaires particuliers. Un projet similaire est en préparation à Montpellier (Hérault).
Relativement marginales encore, les demandes médicales de soins de nuit pourraient cependant augmenter dans les prochaines années avec la demande accrue de maintien à domicile des patients très âgés mais aussi le développement de la chirurgie ambulatoire ou des traitements à domicile, notamment dans le domaine du cancer. « Le travail des infirmiers libéraux est en train de changer, nous avons des soins de plus en plus lourds et individualisés au domicile, fait remarquer Jean-Yves Garnier. Ne serait-ce, par exemple, que pour certaines antibiothérapies pour lesquelles les doses et les horaires sont très encadrés et stricts. Il n’est plus rare d’intervenir jusqu’à vingt-deux heures pour des changements de flacon. » Le temps de l’infirmière libérale exerçant seule et travaillant sept jours sur sept, ne prenant que trois semaines de vacances en été en tout et pour tout, est révolu depuis des années. Mais il n’est peut-être pas exclu que la question de la permanence des soins infirmiers se pose à nouveau dans d’autres termes dans les prochaines années.
Chantal Klein, infirmière libérale dans une maison de santé au Neuhof, dans la banlieue de Strasbourg (Bas-Rhin)
« Dans une maison de santé, nous travaillons de manière très étroite entre professions de santé autour des besoins du patients. Cela a des avantages pour la continuité des soins. Les patients que nous, infirmières, allons voir le soir et le week-end, savent que nous travaillons main dans la main avec les médecins. Cela les rassure. Ainsi, si, un dimanche, nous estimons que la situation clinique du patient ne nécessite pas de nouveau passage du médecin avant le lundi matin, il nous fait confiance. De même, le médecin est rassuré de savoir que le week-end, l’infirmière avec qui il travaille au quotidien va voir ses patients. C’est aussi plus facile de gérer ensemble les sorties d’hôpital quand on récupère les patients le vendredi à 20 heures ou en plein week-end. Notre maison de santé a aussi la particularité d’être implantée dans un quartier sensible et défavorisé. Il peut arriver que des patients que nous connaissons depuis longtemps nous appellent pour des petits problèmes, comme une brûlure superficielle. Si nous pouvons les soigner toute de suite, cela évite un passage inutile aux urgences. »
Patricia Proisl, infirmière libérale dans le quartier de Bastille à Paris
« Je travaille dans un cabinet de deux infirmières depuis trois ans après avoir exercé pendant onze ans à l’hôpital. Nous travaillons aussi en collaboration avec un autre cabinet de deux, dans notre quartier, et nous nous partageons les remplaçants. Quand on vient de l’hôpital avec des équipes de trente personnes, ce n’est pas facile au départ. Avec mon associée, nous nous partageons les week-ends, nous faisons toutes les tournées du matin et nous nous faisons aider par l’autre cabinet pour celles du soir. Pour les vacances ou les éventuels arrêts, l’avantage à Paris, c’est que nous n’avons aucune difficulté à trouver un remplaçant. Je ne crois pas qu’il faille organiser un tour de garde comme pour les médecins. Ce ne serait d’abord pas souhaitable pour nos patients, qui sont âgés pour la plupart et n’aiment pas les changements, et c’est important qu’il y ait un suivi pour les soins. Pour nous aussi, si on choisit l’exercice libéral, c’est aussi pour gérer notre planning à notre guise. À partir de là, il est normal pour nous de devoir travailler sept jours sur sept. En revanche, la nuit, je me mets sur répondeur. Nous sommes une profession prescrite et il y a objectivement peu de raison d’avoir besoin d’une infirmière libérale en urgence la nuit. »
L’article L. 1110-3 du Code de la santé publique prévoit que la continuité des soins doit être assurée « quelles que soient les circonstances ».
Que faire néanmoins si les relations avec le patient et/ou ses proches se sont détériorées ? « Si l’infirmier libéral ne souhaite plus effectuer des soins à un patient ou se trouve dans l’obligation des les interrompre, il doit lui en expliquer les raisons et lui transmettre la liste des infirmiers de sa ville ou de son département », explique Jean-Yves Garnier, membre du Conseil national de l’Ordre (article R. 4312-41 du Code de la santé publique). Il n’y a pas de délai précisé dans les textes mais il faut évidemment laisser au patient le temps de s’organiser. En outre, si l’infirmière ne veut plus poursuivre les soins parce qu’elle a été menacée par le patient et ne se sent pas en sécurité, il lui faut alors absolument prévenir le conseil départemental de l’Ordre et faire une main courante à la police ou à la gendarmerie. L’Ordre conseille également d’en parler avec le médecin traitant du patient.
Comment est venue cette idée d’expérimenter un système de garde infirmière la nuit ? C’est une expérimentation qui a été mise en place dans le cadre des Paerpa, les parcours de soins des personnes âgées. Lors de discussions, des urgentistes bordelais nous ont interpellés en disant que des passages aux urgences pourraient être évités s’il y avait des infirmières de garde la nuit en ville.
Vous les avez donc pris au mot ? Oui ! Nous avons proposé que deux infirmières libérales soient d’astreinte toutes les nuits sur Bordeaux pour répondre aux patients des programmes Paerpa. Au départ, le directeur de la Sécurité sociale n’était pas emballé, mais notre projet a été finalement accepté pour une expérimentation d’un an avec une seule infirmière. Son astreinte de 20 heures à 8 heures sera rémunérée à hauteur de 150 euros, au même niveau que les médecins. Nous sommes très contents de cette reconnaissance.
Quand est-ce que cela va commencer ? Le coup d’envoi sera donné le 1er juillet prochain. Il y a déjà une bonne cinquantaine d’infirmières libérales qui sont intéressées. Nous visons entre 60 et 70 infirmières volontaires d’ici l’été. Cela fera pour chacune un tour de garde une nuit tous les deux mois environ. Pour l’instant, nous n’avons aucune idée du nombre d’actes qui seront réalisés dans ce cadre. C’est l’expérimentation qui nous le dira !
Gwendoline Holin, infirmière libérale à Serris (Seine-et-Marne)
« Dans notre secteur, nous sommes une quinzaine d’infirmières et nous travaillons de manière relativement cloisonnée.
Je travaille dans un cabinet de deux et nous sommes les dernières installées sur le secteur. C’est parfois plus facile de collaborer et de se remplacer avec des consœurs qui sont installés quinze kilomètres plus loin. Dans notre cabinet, nous travaillons à tour de rôle un week-end sur deux. Cela ne me dérange pas de travailler le dimanche, j’y étais habituée quand je travaillais en clinique. Mais c’est vrai que ce n’est pas toujours facile quand on est que deux car, quand on se remplace mutuellement, cela peut faire de longues périodes de travail.
Nous faisons aussi appel à un remplaçant pour les congés. Étant maman de deux petites filles, le plus contraignant pour moi est d’assurer les tournées du soir. »
Les Idels respectent la continuité des soins une fois engagée une prise en charge. La permanence des soins n’est pas une notion juridique pour la profession, mais en découle, dans le sens où si une Idel s’engage à faire tous les soins à une personne, elle doit aussi y aller le dimanche. Les médecins, eux, assurent « la mission de service public de permanence des soins (…) en collaboration avec les établissements de santé » (article 49 de la loi HPST, article L. 6314-1 du CSP, Code de la santé publique).
Un « devoir » (article 77 de leur Code de déontologie) effectué « sur la base du volontariat et de la confraternité dans le cadre d’une organisation qui a pour finalité l’intérêt de la population » (cf. le lien bit.ly/1IZTzWP).
Dans son dernier rapport sur la permanence des soins (bit.ly/1Cil4Et), l’Ordre des médecins souligne que, dans deux tiers des départements, le taux de volontaires est supérieur à 60 % mais en forte régression. Si le tableau ne peut être rempli, la préfecture peut réquisitionner des médecins à la demande des Agences régionales de santé, responsables de l’organisation du tour de garde. Cela s’est produit pendant les dernières vacances de Noël, en raison des grèves. En revanche, les médecins ne sont pas tenus d’assurer une continuité des soins comme les infirmiers. Un médecin, même seul, peut exercer à temps partiel, ou prendre ses mercredis.
Par ailleurs, sont aussi soumis à une permanence des soins les pharmaciens (article R. 4235-49 du CSP). « L’organisation concrète de la garde (…) relève principalement des syndicats représentatifs des pharmacies d’officine », note la Cour des comptes (bit.ly/1zOeeXH).
Les chirurgiens-dentistes sont astreints à une permanence des soins essentiellement le dimanche et les jours fériés, organisée par leur Ordre. Enfin, pour les masseurs-kinésithérapeutes, une garde est organisée dans certains départements, en période hivernale, sur la base du volontariat, pour la prise en charge des bébés atteints de bronchiolite.