Cahier de formation
Savoir faire
À domicile, l’Idel peut évaluer le degré d’anxiété d’un patient et, le cas échéant, lui prodiguer des conseils.Elle peut surveiller les effets des anxiolytiques et antidépresseurs. Elle peut enfin tenter d’instituer une relation et de proposer un soin les moins anxiogènes possible.
Vous intervenez chez Monsieur D., victime d’une maladie neurologique qui lui a fait perdre son autonomie. Sa femme, 59 ans, déprimée et anxieuse, suit un traitement par Séresta depuis plus d’un an et vous demande conseil : elle cherche à “décrocher”, d’autant qu’elle a entendu à la télévision qu’un usage prolongé de tranquillisants pourrait être corrélé au développement de la maladie d’Alzheimer. Pour autant, toute tentative se solde par une crise d’anxiété insupportable.
Vous la rassurez : les études épidémiologiques n’ont pas, à ce jour, établi de rapport formel entre usage prolongé de benzodiazépine et survenue d’une démence type Alzheimer. En revanche, les rebonds anxieux observés lors de l’arrêt du traitement témoignent d’une dépendance : le sevrage de Madame D., difficile dans ce contexte anxiogène, relève d’une intervention médicale.
L’infirmière joue un rôle dans le repérage et la prise en charge de l’anxiété.Le diagnostic infirmier d’anxiété apparaît d’ailleurs dans la taxonomie propre à la pratique infirmière.
Pour évaluer une anxiété, une infirmière « dresse la liste de ses signes et symptômes et se renseigne sur leur contexte d’apparition, leur intensité, durée, fréquence, progression et leur impact sur sa qualité de vie. Les antécédents médicaux et psychiatriques, la liste des médicaments ainsi que les derniers résultats de laboratoire sont importants », indique l’infirmière clinicienne et doctorante en psychologie clinique Kim Sadler
Un autre outil d’évaluation de l’anxiété est l’Edmonton Symptom Assessment Scale (ESAS), simple d’utilisation
Il est important lors de l’évaluation et même du traitement de « ne pas rester en superficie, poursuit Kim Sadler. Il faut chercher à faire ressortir les craintes parfois profondément enfouies chez le patient ». Cette doctorante en psychologie cite par exemple la méthode de la “flèche descendante” pour y parvenir. Celle-ci consiste à amener le patient, en lui posant des questions, à poursuivre la « logique des scénarios catastrophes cachés derrière les cognitions anxieuses »
« J’ai peur de sortir.
– Qu’est-ce qui pourrait se produire si vous le faisiez ?
– Je pourrais être pris d’une attaque ! Me mettre à avoir des palpitations.
– Et si vous aviez des palpitations, que se passerait-il par la suite ?
– Je pense que je pourrais m’évanouir.
– Et après que vous vous seriez évanoui, que se produirait-il ?
– Euh… Je reprendrais conscience, mais je serais très embarrassé que l’on m’ait ainsi vu pris d’une telle faiblesse !
– Si je comprends bien, ce n’est pas tant les symptômes physiques d’anxiété que vous craignez, mais plutôt le regard des autres sur vous ?
– Oui. »
L’Idel est bien placée pour remarquer si les traitements prescrits en cas de trouble anxieux s’accompagnent d’effets secondaires. Elle joue plus largement un rôle de conseil sur la prise de tels médicaments.
→ Veiller au développement d’une accoutumance et d’une dépendance (lire aussi p. 37-38). Ne pas hésiter à se renseigner sur les traitements utilisés (prescription + automédication) : depuis quand ? quelle dose ? quel accroissement de dose ? pour quelle raison (il arrive que le patient ne sache plus ce qui a justifié la prescription initiale) ? Etc. L’objectif est de susciter un questionnement et d’encourager une volonté de “décrocher”.
→ Veiller au risque de chute. Tapis, carpettes, tapis de bains, fils électriques, meubles bas, objets non rangés : autant de risques de chute pour un sujet âgé, d’autant plus qu’il utilise des benzodiazépines (somnolence diurne, levers nocturnes sans réelle prise de conscience, troubles cognitifs avec difficultés à se repérer, faiblesse musculaire liée à l’action myorelaxante, etc.).
→ Troubles cognitifs. Se traduisant par des altérations de la mémoire, des difficultés à se repérer, à effectuer des tâches quotidiennes, ils ont fréquemment une origine iatrogène chez le sujet âgé (tranquillisants et hypnotiques, mais aussi médicaments anticholinergiques) ou peuvent aussi résulter d’une association à une consommation d’alcool.
→ Être attentif à un éventuel virage maniaque (élation de l’humeur, idées de grandeur, achats inconsidérés, parfois gestes agressifs ou déplacés, etc.).
→ Il s’agit de se montrer attentif à de petits signes cliniques susceptibles de traduire un surdosage en antidépresseurs pro-sérotoninergiques (comme des tremblements, des troubles digestifs, etc.) ou une hyponatrémie iatrogène (pouvant aller jusqu’à des troubles cognitifs).
→ Surveiller la fonction cardiaque (tricycliques).
Docteur Diane Lévy-Chavagnat, psychiatre, chef de service, Centre hospitalier Henri-Laborit (Poitiers).
« D’un point de vue médical, face à une situation d’urgence anxieuse (agitation ou angoisse importante, delirium tremens chez une personne souffrant d’alcoolisme), il est souvent indispensable de recourir à l’injection d’une BZD (Tranxène, Valium) ou d’hydroxyzine. Les BZD, peu hydrosolubles, sont solubilisées dans des excipients non aqueux, d’où un risque de réaction allergique à prendre en compte. L’administration intraveineuse, active en quelques minutes, est réalisée sous surveillance médicale, lentement (risque de dépression respiratoire et d’apnée), dans une veine suffisamment conséquente pour prévenir une réaction locale (douleur, risque de phlébite). La voie intramusculaire profonde ne garantit pas une résorption régulière, car la BZD, partiellement fixée aux protéines, est lentement relarguée dans la circulation : cette voie ne constitue pas un traitement de l’urgence. N’apportant pas d’avantage cinétique par rapport à la voie orale, elle est utile si l’observance du traitement oral est compromise : elle garantit alors l’observance et étale dans le temps l’action du médicament. »
Kim Sadler, infirmière clinicienne en soins palliatifs à l’Hôpital général juif de Montréal (Canada), doctorante en psychologie clinique
« Les outils de mesure de type échelles, je les utilise plutôt au cours d’une évaluation psychologique plus “formelle” quand je soupçonne la présence d’un trouble anxieux dans mes fonctions de doctorante en psychologie. Je les utilise seulement s’ils sont aidants pour la planification d’une psychothérapie et pour en suivre l’évolution. C’est comme une analyse de laboratoire : rien ne sert de faire un prélèvement sanguin si on ne peut pas, une fois le résultat obtenu, tenter une intervention.
Comme infirmière, en soins palliatifs plus encore, les tests psychométriques sont souvent peu aidants, car les patients, en raison de leur état, n’ont pas toujours les capacités pour comprendre les questions. Si ce n’est que pour regarder le score et se dire que le patient est déprimé “cliniquement”, ce n’est pas très utile. Avant d’en réaliser un, il faut se demander si cela n’ajoute pas plutôt un fardeau administratif à l’infirmière, et si celle-ci ne devrait pas plutôt maximiser sont temps à “être avec son patient”… Une évaluation clinique fine peut s’avérer suffisante pour parvenir à une certaine compréhension clinique de la souffrance du patient. Il n’est pas si important de savoir s’il tombe dans telle ou telle catégorie diagnostique, mais plutôt comment on pourra le “rejoindre” dans sa souffrance. »