L'infirmière Libérale Magazine n° 313 du 01/04/2015

 

ALSACE

Initiatives

Depuis dix-neuf ans, Stéphanie Lentz joue au football. L’équipe féminine de Monswiller (Bas-Rhin), dont elle est la capitaine, est en plus haute division régionale. Une grande partie de sa vie tourne autour de cette passion en équipe qu’elle conjugue avec son métier en solo d’infirmière libérale.

« Eh, les filles, vous arrivez ? », lance Alfred, le dirigeant de l’équipe féminine de football en direction des vestiaires. Depuis le couloir, on peut entendre les éclats de rire des joueuses, révélateurs de la bonne ambiance qui règne entre elles. Il est 20 heures, un vendredi, et l’entraînement va commencer en extérieur en plein mois de mars. Deux fois par semaine, les seniors s’entraînent, en vue du match qui a lieu le dimanche. Ce soir, elles ne sont pas très nombreuses. « Dans l’équipe, il y a des mères de famille, des salariées du tertiaire, des professions libérales, donc chacune fait le maximum pour venir en fonction de ses horaires et de sa vie de famille », explique Stéphanie, qui elle-même est Idel. Strapping à la cheville, survêtement enfilé, gourde d’eau remplie, cette joueuse de 28 ans rejoint ses coéquipières sur le terrain pour une heure trente d’entraînement. Les filles s’échauffent par un footing, avant d’enchaîner avec des passes, puis un “parcours” du combattant. Cela ne fait que dix jours que Stéphanie a repris l’entraînement. Après une entorse à la cheville faite pendant un match alors qu’elle contrait un ballon, elle a dû s’arrêter pendant trois mois. Une “punition” terrible pour cette passionnée de football. « Stéphanie ne s’arrête jamais de jouer, confie Alfred, également père de la capitaine. Le foot, c’est sa passion. C’est moi qui lui ai donné un ballon quand elle était enfant, et elle a commencé à jouer avec le pied. » Le chemin est alors tout tracé. « J’ai repris l’entraînement sans le dire à ma masseuse-kinésithérapeute. Je n’avais pas vraiment le droit et, si elle l’apprend, elle sera fâchée, comme je pourrais l’être si mes patients ne respectaient pas mes consignes. »

Des annonces dans le journal pour recruter des joueuses

C’est à l’âge de neuf ans que Stéphanie s’inscrit pour la première fois dans un club de football, à Ringendorf. Jusqu’alors, elle jouait dans la cour de l’école, avec ses voisins, son frère et son père. Pendant quatre ans, elle fait partie d’une équipe mixte. « Mais, dès treize ans, la mixité n’est plus autorisée, car les garçons commencent à courir plus vite, à sauter plus haut et, pour continuer à m’entraîner, je devais rejoindre une équipe 100 % féminine. » L’idée ne l’enchante guère. Elle s’arrête alors pendant un an, tout en continuant à taper dans la balle avec ses amis. Mais l’appel de la passion est le plus fort. Elle rejoint donc le club de Monswiller à quatorze ans. Elle intègre directement les seniors, ce qui implique de jouer sur un grand terrain, à onze et non plus à sept. Les années passant et son implication grandissant, elle hérite du brassard de capitaine de l’équipe – mais sans poste attitré : les joueuses tournent sur le terrain. Elle fait également partie du comité du club, ce qui suppose de participer à la vie de la structure, de préparer les saisons, d’organiser des manifestations pour récolter un peu d’argent. Elle est aussi active pour le recrutement des joueuses, car, même si les filles sont de plus en plus nombreuses à jouer au football, ce sport se trouve encore confronté à des stéréotypes, conduisant des parents à empêcher leurs filles de jouer. « Mais si on veut des équipes compétitives, il faut que les filles s’y mettent jeunes, souligne Stéphanie. Heureusement, avec la médiatisation de l’équipe de France féminine, les mentalités commencent à changer. Et puis j’ai déjà mis des annonces dans le journal, sur les réseaux sociaux et des affiches dans les supermarchés pour recruter ! » Stéphanie a également déjà coaché des équipes de jeunes joueurs et détient d’ailleurs son diplôme d’initiateur 3, pour les seize ans et plus. « J’avais pris une semaine de congés pour pouvoir passer ce diplôme. J’adorerais être coach de nouveau. J’aime beaucoup regarder les matches, les débriefings des spécialistes. » Mais, pour le moment, elle n’a pas le temps, « et si je ne fais pas les choses à fond, cela ne m’intéresse pas ».

« Ma deuxième famille »

Une grande partie de la vie de Stéphanie tourne autour du football. Ce qu’elle apprécie dans ce sport ? Ses valeurs : solidarité, générosité, dépassement de soi, respect de toutes les cultures. Et c’est aussi pour elle un moyen de se défouler. « Mon club, c’est ma deuxième famille ! On vit beaucoup de choses ensemble, on gère les difficultés. » L’équipe joue ainsi dans un championnat exigeant, dont elle occupe, mi-mars, l’avant-dernière place avec quatorze défaites en autant de matches, douze buts marqués et 76 encaissés. Un classement qui s’explique notamment par le fait qu’il est ardu de recruter de jeunes joueuses : des filles arrivent dans l’équipe senior sans avoir jamais pratiqué. Et de nombreuses bonnes joueuses partent à Strasbourg… Malgré ces difficultés, Stéphanie ne manquerait un match pour rien au monde, même pas pour un repas de famille. Quoique… « Après dix-neuf ans de pratique, je n’ai pas envie d’arrêter, mais je sais que je suis plus proche de la fin que du début, et désormais je réfléchis différemment par rapport à ma famille. » Lorsqu’elle travaillait à l’hôpital, Stéphanie s’arrangeait avec ses collègues pour ne pas manquer d’entraînements ni de matches. Maintenant, c’est avec sa consœur libérale qu’elle organise son planning. « Je travaille tous les mercredis car ma collègue a des enfants, donc si je parviens à terminer ma tournée à temps, je vais à l’entraînement. Le vendredi, c’est plus facile, car je travaille une fois sur deux. » Quant aux dimanches, elle s’arrange pour faire la tournée les jours où les matches ont lieu à domicile. Elle a ainsi le temps de faire la tournée du matin, d’aller jouer le match et de repartir pour la tournée du soir. « C’est fatigant mais je préfère cette organisation que de manquer un match ! » Et comme l’équipe joue au plus haut niveau régional, en division d’honneur, elle se déplace dans toute l’Alsace, ce qui implique parfois de longs trajets, non compatibles avec une tournée le jour même. « Dans ces cas-là, je m’arrange également avec ma collègue. J’ai le planning de foot suffisamment tôt pour qu’on puisse s’organiser. J’ai rarement manqué un match, je deviens folle si je ne peux pas jouer. »

« Il faut que ça bouge »

Stéphanie est devenue infirmière un peu par hasard. « Au lycée, j’avais des bonnes notes, mais je ne savais pas vraiment vers quoi m’orienter. » C’est en feuilletant des magazines qu’elle découvre le métier d’infirmière, sa sécurité d’emploi et un salaire qui correspond à ses attentes. Elle décide de passer le concours de l’Ifsi de Sarrebourg (Moselle). Mais les premiers mois sont plutôt une déconvenue. « Lors de mon premier stage en pneumologie, j’ai surtout fait des toilettes. Je ne m’y attendais pas, et il y avait beaucoup de soins palliatifs, de décès. Quand on s’oriente dans ce métier, on s’attend plutôt à soigner des gens. » Heureusement, son deuxième stage en chirurgie la conforte dans son orientation. « Au fur et à mesure, on apprend, mais la souffrance et la douleur des personnes que l’on soigne restent difficiles à vivre. » Stéphanie termine ses études en 2008 et décide, avec quatre autres amis de sa promotion, de travailler à Nice (Alpes-Maritimes). « Le CHU faisait une offre pour faire venir des infirmières. En échange d’un engagement de quatorze mois, nous recevions une prime de 6 400 euros et un logement de fonction pour les trois premiers mois. » Il n’en fallait pas plus. Elle part, profite du Sud, « une très belle expérience ». Mais « nous sommes tous revenus dans notre région car notre famille et nos amis nous manquaient ».

Une semaine après son retour, elle intègre l’hôpital local de Saverne (Bas-Rhin), en médecine générale, car elle savait déjà qu’elle serait amenée à s’installer en libéral. « J’aimais bien l’esprit d’équipe à l’hôpital, mais je suis plutôt autonome et indépendante, et avec le stage d’été que j’avais fait auprès d’une infirmière libérale, je savais que ce mode d’exercice allait me plaire. » Et puis il y a les heures supplémentaires non payées, quasiment aucun jour consécutif pour les repos, les remplacements de dernière minute des collègues en arrêt maladie : Stéphanie a bientôt « l’impression de ne plus avoir de vie, de ne vivre que pour l’hôpital ». Après quatre ans dans ce service, une consœur, qui effectue des remplacements en libéral, lui propose de s’installer avec elle.

Début janvier 2013, les deux infirmières se lancent donc dans l’aventure du libéral. « On se complète beaucoup, elle est calme, moi, un peu plus nerveuse, j’aime avoir le temps de prendre mon temps avec les patients, mais il faut aussi que ça bouge. » Une publicité dans le journal local, le bouche à oreille et l’aide d’une autre infirmière surchargée de travail qui donne aux patients le numéro de téléphone du nouveau cabinet, et les “affaires” se lancent. Pendant leur tournée, elles prennent en charge environ une trentaine de patients. « Le fait de travailler seule ne me dérange pas car, avec le football, je suis bien entourée et je fais partie d’une équipe. Et puis j’apprécie de n’avoir personne sur le dos, je suis beaucoup plus zen avec les patients ! »