L'infirmière Libérale Magazine n° 313 du 01/04/2015

 

Nutrition

Cahier de formation

LE POINT SUR

MARIE FUKS  

À domicile, les troubles de la déglutition affectent entre 8 et 15 % des sujets âgés. Leur fréquence, leurs complications et leurs répercussions imposent de faire le point sur les dernières recommandations. Et de se tourner vers des pratiques plus efficientes.

Comment détecter et prendre en charge les troubles de la déglutition (TD) afin de limiter les inhalations, prévenir leurs complications infectieuses respiratoires, maintenir une hydratation et une nutrition orales optimales, tout en préservant la qualité de vie des patients ? Si cette question se pose nécessairement à l’hôpital et en institution, où, selon les études, les TD concerneraient respectivement de 10 à 19 % et de 31 à 68 % des patients, elle se pose aussi aux infirmières libérales dans le contexte du domicile, puisque la TD affecte entre 8 à 15 % des sujets âgés(1). Pour autant, les réponses apportées par les soignants doivent d’abord faire l’objet d’un sérieux “toilettage” car certains principes établis – et parfois encore enseignés – ont montré leurs limites.

Idées reçues

→ « La toux est un signe spécifique de troubles de la déglutition »

La toux est le principal signe sur lequel les infirmières se fondent pour affirmer qu’il existe ou non un trouble de la déglutition. Or, si la fausse route (FR) peut effectivement se traduire par un réflexe de toux, efficace ou non, il est important de savoir que la toux n’est pas un signe pathognomonique (caractéristique spécifique permettant le diagnostic) du trouble de la déglutition. Il existe de faux négatifs et de faux positifs : un patient qui tousse en mangeant ou en avalant un médicament ne fait pas automatiquement une FR ; à l’inverse, un sujet qui ne tousse pas peut faire des FR silencieuses ou à bas bruit. Celles-ci sont très fréquentes, elles concernent environ la moitié des sujets âgés dysphagiques.

→ « Un patient édenté est plus à risque de fausse route puisqu’il ne peut pasmastiquer ses aliments »

La mastication constitue une phase préparatoire à la déglutition mais n’intervient pas dans le mécanisme de déglutition lui-même. Il ne faut donc pas associer de manière binaire le risque de FR au manque de dents ou, à l’inverse, l’absence de risque à la présence d’une denture complète. Imposer le port d’un dentier au prétexte de prévenir des FR n’est pas forcément judicieux. Mieux vaut s’adapter au patient et préférer la situation d’un patient qui mange sans dentier à celle d’un patient qui ne mange pas parce que son dentier bouge ou le fait souffrir.

→ « En cas de déficit sensitivo-moteur latéral, il faut se placer du côté fort du patient pour faciliter l’alimentation et éviter les fausses routes »

Il faut au contraire que le soignant se place du côté déficitaire, de manière à ce que le patient tourne (et non penche) la tête en rotation latérale vers le côté déficitaire, ce qui ferme le côté du pharynx qui bouge et sent moins bien, et oblige le bolus à passer du côté controlatéral (côté de la tête qui n’est pas “plié”).

→ « On doit forcément utiliser un verre à bec ou une paille pour éviter les TD »

Surtout pas chez les sujets âgés. Si ces aides peuvent avoir un intérêt chez certains patients (cancer ORL sans trouble cognitif par exemple), elles sont à proscrire en population gériatrique car la succion favorise les FR. Le patient a tendance à “adhérer” à la succion (phénomène neurologique de persévération) : il aspire le liquide sans s’arrêter et ne ménage pas assez de pauses respiratoires, ce qui augmente le risque de FR. Par ailleurs, en propulsant directement le bolus dans l’arrière de la gorge, la paille supprime le contact des lèvres et de la bouche, et prive le patient d’informations et de stimulations sensitives précoces utiles au réflexe de déglutition, ce qui peut s’ajouter au déficit sensitif préexistant et majore le risque de FR.

Bonnes pratiques : points clés

Se former, un prérequis

Évaluer la fonction de déglutition et les troubles associés est la mission d’acteurs de soin spécialisés (médecin ORL, orthophoniste formé) car ce diagnostic requiert des compétences spécifiques (mécanismes anatomo-physiologiques complexes de la déglutition, phonation, neuropsychologie, transport œsophagien). La formation initiale des infirmières ne leur permet pas de poser un diagnostic en dysphagie. En revanche, la formation continue leur permet de comprendre, savoir appliquer et transmettre les conduites préventives adaptées et leur donne les outils nécessaires pour faire un dépistage et relever des signes pertinents à rapporter précocement au médecin pour orienter le patient vers un professionnel compétent.

Adopter une démarche préventive

L’Idel sensibilisée adopte des conduites préventives généralistes pour participer à la prise en charge des troubles de la déglutition, en s’inspirant par exemple des recommandations professionnelles de bonnes pratiques élaborées à l’attention des personnels soignants sous l’égide du Clan central de l’AP-HP.

Se poser les bonnes questions

→ « Le patient tousse quand il mange ou prend un médicament, peut-être présente-il des troubles de la déglutition ? »

→ Et surtout : « Le patient ne tousse pas mais il est souvent encombré, malgré les traitements antibiotiques… Son état respiratoire pourrait-il découler d’inhalations chroniques silencieuses ? »

Dépister des troubles de la déglutition par le test du verre d’eau (test de De Pippo)

→ Faire boire sans interruption un bon demi-verre d’eau plate (90 ml) à température ambiante au patient.

→ S’il a des difficultés à boire en continu (toutes proportions gardées car la personne âgée fait naturellement des pauses), une toux ou une modification de la voix dans la minute qui suit, le test est positif. Il faut suspecter des troubles de la déglutition.

Demander au médecin référent du patient d’établir une prescription…

… pour la réalisation d’une évaluation diagnostique de la déglutition (hypothèses étiologiques, mécanismes physiopathologiques responsables des troubles, moyens compensatoires) par un orthophoniste libéral spécialisé ou une consultation d’orthophonie hospitalière dédiée.

Si les troubles de la déglutition sont confirmés

Il est important de tenter de maintenir une alimentation et une hydratation per os le plus longtemps possible en respectant les principes suivants, au cas par cas, ainsi que les recommandations données à l’issue de l’évaluation.

→ Alimentation solide :

→ privilégier les textures normales à mastiquer, tant que c’est possible, en évitant les aliments à risque augmenté (lire l’encadré page précédente) ;

→ passer aux textures homogènes et lisses (consistance compote) lorsque c’est vraiment nécessaire ;

→ lubrifier les aliments à l’aide de sauces épaisses ou de corps gras enveloppant les aliments (mayonnaise, ketchup…). Attention : ne pas confondre lubrifier et humidifier (mélange solide/liquide à éviter).

→ Liquides :

→ favoriser les eaux pétillantes peu salées à grosses bulles et les sodas froids, en petites bouteilles à bouchon à vis, pour conserver les bulles. Ces boissons apportent une stimulation tactile (bulles) et thermique (froid), qui facilite la déglutition. Elles ont également une action rééducative ;

→ épaissir les liquides (jus de fruits, boissons savoureuses) pour ralentir leur écoulement, à l’aide d’un épaississant alimentaire instantané plus facile à utiliser que la gélatine ou l’agar-agar. Veiller à ne pas sur-épaissir en transformant le liquide en compote. Une viscosité de type nectar (comme du jus de tomate ou d’abricot) permet souvent d’hydrater en limitant les FR tout en préservant le plaisir et la fonction de boire. Elle peut aussi être obtenue en mélangeant de l’eau à de la compote bien lisse, selon le goût du patient ;

→ en cas de besoin, il est possible d’épaissir davantage pour obtenir des textures de moins en moins liquides type yaourt à boire, compote. Il est aussi possible d’hydrater avec des yaourts et des compotes dont la teneur en eau est importante et la valeur nutritionnelle intéressante. À noter : les eaux gélifiées de texture semi-solide (type “jelly”) sont déconseillées en population gériatrique car le patient agnosique/ apraxique ne reconnaît pas bien la texture en bouche et a tendance à moins bien la prendre qu’une texture compotée de type crème dessert ;

→ utiliser un verre normal plutôt évasé et bien plein ou un gobelet à découpe nasale.

→ Médicaments :

→ demander au médecin d’adapter systématiquement et dès la prescription la galénique des médicaments (dispersibles, poudres, gouttes…) afin d’éviter les comprimés ou gélules en entier ou en morceaux à prendre avec un liquide, même stimulant, car cette prise est à risque augmenté de FR ;

→ disposer d’un référentiel infirmier(2) et s’informer afin de savoir quels médicaments peuvent être écrasés ;

→ prendre si possible le temps de s’asseoir à côté du patient pour administrer le médicament. Trop souvent, l’infirmière libérale reste debout.

→ Installation du patient pour la prise des repas, boissons et médicaments :

→ à table, au lit ou au fauteuil, le patient doit être installé assis à 90°, menton légèrement fléchi en avant. L’encourager à manger seul tant que c’est possible, mais si c’est nécessaire, l’aider, s’asseoir légèrement plus bas que lui, en face ou du côté déficitaire ;

→ veiller à ce que la prise du repas s’effectue au calme et limiter les distractions.

(1) Selon H. Finiels, D. Strubel, J.-M. Jacquot, 2001, et J.-Y. Salle et al., 2009, cités dans “Détection et prise en charge des troubles de la déglutition chez le sujet âgé hospitalisé : recommandations de bonne pratique”, mars 2011.

(2) Par exemple, Omedit Poitou-Charentes, “Bonnes pratiques d’administration des médicaments par sonde de nutrition ou pour les patients ayant des difficultés à avaler les formes solides”, 2013 (via le lien internet raccourci bit.ly/1Hsr67u). Lire aussi notre cahier de formation du numéro 303 de mai 2014, pp. 46-48.

Savoir plus

• “Détection et prise en charge des troubles de la déglutition chez le sujet âgé hospitalisé : recommandations de bonne pratique”, coll., disponible via le lien raccourci bit.ly/1F62XEo. Élaboré selon les procédures et règles méthodologiques reconnues parle Clan central de l’AP-HP, 2011.

Une plaquette destinée au personnel soignant est également proposée sur le même site.

• Vivre au quotidien avec des troubles de la déglutition, un guide pratique pour la personne âgée et son entourage. Coordonné par Virginie Ruglio, éditions De Boeck Solal, 2012.

Aliments à risque augmenté

→ Liquides chauds et tièdes (plus le liquide est proche de la température corporelle, moins le patient toussera sa FR, car son corps ne la détecte pas).

→ Mélanges solide-liquide (pain, biscotte, biscuit trempé ou épaississement d’une soupe avec des biscottes).Tout épaississement doit être réalisé avec un produit adapté permettant une parfaite homogénéisation, type nectar ou yaourt à boire.

→ Aliments secs, pâteux, filandreux (poireaux…), à peau épaisse (boudin, saucisson…), à arêtes.

→ Aliments à croûte s’émiettant (pain, pâte feuilletée…), à grains (semoule, riz, lentilles…), ou petits morceaux (cubes de betterave…)

Source : “Détection et prise en charge des troubles de la déglutition chez le sujet âgé hospitalisé : recommandations de bonne pratique”, bit.ly/1F62XEo, p.31.