Bien qu’il ait découvert le karaté tout petit, ce n’est qu’une fois adulte qu’Alexandre Gaci a décidé d’y consacrer une partie de son temps. Une discipline qu’il exerce plusieurs fois par semaine, comme un loisir annexe à son métier d’infirmier libéral.
Le bruit des kimonos claque dans le dojo. Dans un coin du tatami, quatre ceintures noires répètent des katas, cette succession de mouvements codifiés mimant un combat et une démonstration technique. En tête de file, le professeur, Alexandre, ceinture noire troisième dan. « C’est mon père qui m’a initié au karaté et qui m’a appris à taper dans un sac de frappe quand j’avais cinq ans », se rappelle-t-il. À l’âge de 12 ans, il intègre un club de karaté, « mais cela ne m’a pas plu autant que cela ». Il s’essaie alors à d’autres sports : boxe américaine, taekwondo, volley. C’est seulement lorsqu’il entreprend ses études en soins infirmiers à l’Ifsi de Lisieux, en 2002, qu’Alexandre décide, en deuxième année, de reprendre le karaté avec le même professeur qu’il avait lorsqu’il était enfant. « Je suis reparti de zéro car cela faisait longtemps que je n’avais pas pratiqué. Mais la technique revient vite et permet de repasser les grades rapidement. » Depuis 2007, Alexandre dispense des cours de karaté avec l’un de ses amis, Philippe. Pourquoi l’enseignement ? « Quand on s’entraîne dans un club depuis plusieurs années et qu’on voit de nouveaux élèves arriver, on commence naturellement à leur donner des conseils. J’ai trouvé cela intéressant d’aider les autres à progresser. »
Son professeur de karaté décide de le préparer, avec son ami, au diplôme d’instructeur fédéral (DIF), qui consiste en une formation d’un an avec des sessions d’un week-end par mois dans la région. « Pour être instructeur, il faut au minimum être ceinture noire, précise Alexandre. Et comme notre niveau technique a déjà été évalué lors de l’obtention du premier dan, on ne repasse pas d’épreuve technique. » En revanche, les formateurs apportent des conseils sur des techniques d’enseignement, donnent des outils pédagogiques et un cadre théorique à la pratique. Et c’est une évaluation écrite qui sanctionne le diplôme qu’Alexandre a obtenu en 2007. Le DIF lui permet d’être enseignant bénévole, à la différence d’enseignant professionnel qui requiert un brevet d’État. Dès la rentrée 2007, après avoir obtenu l’autorisation de la ligue et de la fédération de karaté, il crée avec Philippe une association pour dispenser des cours au sein de l’intercommunalité de Blangy- Pont-l’Évêque. La collectivité met deux dojos à disposition des deux professeurs. « Pour moi, ce n’est qu’un loisir annexe à mon métier d’infirmier, souligne Alexandre. Je ne voudrais pas en faire une activité lucrative car je prendrais le risque que cela devienne une contrainte. » Les deux instructeurs dispensent des cours pour les adultes comme pour les enfants à partir de six ans, ainsi que des cours de self-défense destiné aux femmes. « Le samedi matin, l’entraînement est collectif, il n’est donc pas rare de voir des parents venir s’entraîner avec leurs enfants, indique l’infirmier. Les exercices s’adaptent à tous les âges, c’est l’exigence qui diffère en fonction du niveau des élèves. » Si la première année, une dizaine d’élèves suivaient le cours des deux professeurs, désormais, ils sont une cinquantaine. « C’est la transmission et le fait de constater la progression des élèves qui me plaisent le plus dans le fait d’enseigner, explique Alexandre. J’apprécie de voir que je suis parvenu à me faire comprendre et que les élèves ont réussi à intégrer mon enseignement. » Les deux professeurs préparent les élèves au passage de grades, leur but étant de les amener à la ceinture noire, et ceux qui souhaitent faire de la compétition peuvent également s’y préparer.
Les examens de karaté sont internes au club, sauf pour l’obtention de la ceinture noire. Une commission des grades, composée de membres de jury ayant un dan au-dessus du “candidat”, évalue les capacités de ce dernier. Alexandre prépare son quatrième dan pour la fin d’année. « Je dois présenter pour cet examen un programme technique imposé avec des katas puis les expliquer avec une mise en situation, ce que l’on appelle bunkaï. » Le candidat doit également travailler sur une cible afin de montrer son contrôle et sa gestion de la distance, et présenter plusieurs enchaînements techniques qu’il aura lui-même créés. Pour se préparer, Alexandre continue à prendre des cours à Mézidon-Canon, à environ 25 kilomètres de Lisieux, avec son professeur Dominique, cinquième dan. « Je prends des cours par plaisir et aussi parce qu’en tant qu’enseignant, on a toujours besoin de progresser, de se remettre en question et de s’entendre dire par quelqu’un de plus gradé qu’on ne fait pas forcément les mouvements correctement », souligne-t-il. Sa passion pour le karaté, Alexandre la partage avec sa compagne Aurélia, qui suit ses cours et qui est également infirmière libérale.
« J’ai toujours été attiré par le milieu médical, notamment parce que ma mère est aide-soignante », raconte Alexandre. Après le baccalauréat, il souhaite devenir médecin et se rend à la journée de pré-rentrée. Mais les professeurs réussissent à le démotiver. « À l’époque, le nombre de places au concours de médecine était vraiment très limité. J’avais 17 ans et le discours décourageant des professeurs a fonctionné sur moi ! » Il se cherche alors un peu. Et c’est en effectuant un remplacement d’été comme agent de service hospitalier à l’hôpital de Lisieux que son envie de travailler dans le milieu médical se confirme. « J’ai donc préparé le concours d’infirmier et cela a fonctionné ! » Il intègre l’Ifsi de Lisieux, où il rencontre sa future compagne. Après l’obtention de son diplôme, il part exercer à l’hôpital de Bernay, à une trentaine de kilomètres de Lisieux, car l’hôpital de Lisieux ne prenait que six infirmiers diplômés, et y travaille en service de médecine cardiologique pendant un an. Puis il attend sa titularisation qui ne vient pas. « Je n’avais pas envie de stagner professionnellement, j’ai donc décidé de quitter l’hôpital, à contrecœur, car cette activité était très intéressante, très formatrice et j’aimais le travail d’équipe ainsi que l’ambiance. » Et de poursuivre : « En plus, à l’hôpital, on assiste à toutes les innovations dans le domaine de la médecine. Mais ce qui m’a également fait partir, c’est le temps de plus en plus important qu’il fallait consacrer à la paperasse. Le cadre est tellement strict en termes de traçabilité que l’on passe moins de temps auprès des patients. C’est vraiment dommage ! » Alexandre fait le choix de l’intérim pendant trois ans à Caen. « Cette période a également été très formatrice car j’ai travaillé en alternance dans plusieurs types d’établissements : laboratoires, entreprises, prestataires, dispensaires, cliniques. Les missions étaient parfois prévues longtemps à l’avance, notamment pour les remplacements d’été, et d’autres fois, c’était du jour au lendemain. Je ne suis jamais resté plus d’un mois sans travailler. » En parallèle, il fait plusieurs remplacements en libéral. « C’est intéressant comme fonctionnement car très flexible. Mais, pour se poser, ce n’était pas l’idéal. »
Sa compagne, qui l’a suivi à chacun de ses déplacements, a alors l’opportunité de reprendre un cabinet dans la campagne environnante de Lisieux. Ils retournent donc à Lisieux en 2010, et Alexandre devient remplaçant attitré d’un cabinet de la ville. « Ma collègue ne fait appel qu’à moi, et on organise nos semaines à deux », explique-t-il. Ce qui lui plaît dans le libéral ? « Ne plus avoir l’impression d’être un pion, gérer mon planning plus facilement, passer plus de temps auprès des patients et nouer des liens avec eux. On a l’impression de faire partie de leur famille. » La collègue d’Alexandre part à la retraite fin 2016 et il est prévu que l’infirmier reprenne le cabinet. « Nous allons commencer à chercher quelqu’un car je ne veux vraiment pas travailler sept jours sur sept », souligne ce jeune père qui accorde une priorité absolue à sa vie de famille. D’ailleurs, avec sa compagne, ils se sont arrangés pour avoir les mêmes jours de repos. Son objectif est de reproduire le même fonctionnement qu’actuellement mais avec un nouveau collègue qui reprendra la moitié des parts pour être associé. Dans un premier temps, ils travailleront à trois, afin que le nouvel associé ait le temps de prendre ses marques. « Il devra avoir la même façon de travailler que nous, avoir un certain savoir-être et arriver avec le sourire chez les patients », souligne Alexandre, dont le cabinet ne fait pas la course au chiffre d’affaires. « Nous gagnons déjà très bien notre vie, nous préférons donc avoir moins de patients mais bien les prendre en charge. » Le nouvel associé devra s’adapter à cet état d’esprit.