L'infirmière Libérale Magazine n° 314 du 01/05/2015

 

Antalgie

Cahier de formation

LE POINT SUR

Marie-Claude Daydé  

Démarche initiale de la prise en charge de la douleur, l’évaluation allie l’observation clinique, la connaissance d’outils pratiques et le partage en équipe des éléments recueillis.

L’observation clinique

→ À domicile, la connaissance des patients, de leur environnement et de leurs habitudes de vie permet, à partir de l’écoute, de l’observation et du jugement clinique de l’infirmière, de repérer les patients douloureux.

→ 60 % des personnes de plus de 65?ans souffrent de douleurs chroniques(1). Ces douleurs peuvent engendrer une perte d’autonomie, un repli sur soi, des troubles du sommeil, un état dépressif… et porter atteinte à la qualité de vie. Les modifications des habitudes de vie d’une personne âgée (qui ne fait plus son marché, réduit son périmètre de marche…), de son état émotionnel (la personne pleure facilement…) et de son comportement (elle communique de moins en moins), peuvent être des signaux d’alerte pour les infirmières. La douleur peut en être la cause, même s’il n’y a pas de plainte. L’absence de plainte peut être liée à la crainte d’un traitement qui pourrait altérer l’autonomie.

→ L’appréhension ou le refus de certains soins doivent également attirer l’attention sur d’éventuelles douleurs induites (douleurs aiguës) par des mobilisations ou un pansement par exemple.

→ Une plainte doit toujours être entendue et prise en compte par une évaluation.

Les différents éléments à évaluer

Le principe de l’évaluation repose sur des questions simples : où, quand, comment, combien ? Elles peuvent être facilement mémorisées en utilisant l’outil TILT, qui invite à évaluer :

→ le Type de douleurs,

→ l’Intensité,

→ la Localisation,

→ le Temps.

En complément, il peut être intéressant de savoir ce qui soulage ou aggrave la douleur. Certains patients repèrent eux-mêmes des moyens non médicamenteux comme la chaleur (pour détendre un muscle douloureux) ou le froid (pour ralentir un processus inflammatoire) qui peuvent les soulager.

Des échelles et questionnaires supports de l’évaluation

→ Il existe différents outils validés, qui se présentent sous forme d’échelles ou de questionnaires et sont adaptés à l’âge du patient, son aptitude à communiquer ou encore au type de douleur qu’il présente.

→ L’autoévaluation est à privilégier, chaque fois qu’elle est possible, car la douleur est une expérience subjective, sensorielle et émotionnelle désagréable que chaque personne ressent de façon singulière. Les trois principales échelles d’autoévaluation de l’intensité sont les suivantes.

Autoévaluation

L’échelle numérique

L’échelle numérique est celle qui est la plus couramment utilisée à domicile car elle peut être proposée sous forme orale ou écrite. Elle consiste à quantifier l’intensité de la douleur entre 0 (pas de douleur) et 10 (douleur maximale).

L’échelle visuelle analogique

Cette échelle comprend une face réservée au patient avec un curseur positionnable d’une extrémité, “douleur absente”, à l’autre, “douleur maximale imaginable”. Sur la face, réservée à l’évaluateur, le curseur utilisé par le patient se situe entre 0 (pas de douleur) et 10 (douleur maximale). Cette échelle est peu adaptée aux personnes de plus de 65 ans et à celles qui ont des difficultés d’abstraction. Elle est utilisable par les enfants dès 5-6 ans.

L’échelle verbale simple

Elle comprend quatre ou cinq qualificatifs permettant de préciser l’intensité de la douleur (absente, faible, modérée, intense, extrêmement intense). Son utilisation simple est adaptée aussi aux personnes âgées.

Hétéro-évaluation

L’échelle Doloplus 2

Utilisée en situation chronique chez les personnes âgées ayant des troubles de la communication verbale. L’observation par les professionnels se fait sur cinq items somatiques, deux items psychomoteurs et trois items psychosociaux. Chaque item est coté de 0 à 3 et un score supérieur à 5/30 affirme la douleur. Cette échelle s’utilise en équipe.

L’échelle Algoplus

Elle évalue la douleur aiguë par l’observation du visage, du regard, du corps, du comportement et des plaintes orales. Pour chaque item, il existe deux niveaux de cotation : “oui” ou “non”. Un score supérieur à 2/5 atteste de la présence de douleur.

Questionnaire DN4

Outil d’aide au diagnostic de la douleur neuropathique chez l’adulte communicant, il comprend quatre questions et dix sous-questions (existence de brûlures, décharges électriques…) avec pour réponse “oui” ou “non”. Chaque “oui” comptabilise un score de 1 et un score global supérieur à 4/10 atteste de la douleur.

La traçabilité de la démarche

Selon une enquête menée par un réseau douleur en Loire-Atlantique(2), 54 % des infirmiers libéraux assurent une traçabilité de l’évaluation (dossier de soins ou cahier de transmission). La traçabilité permet de comparer les différentes évaluations et de vérifier si le traitement mis en place est efficace ou s’il doit être modifié.

Le travail d’équipe

Les douleurs peuvent présenter différentes temporalités, permanentes, intermittentes, et évoluer dans le temps. À domicile, les observations de tous ceux qui côtoient la personne douloureuse (professionnels de santé, aides à domicile, familles…) sont importantes. Les uns peuvent rencontrer une personne non douloureuse lorsqu’ils la voient au repos (médecin par exemple) et les autres la trouver douloureuse parce qu’ils la mobilisent (infirmière, aide-soignante, kinésithérapeute…). Les proches témoignent parfois que la douleur survient surtout la nuit, ce qui peut faire évoquer des douleurs de type inflammatoire, ou encore d’une composante affective de la douleur se traduisant par de l’anxiété la nuit. En cancérologie, les douleurs sont souvent complexes (nociceptives et neuropathiques, avec parfois des accès paroxystiques) et associées à la souffrance. Les regards croisés de l’ensemble des membres de l’équipe sont donc importants. Toute réévaluation de la douleur doit prendre en compte l’observance des traitements en cours.

(1) Plus d’informations dans le programme MobiQual (lien : bit.ly/1Nx8EBa).

(2) Nathalie Relet, “Enquête auprès des infirmiers libéraux de Loire-Atlantique”, REDO 44, 2011, via le lien raccourci bit.ly/1O87uJt

Ce pointsur l’évaluation inaugure une série d’articles sur la prise en chargede la douleur. Nous évoquerons les traitements médicamenteux et non médicamenteux dans nos numéros de juin puis juillet.

Quelques idées à bannir !

« Vous avez mal, c’est normal vu votre âge »

Les polypathologies de la personne âgée doivent attirer l’attention sur les douleurs multiples qu’elles peuvent générer. Il faut évaluer et soulager ces douleurs.

« Le pansement est douloureux, ce n’est pas grave, il ne dure pas longtemps »

La mémoire de la douleur, elle, dure. Il convient donc de l’évaluer avant, pendant et après le soin.

« Une si petite plaie ne fait pas si mal »

Il n’y a pas de corrélation entre l’intensité de la douleur et l’étendue d’une plaie. Une petite plaie peut être pourvoyeuse de douleurs intenses. Toute plainte ou modification du comportement doit conduire à une évaluation.

EN SAVOIR +

→ D’autres échelles d’évaluation (nourrisson, enfant, adolescent et adulte handicapés, personne âgée…) sont disponibles sur le site du CNRD (www.cnrd.fr).