L'infirmière Libérale Magazine n° 314 du 01/05/2015

 

LOI DE SANTÉ

Actualité

LAURE MARTIN  

RÉFORME >  Adopté le 14 avril par les députés, le projet de loi de modernisation du système de santé va poursuivre son chemin au Sénat dans les prochains mois. En attendant, retour sur les principales mesures votées à l’Assemblée nationale.

LA MESURE LA PLUS INATTENDUE

L’amendement proposé par la députée apparentée socialiste Annie Le Houerou pour supprimer l’Ordre national des infirmiers (ONI), annulant la loi du 21 décembre 2006, a été suivi, dans la nuit du 9 au 10?avril, par 19?voix contre 10. Un vote auquel ont donc participé… 5 % des députés, et dont l’issue est contraire à l’avis du gouvernement. La ministre de la Santé a en effet estimé qu’il était important « d’avoir des structures qui régulent ». Le Syndicat des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) s’est dit « sous le choc », évoquant un « retour en arrière pour la profession infirmière », tout comme l’Académie des sciences infirmières qui a affiché sa « consternation ». L’Association nationale francophone des infirmières et infirmiers diplômés et étudiants (Anfiide), entre autres, s’est prononcée pour le maintien de l’ONI, et une pétition en ce sens a été lancée par un Idel (bit.ly/1OuG8gR). La Fédération nationale des infirmiers (FNI) a estimé au contraire que cette décision était une « victoire pour la démocratie ». De son côté, le principal intéressé, l’ONI, a aussitôt souligné qu’il fallait attendre le vote du Sénat pour vraiment acter de sa disparition. Le Centre de liaison des institutions ordinales (CLIO), réunissant les seize Ordres ou chambres de professions réglementées, a fait part de sa stupeur et sollicité une audience au président de la République (lire aussi notre édito p. 5).

LES MESURES POUR LES INFIRMIÈRES

Les députés ont acté la possibilité pour les professionnels paramédicaux d’exercer en pratique avancée mais uniquement au sein d’une équipe de soins primaires ou de soins en établissements de santé, coordonnée par le médecin, l’objectif étant la création du métier d’infirmier clinicien. « Ce sont en réalité des pratiques presque avancées puisque les syndicats médicaux ont tout mis en œuvre pour retirer la notion de diagnostic aux infirmiers », regrette Philippe Tisserand (FNI). Pour Annick Touba (Sniil), les pratiques avancées sont une évolution, « mais nous déplorons que tout ce qui est mis en place le soit pour combler la pénurie de médecins ». Les députés ont par ailleurs élargi les lieux pouvant être agréés “terrains de stage” dans le secteur ambulatoire afin que les étudiants puissent réaliser des stages dans des structures d’exercice coordonné (maisons de santé pluriprofessionnelles, centres de santé) ou en cabinet libéral.

LA MESURE QUI A ÉVOLUÉ

Le service territorial de santé au public, qui a suscité de vives critiques des représentants des professionnels libéraux craignant un contrôle des Agences régionales de santé (ARS), a été remplacé par les communautés professionnelles territoriales de santé. Désormais, les professionnels décident d’eux-mêmes de se constituer en communauté professionnelle, et c’est uniquement à défaut d’initiative de leur part que les ARS pourront intervenir. La communauté devra être composée de professionnels de santé regroupés sous la forme d’équipes de soins primaires qui devront transmettre à l’ARS un projet de santé, et cette dernière pourra conclure des contrats territoriaux de santé pour répondre aux besoins identifiés. Les ARS ont également une nouvelle mission d’appui aux professionnels pour la coordination des cas complexes, afin d’éviter des hospitalisations inutiles. Enfin, un “pacte territoire-santé” visera à « promouvoir la formation et l’installation des professionnels de santé en fonction des besoins des territoires ». La FNI et le Sniil regrettent que le médecin demeure le pivot et concentre tous les pouvoirs.

LA MESURE EMBLÉMATIQUE

Malgré les contestations, la ministre a maintenu la généralisation du tiers payant, achevée le 30 novembre 2017. Les caisses d’Assurance maladie devront régler les professionnels de santé sous sept jours, sous peine de pénalités. Le syndicat Convergence infirmière a soutenu les généralistes, faisant savoir que la profession infirmière était déjà « confrontée » « aux problèmes de délégation de paiement » depuis de nombreuses années, et que « ce système n’était pas une panacée ».

LES MESURES RESTÉES DISCRÈTES

Afin de rejoindre « le mouvement modernisateur de l’open data », et créer la plus grande base de données médicales au monde, le ministère de la Santé souhaite permettre à des chercheurs, associations, professionnels de santé, entreprises, startup, d’accéder à certaines données anonymisées. L’objectif est de « renforcer la démocratie sanitaire, améliorer la performance du système de santé et stimuler l’innovation médicale ». Toutes les données hospitalières ou médico-sociales seront concentrées dans un système national des données de santé. Pour y accéder, les demandeurs devront obtenir un triple avis positif d’un comité d’experts scientifiques, du collège de l’Institut national des données de santé et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. L’Association des journalistes de l’information sociale s’était inquiétée des conséquences de cette mesure pour la liberté d’informer. Les députés ont par ailleurs voté le droit à l’oubli pour certains anciens malades du cancer pour l’obtention d’un prêt ou la négociation des conditions d’assurance.

LES MESURES ABANDONNÉES

La mesure permettant au pharmacien d’accomplir l’acte vaccinal a été retirée. La ministre a néanmoins affirmé que cette pratique ferait l’objet d’une expérimentation.

Autre mesure ayant provoqué l’ire des représentants syndicaux et de l’ONI : l’amendement prévoyant, en établissements médico-sociaux, la délégation d’actes infirmiers à des non-soignants leur permettant après formation de réaliser l’administration de Valium en cas de crise d’épilepsie convulsive chez une personne handicapée, des aspirations trachéales, des nutritions par gastrotomie. L’ONI a estimé que cela soulevait une question grave pour la sécurité des soins. La mesure a été retirée.

Enfin, le statut d’infirmière référente, proposé par la députée UMP Claude Greff, qui avait pour objectif de traduire dans la loi la notion d’infirmière de famille pour les personnes en perte d’autonomie, n’a pas été adopté.

La lutte se poursuit

Pendant l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale, une soixantaine d’organisations et de syndicats, des membres du Mouvement pour la santé de tous, ont poursuivi leur action en envoyant séparément à la ministre une lettre demandant un report du projet de loi dans l’attente de la future grande conférence de santé, et la poursuite de la concertation sur le texte. Le Premier ministre a annoncé l’organisation d’une conférence d’ici fin 2015- début 2016, qui constituerait « une nouvelle étape » dans la mise en œuvre de la stratégie nationale de santé. Les internes poursuivent aussi leurs actions, et ont lancé une pétition nationale en ligne contre le projet de loi, comme la FNI. Le Sénat devrait examiner le texte dans les prochains mois dans le cadre d’une procédure dite “accélérée” (une seule lecture par Chambre : une à l’Assemblée, une au Sénat).