Médicament LA RÉGU LATION À LA FRANÇAISE EST-ELLE SÛRE ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 314 du 01/05/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 314 du 01/05/2015

 

Le débat

SANDRA MIGNOT  

Vioxx ou Mediator, plusieurs scandales liés à la sécurité du médicament en France ont précédé les révélations récentes par Mediapart de “liens d’affaires” entre des experts chargés de la régulation(1) et l’industrie pharmaceutique. De telles relations font-elles peser des risques réels sur les patients ?

Nathalie Dallard

Infirmière et membre du conseil d’administration de l’association Formindep(2)

À la lumière des affaires Cahuzac et Morelle, et des dernières révélations de Mediapart, l’existence de liens entre experts du médicaments et industrie pharmaceutique peut-elle faire courir des risques aux patients ?

Oui, car cela montre que notre système de régulation n’est pas indépendant. Les firmes font les essais cliniques, publient ou conservent les données, les présentent aux autorités de régulation ou aux experts qui ont quasiment tous des liens avec l’industrie pharmaceutique, ils ne peuvent donc pas avoir de réel regard critique. Ils ne sont d’ailleurs même pas formés en conséquence. Ce sont des médecins qui ont bénéficié toute leur vie professionnelle d’une formation continue assurée par les laboratoires… Nous avons vu avec le Vioxx - ou plus récemment avec le Pradaxa, un anticoagulant dont le service rendu a été réévalué à la baisse en janvier dernier par la Haute Autorité de santé - que tous les essais ne sont pas toujours joints au dossier présenté aux autorités de régulation pour obtention de l’AMM : les laboratoires ne publient et ne soumettent que les recherches qui sont en faveur de leur produit. Et les experts ne vont pas chercher ailleurs…

Des modifications utiles ont-elles été apportées au système de régulation depuis l’affaire du Mediator ?

À présent, les médecins et professionnels de santé ont l’obligation de déclarer leurs liens d’intérêts avec les entreprises pharmaceutiques. Mais il n’y a toujours pas d’obligation de déclarer les montants des contrats et conventions(3), alors qu’ils représentent d’importantes sommes d’argent et donc des liens très forts. Seuls les avantages doivent être déclarés. Par ailleurs, ces déclarations ne sont pas contrôlées et il n’existe aucun système de sanction. Donc il reste beaucoup à faire.

Si une amélioration devait être apportée au système, laquelle privilégieriez-vous ?

Pour garantir la sécurité des patients, il faut une indépendance des agences de régulation ainsi qu’une école de l’expertise, incluant les compétences de statisticiens, de mathématiciens capables d’évaluer la qualité des dossiers soumis. Cette école formerait ceux qui travaillent pour les autorités de régulation et dont la formation n’est actuellement ni suffisante, ni indépendante. Par ailleurs,les médecins qui travaillent avec l’industrie pharmaceutique ne doivent pas faire partie des instances de régulation.

Anne Laude

Responsable du master 2 droit des industries des produits de santé à l’université Paris-Descartes et co-directrice de l’Institut droit et santé

À la lumière des affaires Cahuzac et Morelle, et des dernières révélations de Mediapart, l’existence de liens entre experts du médicaments et industrie pharmaceutique peut-elle faire courir des risques aux patients ?

Je ne peux pas être catégorique. Il faut s’interroger : quels peuvent être les effets de ces liens, quand ils ne sont pas déclarés et qu’ils placent l’expert en situation de conflit d’intérêts ? Cela peut avoir un impact négatif. Des jurisprudences ont déjà sanctionné des décisions prises en commission de transparence par des experts qui n’avaient pas déclaré leurs liens ou avaient participé à la décision tout en étant en conflit d’intérêts. Si un expert en conflit d’intérêts peut entraîner une prise de décision en faveur de la mise sur le marché d’un produit dont la balance bénéfice/risque n’est pas positive, il y a un problème potentiel quant à la sécurité… Mais en ce qui concerne les affaires Vioxx ou Mediator par exemple, je ne sais pas si ce sont uniquement ces conflits qui ont empêché le retrait du marché de produits pouvant mettre en danger des patients, voire provoquer des décès…

Des modifications utiles ont-elles été apportées au système de régulation depuis l’affaire du Mediator ?

La loi dite “post-Mediator” du 29 décembre 2011 a apporté différentes modifications. La régulation du médicament après sa mise sur le marché a été améliorée. Et un Sunshine Act à la française a été mis en place qui oblige plus largement tous les acteurs de la santé à déclarer leurs liens d’intérêts. Les médecins participant aux instances de régulation doivent déclarer les avantages reçus et les conventions signées avec l’industrie pharmaceutique. Le tout est consultable en ligne. Les montants des contrats ne sont pas affichés, mais tout un chacun est au moins alerté des difficultés éventuelles.

Si une amélioration devait être apportée au système, laquelle privilégieriez-vous ?

Publier les montants des conventions et contrats pourrait être intéressant, ainsi qu’un contrôle du contenu des déclarations obligatoires déposées auprès des commissions de déontologie des différentes agences. Mais je pense surtout que le conflit d’intérêts relève d’une posture et d’un état d’esprit qui vont évoluer dans les années à venir à la lumière de la médiatisation de ces affaires.

(1) La Haute Autorité de santé, l’Agence nationale de sécurité du médicament etle LEEM (les entreprises du médicament) ont décliné notre demande d’interview.

(2) Formindep « regroupe des professionnels de santé, des patients et des citoyens soucieux de favoriser une formation professionnelle et une information indépendantes auprès du public, c’est-à-dire dégagées de toute influence d’organismes pouvant avoir d’autres finalités que l’intérêt seul des patients ».

(3) À l’heure où notre magazine est imprimé, un amendement à la loi de santé prévoit la publication des rémunérations perçues dans le cadre des conventions signées par les professionnels de santé avec l’industrie pharmaceutique.