L'infirmière Libérale Magazine n° 315 du 01/06/2015

 

Pédiatrie

Cahier de formation

LE POINT SUR

Damien Lannoy*   Amandine Cailleau**  

Les médicaments fabriqués pour les enfants sont limités en nombre, et les risques de confusion importants. L’Idel est particulièrement vigilante quant aux unités utilisées, à la manipulation des dispositifs d’administration et aux conseils apportés aux patients.

Des sources d’erreurs

Lors du développement de nouveaux médicaments pédiatriques, les industriels délaissent de plus en plus l’emploi de la cuillère de cuisine comme unité de prise. En effet, les cuillères à dessert, à thé, à café ou à soupe varient d’un foyer à l’autre(1). Désormais, des dispositifs doseurs, sous des formats divers (pipettes-seringues, cuillères mesures spécifiques, gobelets…), sont fournis avec le médicament. Mais cette multitude de dispositifs a conduit à l’apparition de nouvelles erreurs et accidents. La confusion entre des modèles très divers figure parmi les causes du risque accru d’erreurs médicamenteuses chez les enfants(2) et de variabilité de la dose d’administration.

L’usage des dispositifs(3)

Voici plusieurs exemples de situations où la vigilance est de mise.

→ Le recours à une pipette spécifique est parfois critique. Citons la situation des formes buvables d’Advil 20 mg/mL (ibuprofène), présent dans de nombreuses armoires à pharmacie familiales : quel que soit le médicament buvable, la concentration est identique entre générique et princeps (Advil), mais la pipette doseuse varie. En fonction du princeps ou d’un générique, la dose graduation-kg n’est pas la même. Ainsi, pour le générique de Mylan, le Nureflex ou l’Antarène, une dose-kg correspond à 0,5 mL, soit 10 mg de la molécule active (ibuprofène). En prenant la pipette d’Advil, la dose-kg correspond à 0,375 mL, soit 7,5 mg d’ibuprofène. Cette différence de volume dans la graduation dose-kg explique que l’espacement entre les prises soit de huit heures pour le générique du laboratoire Mylan, le Nureflex ou l’Antarène, tandis que la dose d’Advil se renouvelle au bout de six heures.

→ Une attention particulière doit être portée aux unités et conversions. Ainsi, il faut redoubler de vigilance avec les pipettes graduées en mg de principe actif et non en dose-kg, comme le Codenfan (codéine)(4). Autre exemple : certaines seringues doseuses fournies sont exprimées en mL (Trileptal 60 mg/mL, source d’erreurs, ou Keppra 100 mg/mL). Dans ce cas, bien vérifier si la conversion est notée sur la prescription et, le cas échéant, dans le tableau de conversion proposé par exemple par le Vidal. Il est préférable que la prescription soit alors exprimée en mg de principe actif.

→ Dans le cas de système compte-gouttes (Célestène 0,05 % par exemple), il faut bien maintenir droit le compte-gouttes pour éviter les risques de surdosage dû à des gouttes plus grosses si celui-ci est incliné.

→ Certains médicaments, comme la Rifadine 2 %, présentent une cuillère double, c’est-à-dire un manche à deux embouts : un côté cuillère à 2,5 mL, un côté cuillère à 5 mL.  Il faut veiller à expliquer le choix de l’embout à employer selon la posologie.

→ La Fucidine enfant 250 mg/5 mL (acide fusidique) et la Fucidine nourrisson 100 mg/2 mL contiennent la même cuillère doseuse permettant de mesurer 5 ou 2 mL selon la forme enfant ou nourrisson respectivement.

L’administration des antibiotiques

Une dose-poids qui peut être limitée

Malgré la présence de pipettes et de graduation en dose-kg, certains antibiotiques s’administrent avec une dose-poids limitée. Ainsi, pour l’azithromycine (Zithromax 40 mg/mL), la dose maximale à ne pas dépasser figurant dans l’autorisation de mise sur le marché, quel que soit le poids de l’enfant, est de 500 mg par prise (c’est la dose adulte), soit 25 doses-poids. Autrement dit, un enfant de plus de 25 kg ne recevra pas une dose supérieure à 25 kg. Au-delà de 25 kg, de toute façon, la posologie journalière est fixe : 500 mg par jour, pas plus, comme chez l’adulte. De même pour le cefuroxime (Zinnat 125 mg/5 mL), la graduation maximale est de 17 kg (c’est-à-dire 250 mg), et pour l’amoxicilline, la graduation maximale est de 37 kg.

Les modalités de reconstitution

→ Il convient de veiller aux modalités de reconstitution qui sont parfois critiques et doivent être bien vérifiées sur la notice. De manière générale, il faut commencer par agiter le flacon (pour désagglomérer la poudre), ajouter de l’eau du robinet ou minérale non gazeuse jusqu’au trait de jauge indiqué sur le flacon, fermer, agiter le flacon pour homogénéiser son contenu. Il peut être nécessaire de recompléter si besoin jusqu’au trait de jauge.

→ Des spécialités sont dotées d’un godet verseur gradué associé pour faire la reconstitution (Zithromax, azithromycine ; Revatio, sildénafil) et à ne pas utiliser pour l’administration.

→ Quelques cas particuliers à citer :

• Zinnat (céfuroxime) : après reconstitution entre 2 et 8 °C, la suspension doit reposer au moins vingt minutes au réfrigérateur avant la première utilisation (stabilisation) ;

• Orelox (cefpodoxime) et génériques : la capsule de déshydratation située à l’intérieur du bouchon est à retirer et à jeter.

Le mode d’administration et de gestion du dispositif

Le médicament liquide doit être agité avant le prélèvement et administré à l’enfant en position assise. Il faut bien nettoyer la pipette à l’eau du robinet et la ranger dans la boîte ou la coller sur le flacon, de manière à ne pas la perdre (ni en utiliser une autre potentiellement inadaptée). Pour les médicaments cytotoxiques (Xaluprine), il faut obligatoirement jeter la pipette dans une filière adaptée aux cytotoxiques.

Le conseil aux familles

L’Agence nationale de sécurité du médicament et des autres produits de santé (ANSM) énumère, pour les patients et leurs proches, quatre règles pour limiter le risque d’erreur (5) :

→ à chaque médicament donné correspond un dispositif d’administration : les dispositifs ne sont pas universels ni interchangeables et sont spécifiques du médicament avec lesquels ils ont été délivrés ;

→ toujours conserver le dispositif d’administration avec le médicament correspondant ;

→ en cas de doute sur l’utilisation du dispositif d’administration ou sur la prescription, demander conseil à un professionnel de santé ;

→ toujours lire la notice d’information avant l’utilisation.

Aux professionnels de santé, notamment aux pharmaciens lors de la dispensation et aux infirmières libérales lors de l’administration, de sensibiliser les patients à ces aspects, en s’assurant « de la bonne compréhension de la posologie et du mode d’administration des médicaments par le patient ou ses proches ». L’ANSM incite les professionnels à « regarder le dispositif d’administration avec le patient ou ses proches ». Les professionnels de santé s’assurent aussi que le médicament et son conditionnement sont les plus adaptés au patient.

(1) On dit qu’une cuillère à café contient 5 ml, celle à dessert 10 ml, celle à soupe 15 ml…

(2) Relire l’item sur “les populations à risque” dans notre cahier de formation sur l’automédication, dans le numéro 294 de juillet-août 2013.

(3) À lire, Florence Bontemps et Damien Lacroix, “Piège des formes pédiatriques”, Le Moniteur des pharmacies, cahier 2 du numéro 2982, mai 2013.

(4) Des pharmacies hospitalières sont toujours sollicitées pour fabriquer ce produit (fiche du Codenfan à consulter en ligne : bit.ly/1zZVWou).

(5) Campagne d’information “Ne vous mélangez pas les pipettes”, novembre 2013, à lire sur le site de l’ANSM, via ce raccourci : bit.ly/1GQWxpH

Délicate reconstitution

Pour le Cozaar en solution buvable, qui se présente sous forme de poudre à reconstituer par un professionnel de santé, la boîte contient 473 mL de solvant, or il faut 200 mL pour le reconstituer. Le flacon a une contenance prévue de 240 mL pour un volume de reconstitution de 200 mL, d’où un risque de sous-dosage. Dans certaines conditions, il est recommandé, voire imposé, que ce soit le pharmacien qui réalise la reconstitution initiale du médicament. Cela est ainsi recommandé pour le Revatio (sildénafil) disponible dans les pharmacies d’hôpital ; obligatoire pour le CellCept (mycophénolate mofétil) (1 g/5 mL) pour nourrisson et enfant (tératogène et pour lequel le volume d’eau à ajouter, en deux fois, est de 94 mL).