L'infirmière Libérale Magazine n° 315 du 01/06/2015

 

Antalgie

Cahier de formation

LE POINT SUR

Anne-Lise Favier*   Godefroy Hirsch**  

Les manifestations de la douleur étant très variées selon les individus et les pathologies auxquelles elle est associée, il n’existe pas une voie médicamenteuse unique pour la traiter mais plusieurs molécules à utiliser, seules ou en association.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) classe les antalgiques (ou analgésiques) en trois niveaux selon le degré d’intensité de la douleur. Si cette classification convient aux douleurs par excès de nociception, les plus répandues, elle ne prend pas en compte les molécules qui sont utilisées pour les douleurs neuropathiques.

Les douleurs par excès de nociception

Ce sont les douleurs les plus fréquentes, celles rencontrées après un traumatisme, en suites opératoires, lors des soins et dans un grand nombre de pathologies. Un excès de stimulation des récepteurs périphériques de la douleur (les nocicepteurs) en est à l’origine. On peut les traiter par trois niveaux d’antalgiques, tels que définis par l’OMS.

Les antalgiques de niveau 1

Ils sont utilisés pour les douleurs légères à modérées, les plus fréquentes (céphalées, douleurs dentaires, musculaires ou tendineuses) et peuvent être utilisés en automédication. Ce sont des antalgiques périphériques non opioïdes. Voici les trois principaux produits :

→ l’aspirine soulage les maux de tête et les douleurs ORL (avec fièvre). Elle était largement prescrite il y a quelques années, mais ses effets secondaires (risque d’hémorragies et d’ulcères) ont conduit les médecins à la délaisser au profit du paracétamol ;

→ le paracétamol, molécule antalgique “à tout faire”, est indiqué dans les douleurs non inflammatoires et, comme l’aspirine, il a aussi une action antipyrétique. C’est le seul antidouleur qui peut être utilisé sans risque chez la femme enceinte. Il ne faut cependant pas, pour un adulte, dépasser la dose maximale de 4 g par jour, et il convient d’utiliser avec prudence le paracétamol chez les patients en insuffisance rénale ;

→ l’ibuprofène est la molécule des douleurs avec inflammation (comme les douleurs articulaires ou dentaires). Il a des effets sur le tube digestif, et une récente recommandation de l’Agence européenne du médicament a mis en garde sur les risques cardiovasculaires (AVC, infarctus)* lors des posologies très importantes (2 400 mg par jour).

Les antalgiques de niveau 2

Ils sont utilisés pour les douleurs modérées à intenses, non soulagées par les antalgiques précédents. Ce sont des antalgiques centraux opioïdes faibles.

La codéine et le tramadol : deux morphiniques faibles qui peuvent être utilisés seuls ou en association avec un antalgique de niveau 1 comme le paracétamol. Attention aux effets indésirables, essentiellement digestifs (constipation, nausées…).

Les antalgiques de niveau 3

Pour les douleurs intenses à très intenses, on fait appel aux opioïdes.

→ La morphine existe sous forme orale (comprimés, gouttes…) et injectable (sous-cutanée ou intraveineuse) et reste l’opioïde de référence. Elle soulage la plupart des douleurs (dans le cas du cancer, mais aussi des douleurs articulaires ou post-chirurgicales). Ses effets indésirables sont essentiellement digestifs (surtout constipation, plus rarement nausées, vomissements). Il n’existe pas de dépression respiratoire si l’utilisation des posologies est adaptée. La morphine est le seul médicament pour lequel chaque individu a une sensibilité particulière : il est nécessaire d’ajuster la dose qui lui convient au moyen d’une augmentation progressive de la posologie antérieure (principe de titration).

→ Le fentanyl est un dérivé synthétique de la morphine administré sous forme de patch, de comprimé sublingual ou gingival et il est cent fois plus puissant que la morphine. Les formes transmuqueuses peuvent être utilisées pour les accès douloureux paroxystiques d’origine cancéreuse. Les effets indésirables sont sensiblement les mêmes que ceux de la morphine.

→ D’autres dérivés de la morphine (hydromorphone, oxycodone) peuvent aussi être utilisés en cas d’intolérance à la morphine ou de diminution d’efficacité (rotation des opioïdes).

La plupart des morphiniques existe sous forme LI, pour libération immédiate (durée quatre heures) et LP, pour libération prolongée (durée douze heures).

À noter : les différents niveaux décrits par l’OMS sont à respecter pour débuter un traitement antalgique, mais une douleur peut d’emblée être traitée par des analgésiques de niveau 3 (morphiniques) si elle est intense.

À noter : certains médicaments, comme les anti-inflammatoires stéroïdiens et non-stéroïdiens, peuvent être associés aux antalgiques, car ils optimisent l’effet anti-douleur.

Les douleurs neuropathiques

Elles sont dues à des lésions du système nerveux périphérique (conséquence d’une amputation, d’un nerf sectionné ou d’un zona) ou central (traumatisme médullaire, atteinte cérébrale). Spontanées, c’est-à-dire se manifestant sans stimulus particulier, elles sont permanentes ou paroxystiques mais peuvent aussi apparaître lors d’une stimulation normalement non douloureuse (comme un effleurement) et deviennent de fait fortement invalidantes. Pour les traiter, on utilise deux familles de médicaments.

→ Les antidépresseurs (AD)

On propose en général les AD tricycliques (amitriptyline, clomipramine, imipramine) au moyen d’une posologie variable selon le principe de titration. Les principaux effets indésirables sont une sécheresse de la bouche, des risques d’hypotension orthostatique et des troubles digestifs. On peut également proposer certains inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (duloxétine, venlafaxine). L’avantage de ces dernières molécules repose sur des effets indésirables moindres que dans l’usage des AD tricycliques.

Les anti-épileptiques (AE)

Ce sont les AE (gabapentine ou prégabaline) à utiliser pour les douleurs neuropathiques périphériques. Leurs effets indésirables les plus fréquents sont une sensation de vertiges, une somnolence et une fatigue.

Les douleurs cancéreuses

Elles sont très souvent dites mixtes, associant des composantes nociceptives et neuropathiques. Il convient donc de les soigner avec tout l’arsenal thérapeutique disponible.

Ce point sur les traitements médicamenteux de la douleur s’inscrit dans un triptyque sur l’antalgie. Nous avons abordé l’évaluation de la douleur dans notre numéro de mai, et évoquerons les traitements non-médicamenteux dans notre numéro de juillet-août.

* petitlien.fr/ibuprofene

Le rôle de l’Idel dans le suivi du traitement

Si l’Idel n’est pas prescriptrice, elle n’en reste pas moins un acteur essentiel dans le suivi du traitement de la douleur, surtout lorsqu’il s’agit de traitement de niveau?3 (morphine et dérivés). La titration (détermination progressive de la posologie efficace) est en effet essentielle pour que le traitement anti-douleur soit adapté : l’Idel, en contact direct et quotidien avec le patient et ses proches, a donc un rôle important à jouer. C’est aussi elle qui peut veiller à l’observance du traitement, garantie de son efficacité, en expliquant par exemple au patient qu’il ne faut pas prendre un traitement seulement au moment de la douleur mais en amont de celle-ci pour l’anticiper et empêcher son installation, tout comme elle peut aussi rappeler que l’efficacité d’un médicament n’est pas forcément immédiate. Le rôle de l’éducation thérapeutique dans la prise en charge médicamenteuse de la douleur est essentiel. Actuellement, la nomenclature n’identifie pas tout ce travail effectué pour instaurer un accompagnement complet du patient.