Dominique Duvert, chargée de mission prévention suicide à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme)
La vie des autres
Initiée à cette activité à l’association SOS Amitié, Dominique Duvert est devenue en dix ans une spécialiste en matière d’écoute empathique. Une voie qu’elle emprunte jour après jour pour prévenir le suicide, qui, selon elle, « n’est pas une fatalité ».
« Face à une personne suicidaire, je me situe comme “madame tout le monde” », affirme Dominique Duvert, 60 ans, pour présenter son rôle de chargée de mission de prévention du suicide. Une profession méconnue pour une problématique ancienne : répondre à la détresse humaine. « Je ne suis ni psychiatre, ni psychologue, éclaircit-elle. D’une part, j’écoute, je repère, j’évalue, j’oriente vers les thérapeute, assistante sociale, etc., et j’accompagne les suicidaires ou les personnes inquiètes pour leur entourage. D’autre part, j’anime des réunions de sensibilisation du grand public, et parallèlement je forme divers professionnels via le groupe de prévention du suicide d’Auvergne et en partenariat avec l’Agence régionale de santé.Je travaille en réseau avec les autres intervenants régionaux et nationaux ».
Dans son bureau de Clermont-Ferrand, elle prête depuis dix ans une oreille bienveillante à ceux qui ne savent plus vers qui se tourner. L’an dernier, elle a reçu 326 personnes et réalisé 1 630 entretiens. « Le suicide provoque trois fois plus de morts que les accidents de la route. Pourtant, ce n’est pas une fatalité », précise-t-elle.
Quand elle était étudiante en droit, Dominique n’aurait pas imaginé devenir l’un des interlocuteurs clés de la prévention du suicide.
Ses choix l’ont mise sur la voie. En 1997, femme au foyer, ses filles adolescentes, elle devient bénévole de l’association SOS Amitié.
Formée à l’écoute empathique, elle participe à la permanence téléphonique. Dans le même temps, une stratégie nationale de lutte contre le suicide (2000-2005) se dessine. Constatant que les suicidaires ne vont pas de leur propre initiative vers l’aide thérapeutique, les experts préconisent la formation de binômes de formateurs – un psychologue ou un psychiatre, de pair avec un travailleur social ou un associatif – qui favoriseront le lien entre les uns et les autres.En 2003-2004, une formation s’organise en région, Dominiquey voit « l’occasion d’acquérirde nouveaux outils ». En coursde cursus, le responsable de l’association Aramis
« Je rencontre des gens de tout profil, mais, avec la crise, les situations deviennent plus compliquées. C’est le cas de divorcés qui travaillent mais se retrouvent à dormir dans leur voiture », indique Dominique. Deux à trois entretiens sont nécessaires à l’acceptation de la thérapie et suffisants pour « éviter le transfert, qui serait nocif pour eux » – la relation glisserait alors dans l’affect. Il s’agit d’entendre leur souffrance, de faire le point sur leur situation et de décider “ensemble” de ce qui va être mis en place. Dominique peut aussi recevoir des familles endeuillées par le suicide d’un proche. Face à l’indicible, la plupart acceptent une orientation thérapeutique.
Pour elles, « le “pourquoi” restera sans réponse. Certaines devront apprendre à dépasser la colère et accepter que la souffrance a conduit au passage à l’acte ». Ensuite, un suivi téléphonique prend le relais, parallèlement à la prise en charge psychologique en cours : quelques jours après le début de la thérapie, à deux, puis six mois. Vient alors le moment de l’autonomie. « Je reste à leur disposition. Les personnes sont libres de me recontacter ou non. Certaines appellent deux ans plus tard, pour dire que tout va bien, d’autres reviennent après avoir interrompu leur thérapie. »
Dominique insiste : « La formation donne le moyen de poser les bonnes questions et d’évaluer s’il s’agit ou non d’une crise suicidaire et à quel stade. Mais, outre un suivi psychiatrique régulier, la règle de base est de ne jamais travailler seul avec une personne suicidaire. » Elle s’appuie sur les ressources professionnelles d’Aramis, en interne, et du groupe régional de prévention du suicide.
Elle s’est aussi constitué un carnet d’adresses de services d’urgences psychiatriques, de médecins… afin d’adapter sa réponse. « C’est ce que nous construisons lors des formations de professionnels. Dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, en milieu carcéral ou en milieu scolaire, il s’agit d’abord de dépasser les clivages entre catégories de personnel et d’aboutir à un secret professionnel partagé. Au-delà des mises en situation, nous préconisons la mise en place d’une réponse travaillée, d’un protocole d’orientation des personnes », précise-t-elle. Avec les années, le tabou du suicide s’effrite. Un colloque se tiendra le 10 septembre à Vulcania, près de Clermont-Ferrand. Cinq pays européens seront représentés. « L’occasion de croiser nos pratiques. »
* L’association Aramis compte près de 150 professionnels répartis sur sept services (autour de l’aide à la personne, la médiation familiale et l’intervention sociale) et accompagne 2 000 familles chaque année dans le Puy-de-Dôme.
« Je n’ai aucun contact avec les Idels, davantage avec les généralistes ou les services d’aide à domicile. Tous les ans, j’envoie, aux conseils départementaux de l’Ordre des infirmiers en Auvergne, le programme de formation à la prévention du suicide. Mais je n’ai jamais eu de retour. Peut-être que la durée de la formation est un problème : deux jours plus un à distance. C’est dommage, car les Idels pourraient, de fait, être un maillon dans le repérage de la crise suicidaire, en sachant évaluer l’état de la personne et le risque de passage à l’acte par des questions ciblées. D’autant plus que les personnes âgées sont rarement suivies psychologiquement. Les infirmières pourraient être sollicitées et la formation leur apporterait personnellement du soulagement. C’est rassurant de savoir quoi faire et à qui s’adresser en amont de la situation de crise, d’avoir listé les contacts utiles… »
Les recommandations émises lors de la conférence de consensus sur la prévention du suicide d’octobre 2 000 ont notamment suscité la formation de professionnels destinés à opérer en binôme afin de former ensuite un maximum d’intervenants de terrain, devenant des “sentinelles” du suicide. Ces binômes dispensent des formations qui s’adressent à des acteurs aussi divers que ceux exerçant au sein de l’éducation nationale, du monde carcéral, du milieu associatif, des travailleurs sociaux, du corps médical, et, de façon générale, à tout intervenant de la chaîne de prévention et d’action. Les personnes formées acquièrent et diffusent un outil d’évaluation du potentiel suicidaire élaboré par Jean-Louis Terra (professeur à Lyon) et Monique Séguin (psychologue à Montréal). Cette formation est régulièrement évaluée par la Direction générale de la santé afin de mesurer son efficacité sur le terrain dans le cadre de la prévention du suicide. D’autre part, au sein de chacune des Agences régionales de santé existe un référent suicide.