Antalgie
Cahier de formation
Le point sur
La douleur est un phénomène complexe qui implique dans la majorité des situationsune réponse thérapeutique multimodale, c’est-à-dire une association de moyens thérapeutiques médicamenteux et non médicamenteux.
L’intérêt pour ces moyens s’est renforcé ces dernières années pour plusieurs raisons : le constat des limites des moyens médicamenteux, la nécessité de trouver des alternatives aux médicaments (en particulier lorsque les douleurs sont prolongées), les attentes des patients qui souhaitent le plus souvent limiter l’usage des antalgiques au long cours, des résultats probants et une meilleure compréhension de certains mécanismes neurophysiologiques confirmant l’efficacité, déjà observée cliniquement, de ces techniques. Cette compréhension et les preuves scientifiques de l’efficacité des moyens non pharmacologiques sont rendues possibles par les progrès technologiques tels que l’IRM fonctionnelle et la mise en œuvre de méthodologies de recherche adaptées.
Les pouvoirs publics ont confirmé l’intérêt de ces méthodes dès le troisième plan d’amélioration de la prise en charge de la douleur 2006-2010 dont l’axe 3, il y a près de dix ans, invitait les acteurs de santé à « améliorer les modalités de traitements médicamenteux et d’utilisation des méthodes non pharmacologiques pour une prise en charge de qualité ». Il y était dès lors précisé que « le traitement médicamenteux ne constitue plus la seule réponse à la demande des patients douloureux. Les techniques non médicamenteuses de prise en charge de la douleur existent. Les professionnels et les usagers les reconnaissent comme efficaces. Il s’agit de traitements réalisés par des professionnels de santé qualifiés : traitements physiques tels que massages, kinésithérapie, physiothérapie (cryothérapie, électrostimulation transcutanée), balnéothérapie, éducation posturale et gestuelle et des méthodes psychocorporelles ou comportementales (hypnose, relaxation, sophrologie) ».
Longtemps proposées au patient très tardivement dans leur prise en charge, elles sont désormais intégrées de plus en plus précocement dans les propositions thérapeutiques en association avec les médicaments.
Les moyens non pharmacologiques ou non médicamenteux de prévention et de traitement des douleurs se subdivisent en trois grandes familles.
Elles recouvrent les pratiques utilisant un moyen physique, le plus souvent au contact de la peau pour stimuler les fibres nerveuses qui stoppent l’influx douloureux, c’est-à-dire le principe du gate control ou théorie du portillon. On trouve dans cette catégorie le toucher, le massage, le peau-à-peau, la neuro-stimulation transcutanée, l’acupuncture et la digipuncture. D’autres techniques utilisent des réactions physiologiques comme les effets de la chaleur, ou thermothérapie, efficace par vasodilatation et qui favorise la décontraction musculaire, ou les effets du froid, ou cryothérapie, qui limite les sensations douloureuses d’origine inflammatoire par vasoconstriction, et qui permet aussi une insensibilisation d’une zone de prélèvement par exemple. Chez le nouveau-né et le nourrisson, l’absorption d’une solution sucrée associée à la succion est efficace pour la prévention de la douleur des soins, tout comme l’allaitement maternel.
Elles recouvrent les méthodes grâce auxquelles le soignant accompagne le patient afin de l’aider à développer - éventuellement modifier - son comportement pour faire face à la douleur grâce à l’utilisation de ses facultés cognitives. Différentes méthodes et techniques en font partie : information concernant le déroulement du soin, apprentissage postural, confrontation imaginaire ou réelle aux situations redoutées, apprentissage social à l’aide de jeux de rôle, restructuration cognitive par le travail sur les pensées et les schémas mentaux, renforcement positif à l’issue d’un soin, utilisation du jeu chez l’enfant. Ces méthodes permettent au patient d’anticiper les conséquences de l’anxiété et de la douleur d’une situation redoutée, comme une intervention chirurgicale par exemple, de faire face à des symptômes douloureux en lien avec des pathologies chroniques ou de longue durée (migraine, lombalgie, fibromyalgie), ou encore de modifier un comportement lié à une phobie des soins.
Elles permettent au soignant d’accompagner la personne grâce à un ensemble d’approches partant du corps et ayant un impact sur le mental ou partant d’un travail mental afin d’avoir une influence sur le corps. Parmi les pratiques ayant fait la preuve de leur efficacité pour soulager ou prévenir la douleur, on peut citer la relaxation, l’hypnose et ses dérivées (distraction, sophrologie), les massages de bien-être ou de confort, certaines pratiques d’origine orientale (yoga, Qi Gong, méditation), les pratiques artistiques (musique, danse, théâtre). Ces pratiques s’appellent également “méthodes à médiation corporelle”. Des outils communs peuvent être utilisés comme la respiration, le relâchement musculaire, la visualisation, l’imaginaire, etc. Ils sont parfois considérés comme des méthodes à part entière alors qu’il s’agit d’éléments techniques issus d’une pratique. Néanmoins, ces outils communs peuvent à eux seuls contribuer efficacement au soulagement du patient.
Les moyens non médicamenteux ou non pharmacologiques sont indiqués dans l’ensemble des champs de la douleur : douleurs chroniques ou prolongées, douleurs aiguës, douleurs liées aux soins.
Contrairement aux représentations que les soignants en ont fréquemment, ces pratiques ne sont pas consommatrices de temps, mais permettent, lorsqu’elles sont intégrées dans le processus de soin, un gain de temps précieux et apportent une efficience appréciable dans la réalisation des soins et le traitement des patients présentant des douleurs récurrentes.
Si certaines impliquent une formation spécifique, ces pratiques relèvent dans leur grande majorité de la mise en œuvre du rôle propre de l’infirmier. Il est toutefois important de discuter de l’intérêt et de l’efficacité de ces pratiques en collaboration avec le médecin et les autres professionnels de santé qui s’occupent du patient afin qu’elles soient intégrées dans le cadre d’une prise en charge continue.
Les moyens non médicamenteux peuvent être associés entre eux, et associés à des moyens médicamenteux. Ces multiples possibilités augmentent l’offre thérapeutique proposée au patient. En pratique, le soignant dispose d’une très grande palette de moyens qu’il peut associer afin de trouver la combinaison qui permet de soulager efficacement la personne soignée.
De nombreux moyens non pharmacologiques favorisent l’autonomie du patient qui peut par exemple être formé à appliquer lui-même la cryothérapie ou la thermothérapie, à pratiquer l’auto-hypnose ou la relaxation, à effectuer seul des exercices respiratoires, de Qi Gong ou de yoga, etc.
Cet article clôtun triptyque sur la prise en charge de la douleur. Nous avons évoqué l’évaluation dans notre numéro de mai et les médicaments dans celui de juin.