Le débat
En janvier prochain, les acteurs de la santé doivent se dessiner un avenir commun au cours d’une “grande conférence de la santé” voulue par le Premier ministre. Plusieurs syndicats de médecins ont annoncé leur boycott, tandis que des organisations infirmières s’y rendent à reculons. Interview de deux participants.
Président de MG France (premier syndicat de généralistes), exerçant dans la Drôme dans une maison de santé pluridisciplinaire créée en 2003
Alors que la loi de santé aura déjà été adoptée, cette “grande conférence de la santé” peut-elle être utile ?
Nous avons décidé de participer, mais nous sommes très sceptiques. A-t-on besoin d’un énième diagnostic après les états généraux de la santé en 2008, la “mission de concertation sur la médecine de proximité” en 2010, la concertation qui a présidé à l’écriture de la stratégie nationale de santé en 2013, puis celle du rapport sur “la place et le rôle de la médecine générale dans le système de santé” ? Nous avons déjà tout le matériel nécessaire pour construire un système de santé où chaque professionnel de santé, en ville ou à l’hôpital, intervient au bon moment, pour un coût supportable par la société. Un seul aspect de cette grande conférence paraît intéressant : mettre autour de la table les jeunes, les chercheurs et les enseignants. La réforme de la formation initiale – avec un tronc commun – est déjà actée. Mais la réforme de la formation continue des professions de santé reste à faire.
Comment parvenir à un décloisonnement des professions de la santé, y compris entre la ville et l’hôpital ? MG France porte une vision des soins primaires : une coopération pluriprofessionnelle doit se construire, autour du patient, entre le médecin traitant, l’infirmière, le pharmacien, le kinésithérapeute, etc. Le médecin traitant doit être le responsable du parcours de soins du patient. Si nous ne parvenons pas à construire cette coopération, alors l’administration de la santé nous imposera une organisation. Et l’hôpital se substituera en partie à nous, pour un coût plus important pour la santé.
Comment voyez-vous l’avenir du binôme médecin-infirmière ?
L’exercice en pratique avancée des infirmières progresse à l’hôpital, où les médecins et les infirmières travaillent ensemble. Nous sommes favorables à ces pratiques avancées en ville, mais dans une prise en charge collaborative entre médecins et infirmières. Cela ne veut pas dire qu’il y ait une relation hiérarchique entre eux. Dans mon exercice, je travaille avec les infirmières dans le cadre d’une coopération Asalée
Vice-président du Collège infirmier français
Alors que la loi de santé aura déjà été adoptée, cette “grande conférence de la santé” peut-elle être utile ?
Nous nous posons tous la question de ce qui va ressortir de cette nouvelle concertation : les mêmes personnes sont réunies une nouvelle fois pour se dire les mêmes choses, dont personne sans doute ne tiendra compte. Les discussions ont déjà commencé. Un jour par mois, trois groupes de travail de cent personnes sont réunis : le premier sur la formation, le deuxième sur les métiers et les compétences et le troisième sur les parcours professionnels. En janvier se tiendra pendant deux jours une grande conférence plénière qui devra dessiner les évolutions majeures des professions de santé à une échéance de vingt ans. Malgré nos doutes, il nous semble important d’y participer. La principale mission du Collège infirmier français est de réfléchir aux pratiques de demain.
Comment parvenir à un décloisonnement des professions de la santé, y compris entre la ville et l’hôpital ?
La création par la loi de santé des pratiques avancées infirmières est un pas important. C’est une nouvelle profession intermédiaire entre l’infirmière et le médecin, au niveau master, qui a fait ses preuves dans 25 pays. Les malades du cancer seront suivis par ces infirmières en hôpital de jour. En ville, elles ont leur place auprès des malades chroniques les plus fragiles, par exemple pour surveiller la bonne observance des traitements. Dans les déserts médicaux, elles pourront soulager les médecins.
Comment voyez-vous l’avenir du binôme médecin-infirmière ?
Les infirmières de pratiques avancées ne vont représenter qu’une faible part de la profession, pas plus de 3 % sans doute. Le métier infirmier, au niveau licence, doit aussi évoluer. La loi autorise les infirmières à vacciner l’ensemble de la population, elles sont formées pourcela, mais leur compétence est bridée. Autre exemple : nous ne sommes autorisées à adapter, sur protocole médical, que les traitements antalgiques. Dans les faits, nous adaptons aussi souvent, en accord avec le médecin, les anti-vitamines K. Les médecins accepteront ces évolutions si leur mode de rémunération évolue en prenant en compte le temps passé au cours d’une consultation. Sinon, ils n’abandonneront jamais les consultations de routine, rapides, payées le même prix qu’une consultation complexe.
(1) Une coopération, qui par ailleurs ne fait pas l’unanimité, entre des infirmières déléguées à la santé populationnelle et des médecins généralistes.
(2) Créé en mars, le CIF fédère 17 organisations représentatives (lire notre n° 315 d’avril, p. 10).