Jean-Luc Barsamian, perruquier et fondateur de l’atelier Acilya, Paris
La vie des autres
La recherche du contact humain et sa volonté d’aider les autres ont conduit Jean-Luc Barsamian à quitter le monde des assurances pour s’intéresser à l’univers de la perruque. Un métier qu’il a appris sur le terrain et qui l’a amené à ouvrir son propre atelier.
« Ceux qui travaillent dansle secteur de la perruque sont de plus en plus souvent issus du monde de la coiffure et s’intéressent d’un point de vue commercial ou lucratif aux perruques, comme une activité complémentaire », explique Jean-Luc Barsamian. Est-ce son cas ? Absolument pas. C’est un cursus en audit/gestion/finance, suivi après le baccalauréat, qui l’a conduit à devenir directeur adjoint d’une entreprise en assurance. « Mais ce secteur manquait de “vrai”, d’humain, de concret. » Dans sa famille, il y a aussi beaucoup de médecins et d’infirmiers, et des personnes qui ont été touchées par le cancer. « Cela m’a particulièrement marqué, mais je n’en ai pris conscience qu’un peu plus tard », souligne-t-il.
Lors de son retour du service militaire, alors qu’il aurait pu retrouver son poste de directeur adjoint, l’envie n’est plus là. « Un ami qui travaillait dans le milieu de la perruque avait besoin d’aide, j’ai donc décidé de le rejoindre. » Dans un premier temps, il met à profit ses compétences et fait de l’audit, de la gestion ainsi que de la finance. Mais, petit à petit, le produit, de sa fabrication à la personne qui le porte, capte toute son attention. Il entre alors en contact avec les revendeurs, coiffeurs, fabricants, prothésistes, qu’il rencontre au gré de ses déplacements professionnels entre l’Europe du Nord et du Sud. Il emmagasine des connaissances et acquiert de l’expérience, jusqu’à décider de monter son propre atelier. Il ouvre son institut en 2006, à 35 ans, dans un ancien salon de coiffure parisien, et se spécialise dans la création et la vente de perruques. Il décide de “sélectionner” ses clients pour ne s’occuper que de ceux ayant des problèmes capillaires. « Je ne me voyais pas faire des extensions à une jeune femme ayant des cheveux magnifiques tout en recevant une patiente qui les avait perdus à la suite d’un cancer », rapporte-t-il, sensible à l’épreuve que traversent ses clients et clientes – les femmes représentent 80 % de sa clientèle. Parce que le traitement contre le cancer du sein utilise beaucoup de produits à effets secondaires. Et parce que « le regard posé sur les femmes est dur lorsqu’elles n’ont pas de cheveux. Pour les hommes, depuis la Coupe du monde de 1998 et Fabien Barthez, la notion de “tondu” est intégrée ! » Lorsqu’une cliente frappe pour la première fois à la porte de son institut, Jean-Luc Barsamian écoute son histoire pour l’aider à choisir un modèle. « Lorsqu’elles ont une chute de cheveux temporaire, il vaut mieux choisir une bonne fibre synthétique plutôt qu’un cheveu naturel bas de gamme, conseille-t-il. D’autant que c’est plus simple d’entretien ! » Jean-Luc Barsamian utilise surtout des cheveux d’origine indienne, récupérés à la suite de dons dans les temples, car leur texture se rapproche de celle du cheveu européen, davantage que le cheveu collecté en Chine, qui constitue le premier prix. Le perruquier s’approvisionne chez des négociateurs de cheveux. Mais il arrive également que des clients viennent lui en vendre directement.
Le premier essayage, très important, permet de désacraliser la perruque, associée à la maladie, et de s’assurer que la taille et la couleur conviennent à la cliente. « L’impératif est de faire le maximum pour qu’elle se voit comme avant, explique le perruquier. Je ne veux pas qu’elle gère en plus un changement d’image. » Une fois le modèle choisi, la personne revient pour apprendre la pose et l’entretien.
Les clientes ont le choix entre cinq cents modèles de perruques dont plus des deux tiers ont été confectionnés ou améliorés par Jean-Luc Barsamian. Pour créer ses perruques, il utilise les techniques de la chapellerie et de la bonneterie, et implante les cheveux un par un dans le bonnet. « Il faut que la perruque tienne sur la tête, elle ne doit pas gigoter. Dans la conception, c’est l’intérieur de la perruque, le bonnet, qui est important. C’est lui qui fait la différence de prix car sa couleur joue sur la transparence du crâne. » Et d’ajouter : « Je m’adapte aussi aux coupes de cheveux à la mode afin d’offrir du choix. » Une fois la perruque posée, il retravaille la coupe en fonction du visage de la patiente, une pratique qu’il a apprise sur le terrain. Pour les hommes, techniquement, « c’est plus difficile ». Une dizaine de modèles suffisent pour répondre à leurs attentes, mais cela prend entre une heure et une heure trente pour reprendre la nuque, les pattes, le contour d’oreilles.
Mais les patientes ne veulent pas toutes porter des perruques.
Jean-Luc Barsamian a donc étendu son offre aux turbans qu’il fabrique lui-même, et aux contours de cheveux à mettre sous les turbans. Il a aussi diversifié son activité en proposant des prothèses mammaires externes et des manchons de contention, dont les femmes atteintes de cancer du sein peuvent avoir besoin. « Moins de 25 % des femmes ont recours à la chirurgie reconstructive. Mais, pour une question de posture, de morphologie, de dos, d’enroulement des épaules, elles doivent au moins porter des prothèses externes. » Une autre façon, aux yeux du perruquier, d’assurer un suivi et une continuité auprès des clientes.
« J’ai des patientes qui viennent dans mon institut grâce à la recommandation des infirmières libérales de mon quartier, car d’autres patientes leur ont parlé de moi. Les patients échangent beaucoup avec leurs infirmières. Et puis, entre libéraux et indépendants, il y a un état d’esprit, une compréhension et un soutien. J’ai eu l’occasion d’être personnellement en contact avec les infirmières libérales et elles font un métier qui va au-delà de leurs actes. Elles savent tout du vécu du patient. Elles apportent ce qui nous manque dans les grandes villes, à savoir le contact. Le volet humain est hallucinant. Elles sont parfois la seule visite de la journée pour beaucoup de monde. En plus du volet technique, elles ont la notion de service dans le sens humain du terme. »
L’institut de Jean-Luc Barsamian est agréé Sécurité sociale. Il peut donc remplir des feuilles de soins pour ses clientes. L’Assurance maladie rembourse l’achat d’une perruque à hauteur de 125 euros à condition que le traitement soit pris en charge à 100 %. Les mutuelles peuvent ensuite compléter la somme, même si « les montants ne sont jamais très élevés ». « Pour 125 euros, les clientes peuvent néanmoins avoir une perruque de bonne qualité. En dehors des cheveux longs, qui frottent et donc s’abîment, une perruque peut durer environ un an. » Jean-Luc Barsamian est également adhérent à la Charte de l’Institut national du cancer, qui norme la pratique des perruquiers. Ils doivent respecter des critères : offrir du choix et une qualité de service, garantir des prix “Sécurité sociale”. « Chaque année, nous devons remplir un questionnaire pour figurer de nouveau sur la liste des perruquiers de la Charte », précise-t-il.