L'infirmière Libérale Magazine n° 317 du 01/09/2015

 

Cahier de formation

Savoir faire

Vous intervenez chez monsieur R. pour la réalisation des injections sous-cutanées de Neulasta et constatez que l’air est chargé d’effluves de cigarettes. Son entourage vous confirme que le patient continue de fumer malgré sa maladie et ses traitements.

Vous ne savez pas trop quelle attitude adopter dans un contexte qui, a priori, devrait encourager le patient à s’arrêter de fumer. Vous ouvrez la fenêtre pour aérer et décidez de prendre attache d’un tabacologue pour qu’il vous conseille sur la conduite à tenir.

COMBATTRE LE FATALISME

« Foutu pour foutu, à quoi bon arrêter de fumer maintenant ? », « J’ai toujours fumé, je suis incapable de m’arrêter ! »… Si les Idels peuvent entendre et se font un devoir d’accepter ce genre de remarques lorsque le patient est en fin de vie, aux autres stades de la maladie, ils les confrontent à une réalité déroutante face à laquelle elles se doivent d’être dans leur rôle de soin sans juger ni culpabiliser le patient. Pas simple, selon les témoignages des Idels souvent confrontées à ce constat d’échec. « J’ai eu un patient qui fumait avec une trachéotomie », se souvient Armand Desvignes, Idel à Lille (Nord). « Comment expliquer au patient qu’il ira mieux sans cigarette alors qu’il nous affirme qu’il se sent mieux quand il fume ? », s’interroge François Casadeï, Idel au Havre (Seine-Maritime). « C’est une situation complexe pour le soignant car il sait que le pronostic vital du patient est engagé et que son tabagisme, même s’il lui procure un certain plaisir, est préjudiciable à son confort, à sa qualité de vie et à l’efficacité de ses traitements, explique Joelle Visier, addictologue, tabacologue au Centre Pierre-Nicole (Paris). Il est important de s’assurer que ce n’est pas la dépression (consécutive à l’annonce, la pénibilité des traitements, le pronostic…) qui conduit le patient à baisser les bras. Avant toute autre démarche, il convient de voir comment le soutenir et l’aider par un accompagnement médicamenteux et/ou psychologique afin de lui redonner l’envie de se battre, de guérir et de donner toutes les chances aux traitements. »

NE PAS TOMBER DANS LE TOUT OU RIEN

Dès lors que le patient accepte l’idée que l’échec n’est pas forcément au rendez-vous, il est possible de lui proposer une aide pour mieux respirer, moins tousser, avoir moins de glaires, moins d’irritations, se sentir moins essoufflé et avoir de meilleures défenses immunitaires pour optimiser l’efficacité de son traitement. « L’objectif est d’amener le patient à s’investir lui-même dans une démarche qui lui convient en lui expliquant qu’à défaut d’arrêt immédiat, la réduction grâce aux substituts nicotiniques (gommes à mâcher, comprimés sublinguaux, inhaleur et timbres transdermiques)(1) ou à la cigarette électronique est une solution efficace pour avoir prise sur son tabagisme et réduire l’exposition de ses bronches aux polluants du tabac (oxyde de carbone, agents irritants, goudrons) », poursuit Joëlle Visier. L’Idel doit donc bien connaître l’ensemble des substituts nicotiniques pour conseiller et accompagner au mieux les patients dans leurs efforts. Une connaissance d’autant plus nécessaire aujourd’hui que le projet de loi de modernisation du système de santé(2), qui doit être examiné au Sénat en septembre, autoriserait les infirmières à prescrire les substituts nicotiniques et que, dans le cadre du Plan national de réduction du tabagisme 2014-2019(3), il est prévu d’augmenter les forfaits de prise en charge des traitements nicotiniques de substitution à 150 euros par an (au lieu de 50) et d’inclure dans les bénéficiaires de cette mesure les personnes en affection de longue durée cancer. Autant dire que, loin de se limiter aux soins strictement infirmiers, le rôle des Idels dans la prise en charge des patients atteints de cancers du poumon recouvre de nombreuses dimensions. Catherine Diamantidis, Idel à Pierre-Bénite (Rhône), psychopraticienne formée à l’hypnose et membre de notre comité scientifique, en apporte la preuve en proposant à ses patients de recourir à l’hypnothérapie pour réduire leur tabacodépendance, voire arrêter de fumer (lire l’encadré page de gauche).

DÉPISTER ET PRÉVENIR

Au-delà de cette logique d’accompagnement à visée curative, les Idels peuvent aussi inscrire leur intervention dans le champ de la prévention et du dépistage du cancer du poumon. À noter que la Haute Autorité de santé, à la demande des Sociétés savantes en cancérologie, pneumologie, radiologie et imagerie thoracique, conduit une réflexion concernant l’intérêt de mettre en place un dépistage ciblé des populations fortement exposées au tabac par scanner thoracique “à faible dose”(4). Selon les experts médicaux à l’origine de la demande, « l’incidence et la gravité du cancer du poumon en font un bon candidat pour le dépistage. Non seulement parce qu’il est facile de définir et d’identifier les sujets à risque (fumeurs et anciens fumeurs), mais aussi parce que si les formes évoluées sont presque toujours fatales, en revanche, les formes précoces sont curables dans 80 % des cas ». Cette demande s’appuie par ailleurs sur les résultats d’une récente étude américaine(5) réalisée chez 53 000 volontaires ciblés, âgés de 53 à 75 ans. Bien que décelant beaucoup d’anomalies non spécifiques, cet essai a montré la supériorité du scanner thoracique comparé à la radiographie standard dans le dépistage des cancers précoces. C’est aussi le premier essai au monde à montrer un bénéfice significatif d’une technique de dépistage du cancer broncho-pulmonaire avec une réduction de la mortalité spécifique de 20 % et de la mortalité globale de 6,7 %. Des résultats qui ont conduit les instances de santé publique américaines à établir des recommandations en faveur du dépistage. Si les autorités françaises aboutissent aux mêmes conclusions, les Idels, au-delà de leur rôle prescripteur et d’aide à l’arrêt du tabac, pourraient peut-être dans un avenir proche contribuer au diagnostic précoce et à la guérison de cette maladie en orientant des patients qui répondent aux critères vers le dépistage ciblé. Une implication que le Programme national de réduction du tabagisme (PNRT) appelle de ses vœux en rappelant que « tout professionnel de santé, médical et paramédical, doit s’impliquer sur la question du tabagisme dans sa pratique quotidienne, que chacun est légitime et à sa place, et que la combinaison d’une intervention d’un professionnel de santé et d’un traitement d’aide à l’arrêt du tabac augmente les chances de succès et constitue la stratégie la plus efficace ».

(1) La liste exhaustive (mise à jour fin mars 2015) des substituts nicotiniques est disponible sur le site de l’Assurance maladie www.ameli.fr rubrique “Prévention santé”, onglet “Arrêt du tabac”

(2) Modification prévue à l’article L. 4311-1 du Code de la santé publique.

(3) Le Programme national de réduction du tabagisme (PNRT) est l’une des actions du plan cancer. Il est disponible via le lien raccourci bit.ly/1J13TZv

(4) Publication prévue fin 2015. Pour en savoir plus : le lien raccourci bit.ly/1HTHTy1

(5) National Cancer Institute (2014). National Lung Screening Trial (NLST).

Hypnose et sevrage tabagique

L’hypnose est un état de veille modifié qui permet de mobiliser des ressources dont le fumeur n’a pas conscience. Elle peut l’aider à désamorcer des conduites réflexes (besoin oral d’allumer une cigarette) induites par le stress par exemple, en programmant de nouveaux comportements réflexes (aller boire un grand verre d’eau, fermer les yeux et se relaxer cinq minutes) lorsque l’envie de fumer survient. « Via l’hypnose, explique l’Idel Catherine Diamantidis, on donne au patient le moyen de se sentir bien et de trouver le plaisir procuré par la cigarette autrement. C’est indispensable de compenser la satisfaction du besoin de fumer par la satisfaction procurée par une action bénéfique ou le rappel d’un souvenir heureux avant le tabac, lorsque le patient respirait sans contrainte. » Grâce à un apprentissage réalisé en quelques séances, le patient peut très vite mobiliser ce souvenir agréable à chaque fois qu’il est tenté de fumer, de manière à court- circuiter le besoin, d’espacer les cigarettes, voire d’arrêter de fumer.

VRAI OU FAUX ?

« Les cigarettes nommées auparavant “light” ou “légères” exposent à un risque moins important de cancer. »

FAUX. La plupart des fumeurs consomment davantage de cigarettes et/ou aspirent la fumée plus profondément pour atteindre leur “quota” de nicotine. Résultat : ils absorbent encore plus de substances toxiques.

« Les cigarettes roulées sont plus naturelles. »

FAUX. Au contraire, elles sont plus toxiques que les cigarettes industrielles. D’une part, parce que les cigarettes préparées à base de tabac à rouler ne pourraient pas être commercialisées comme telles, car elles contiennent entre 14 et 16 mg de goudrons alors queles cigarettes industrielles contiennent – selon la réglementation spécifique à ces produits – un taux de goudrons maximal de 10 mg par cigarette*. D’autre part, la fumée dégagée par les cigarettes préparées à base de tabac est plus toxique que celle des cigarettes industrielles. De fait, le tabac à rouler brûle mal. Or une combustion incomplète génère davantage d’émissions de substances toxiques.

« Les cigarettes électroniques peuvent être considérées comme un produit de sevrage. »

FAUX, MAIS… Elles ne font pas partie des outils ayant reçu l’autorisation d’être considérés comme des produits de sevrage. Toutefois, les premiers résultats d’une enquête menée par l’INPES indiquent une tendance à la réduction, voire à l’arrêt du tabac, parmi les fumeurs qui “vapotent”. Le nombre d’utilisateurs d’e-cigarette ayant cessé de fumer, au moins temporairement, est estimé à 0,9 %, soit environ 400 000 personnes en France. De plus, un fumeur qui utilise aussi une e-cigarette diminuerait sa consommation de tabac, en moyenne, de 8,9 cigarettes par jour*.

* Nocivité du tabac à rouler, à lire via le lien raccourci bit.ly/1NR7Xyp

* Cigarettes électroniques, à lire via le lien raccourci bit.ly/1J6cLMZ