L'infirmière Libérale Magazine n° 317 du 01/09/2015

 

Éditorial

MATHIEU HAUTEMULLE  

Il n’est pas rare que les infirmières hospitalières voient les Idels comme dépourvues de technique, branchées sur le seul relationnel et la “toilette”, appâtées uniquement par le gain. Clichés ! Les représentations des libérales vis-à-vis des hospitalières - asservies à leurs hiérarchies, prodiguant des soins de moins en moins humains… - ne manquent pas non plus. Ces stéréotypes-ci seraient-ils plus en prise avec la réalité, puisque les libérales ont toutes poussé les portes de l’hôpital ? C’est en tout cas ce double regard, celui des IDE sur les Idels, celui des Idels sur les IDE, que nous étudions ce mois-ci (pp. 24-29). Pour voir si ces représentations sont en partie fondées, ou si elles relèvent du fantasme. À l’hôpital, les accusations infirmières peuvent même se répandre d’un service à l’autre, ou entre équipes de nuit et de jour. « Il faut bien personnifier les maux, utiliser des médiations (l’environnement matériel, le malade), donner un sens à la tragi-comédie de leur travail et au sentiment de culpabilité de ne pouvoir jamais être une soignante irréprochable », analyse cliniquement, en ethnologue, Anne Vega*. Comme si mettre en exergue la pénibilité de son propre travail « tout en rejetant avec véhémence la faute sur “les autres” (les “mauvais soignants” et les “mauvais malades”) » constituaient des « soupapes de sécurité ». Débiner son prochain : une façon, dans un contexte fragilisant, de donner un sens au désordre, de détourner son attention de l’angoisse de la maladie, de se distinguer des patients et des autres professionnels de santé, de « se rassurer dans [son] identité de soignante ». Cette grille d’analyse s’applique sans doute, en partie, aux a priori respectifs entre ville et hôpital. Deux mondes qui gagneraient à mieux se connaître, se respecter, se rencontrer. Et cela n’est pas un cliché.

* Anne Vega, Une ethnologue à l’hôpital. L’ambiguïté du quotidien infirmier, éditions des Archives contemporaines, 2000. À lire et relire.