Histoires de la solidarité - L'Infirmière Libérale Magazine n° 318 du 01/10/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 318 du 01/10/2015

 

POLITIQUE DE SANTÉ

Actualité

Olivier Blanchard  

ANNIVERSAIRE > Octobre 1945-2015 : la “Sécu” fête ses soixante-dix ans. C’est à Lormont (Gironde) qu’est implanté le Musée national de l’Assurance maladie, une façon originale de s’interroger sur la solidarité à travers les siècles. Notre magazine l’a visité pour vous.

Tout commence par une pierre tombale datant du premier siècle. Elle a été taillée pour un esclave de 35 ans et payée par ses amis : « Les rites funéraires ont été les premiers exemples de gestion du risque décès par le groupe », explique Emmanuelle Saujeon-Roque, docteur en histoire du droit et responsable du musée. Le sens de la visite s’éclaire alors : la Sécurité sociale n’a pas inventé la notion de solidarité, elle est au contraire le fruit logique de l’évolution de cette idée à travers plusieurs siècles.

Une solidarité d’abord privée

Ce sont d’abord des initiatives privées qui ont pris en charge les différents aspects de la solidarité : maternité, maladie, assurance décès, accident du travail… Les murs du musée pavoisent ainsi des nombreuses bannières de compagnonnages ou de “sociétés de secours mutuelles” qui ont organisé cette solidarité par métier ou par quartier.

L’État s’organise aussi. Sur un autre mur, on voit un édit du roi Henri IV qui met en place un paiement sur la cassette royale de la solidarité pour les mineurs de fond. Un autre de 1673, signé par Colbert, invente un système de solidarité pour les marins royaux qu’il fait financer par des cotisations obligatoires. Pour motiver ses hommes quand il en a besoin, l’État invente donc les acquis sociaux et la solidarité devient un outil politique. Ainsi, pendant les siècles suivants, les théories philosophiques sur ce type de solidarité vont s’affronter entre la pensée allemande (dite “de Bismarck”) qui relie systématiquement les droits sociaux au travail et, à l’opposé, la pensée anglaise (dite “de Beveridge”) qui envisage un minimum vital comme un dû par l’État à chaque citoyen.

« J’entends de tout sur le trou »

En 1945, quand le Comité national de la Résistance (CNR) crée le système de la sécurité sociale (en neuf mois !), c’est bien avec tout ce passé qu’il compose, inventant un système hybride anglo-allemand qui respecte les solidarités pré-existantes (en conservant les caisses par métiers et les régimes spéciaux) mais tout en promettant une couverture sociale minimale pour tous. Il choisit aussi de ne pas en faire un système d’État et donc de ne pas la financer par l’impôt mais par les cotisations du travail : la Sécu française est née. Les deux ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 sont adoptées pendant le gouvernement provisoire de la République présidé par le général de Gaulle.

Et puis advint le “trou”. « J’entends de tout sur le fameux trou ; chacun y va de son avis sur les réformes à faire et, en général, c’est plus généreux pour soi et moins pour les autres, conclut en plaisantant Emmanuelle Saujeon-Roque. Mais j’essaie surtout de bien faire comprendre au public que le système en place a été pensé pour une société de 1945 et qu’il doit donc s’adapter. Le grand public voit “la Sécu” sous l’angle financier et oublie ce qu’elle apporte. Il ne réalise pas bien non plus à quel point elle est fragile et ce que signifierait sa fin… »

EN SAVOIR

→ Musée national de l’Assurance maladie, 10, route de Carbon-Blanc, à Lormont, tél. 05 56 11 55 18, www.musee-assurance-maladie.fr Entrée libre du lundi au jeudi de 14 heures à 17 h 30 et le vendredi de 14 heures à 16 h 30. Visites guidées adaptées aux groupes.

→ Comment se porte la septuagénaire Sécu ? Retrouvez notre débat en pages 22-23.