FINANCES > La Cour des comptes, dans son rapport annuel sur les comptes de la Sécurité sociale
Les “Sages” de la Cour des comptes n’ont vraiment pas été tendres avec les Idels dans leur rapport annuel sur la Sécurité sociale, rendu public le 15?septembre. Alors que la Sécu a été en déficit en 2014 pour la treizième année consécutive, à un niveau (12,8 milliards) plus élevé encore qu’avant la crise de 2009, les magistrats de la Cour ont mis un focus particulier, cette fois-ci, sur la « dynamique particulièrement forte des dépenses de soins infirmiers et de masso-kinésithérapie ».
Les remboursements des actes des Idels par l’Assurance maladie ont augmenté de 7,3 % par an depuis le début du siècle, passant de 2,3 milliards en 2000 à 6,3 milliards l’année dernière. Trop pour la Cour des comptes ? Si les infirmières ont bénéficié de trois vagues de revalorisations tarifaires en 2007, 2009 et 2012, c’est bien l’accroissement du nombre d’actes prescrits qui a d’abord tiré ces dépenses. Mais, à rebours des analyses économiques habituelles, la Cour des comptes n’est pas convaincue des explications par le vieillissement de la population ou le “virage ambulatoire” que prendrait le système de santé. Ou, du moins, elle estime que « les quelques éclairages disponibles » sur ces questions ne sont pas suffisants.
Les Sages préfèrent regarder ailleurs, notamment du côté des effectifs de la profession. La population infirmière a augmenté de 75,4 % entre 2000 et 2014, mais reste inégalement répartie. Rapporté à la population, il y a cinq fois plus d’Idels en Corse qu’en Île-de-France. Un phénomène qui s’amplifie car les quotas à l’entrée des Ifsi s’adaptent aux capacités de formation et non aux besoins de soins des populations locales, regrette la Cour.
Dans le même temps, la Cour préconise d’étendre à tous les libéraux, en particulier aux médecins, le principe d’un conventionnement conditionné à l’offre déjà existante. Mais elle critique le dispositif négocié entre l’Assurance maladie et les syndicats infirmiers dans ce domaine en 2011 : il n’a eu qu’une « incidence limitée sur la localisation des installations » et « à ce rythme, plusieurs décennies seraient nécessaires » pour « un rééquilibrage significatif ». Ce qui perturbe surtout la Cour est que l’inégale distribution des professionnels a « pour corollaire une modification des pratiques professionnelles qui soulève la question de la pertinence des actes ».
Dans ce contexte, la Cour veut visiblement mettre l’activité des Idels sous surveillance, regrettant que le contenu des actes infirmiers de soins (AIS), « mal connu », ne soit « encadré par aucun référentiel » et que la démarche de soins infirmiers (DSI) soit tombée dans les oubliettes. C’est, selon elle, toute la nomenclature, qui date de 1972, qui doit être revue de fond en comble afin de pouvoir « retracer finement les actes accomplis et d’y intégrer les nouveaux actes ou les redéfinitions d’actes existants qui découlent de l’évolution des pratiques et des techniques ».
Cependant, une proposition mérite peut-être d’être débattue. Alors que les modes de rémunération des médecins et des pharmaciens se diversifient avec notamment le développement des forfaits, celui des Idels est « particulièrement statique et fondé exclusivement sur le paiement à l’acte ». Le problème est que le paiement à l’acte rendrait plus difficile l’évolution des pratiques pour la prise en charge des malades chroniques et des pathologies du vieillissement. Alors, la Cour propose que soit mis en place, « sur la base d’un panier de soins prédéfini, un forfait de base pour le traitement de certaines maladies chroniques ». Mais, dans le même temps, l’obsession de la Cour est avant tout de contenir les dépenses. Et sa dernière proposition est pour le moins provocante : définir une enveloppe globale limitée pour les soins infirmiers chaque année ; en cas de dépassement, les tarifs des soins infirmiers seraient revus à la baisse. En 1996, Alain Juppé avait tenté d’imposer cette logique aux médecins libéraux mais dut y renoncer au terme d’un long bras de fer avec cette profession. Ces “lettres-clés flottantes” ont même durablement traumatisé les syndicats médicaux. L’autre solution de maîtrise des dépenses avancée consisterait à définir une enveloppe de soins infirmiers par médecin traitant en fonction des caractéristiques de sa patientèle. Pas sûr non plus que les généralistes goûtent l’idée. Ni les Idels…
Enfin, la Cour trouve que la Caisse nationale d’Assurance maladie ne contrôle pas assez les auxiliaires paramédicaux (ainsi 156 enquêtes auraient été réalisées l’année dernière sur des indicateurs d’activité aberrants) et ne punit pas assez les fraudeurs (281 infirmiers condamnés à des pénalités en 2013). En résumé, les Sages veulent que moins d’infirmières soient formées, que les conditions d’installation soient durcies, plus surveillées, et leurs modes de rémunération complètement revus. Des propositions détonantes qui seront peu probablement suivies par les pouvoirs publics.
* À lire via le lien raccourci bit.ly/1isr9Jk
Colère, écœurement, accablement… Les réactions des Idels ont été intenses (lire aussi p. 8 et p. 21). Elles ont été rares, les idées de la Cour qui ont plu…
→ Sur le fond, contre l’idée d’une enveloppe de soins infirmiers par médecin traitant, le Sniil cite une étude montrant que seuls 51 % des soins d’Idels sont prescrits par un généraliste, contre 34 % par une structure hospitalière, et 15 % par un spécialiste. Il explique les écarts régionaux d’activité infirmière par le profil de la population (lien Internet raccourci : bit.ly/1NH13hu).
→ Convergence (bit.ly/1W8xXKU), FNI (bit.ly/1KqDrLF), Onsil (bit.ly/1NH2psp), Ordre (bit.ly/1V5CrQ9) ou encore Fnesi (bit.ly/1iBARtx) ont aussi réagi.
→ Une pétition, impulsée par le collectif et groupe privé Facebook “La grève, c’est maintenant”, a dépassé les 10 000 signatures (chn.ge/1LIpcQi).
→ Mais la toute première réaction avait été celle du directeur général de l’Assurance maladie, dans sa réponse annexée au rapport. Il évoque entre autres des travaux à venir pour les Idels pour une nomenclature plus affinée. La proposition d’une enveloppe de soins d’auxiliaires médicaux par prescripteur, « manifestant la sujétion des professions “prescrites” », serait « difficile à concilier avec les objectifs du virage ambulatoire et un climat propice à la coordination inter-professionnelle et à la coordination des soins ».
→ La Cour des comptes publie chaque année un épais rapport (756 pages cette année) sur la Sécu. Elle a pour mission de « s’assurer du bon emploi de l’argent public », et de faire des recommandations au Parlement et au gouvernement — qui ne sont pas obligés de les suivre.
→ Dans ce rapport, après l’analyse des dépenses et recettes, la Cour approfondit une dizaine de sujets, dont, cette année, les dépenses de soins infirmiers ou les maternités.
→ La Cour est actuellement présidée par l’ancien député PS et spécialiste des finances publiques Didier Migaud. Ce rapport sur la Sécu est préparé par Antoine Durrleman, ex-directeur de l’AP-HP et conseiller social d’Alain Juppé à Matignon.
La Cour souligne que l’accroissement des remboursements des actes d’auxiliaires médicaux est « très supérieure » à celle de l’objectif national des dépenses d’Assurance maladie (Ondam). La faute au « virage ambulatoire » ? Ou à l’augmentation de la population, notamment âgée ? La Cour n’y croit pas vraiment, reconnaissant toutefois… un manque d’analyses plus poussées. Pour les magistrats, qui pointent aussi des différences d’activités d’une région à l’autre, l’une des raisons est l’essor des effectifs d’Idels : plus 75,4 % de 2000 à 2014. Voici quelques schémas extraits du rapport.