L'infirmière Libérale Magazine n° 318 du 01/10/2015

 

SOINS

Votre cabinet

Marie-Claude Daydé  

Dans certaines situations de soins, les soignants sont confrontés à des dilemmes éthiques. Voici quelques exemples qui viennent éclairer les réflexions que les professionnels de santé, et plus précisément les infirmières libérales,peuvent nourrir dans certains cas.

Un refus de soin

Mme C., 84 ans, était jusque-là autonome. À la suite d’une infection pulmonaire, ses capacités se réduisent. Sa fille qui lui rend visite estime que l’hygiène est devenue aléatoire. Elle alerte le médecin traitant, lequel prescrit une démarche de soins infirmiers (DSI) qu’il lui remet, à partir de laquelle l’infirmière libérale met en œuvre une douche quotidienne.

Deux jours après le début des soins, Mme C. refuse de les poursuivre. Sa fille tente de la convaincre : « C’est pour ton bien, tu vas de nouveau avoir des mycoses sous les seins ! »… Mais Mme C. persiste dans son refus.

L’infirmière qui pensait “bien faire” se trouve déstabilisée, percevant ce refus comme une remise en cause de sa pratique et une interpellation de la relation soignant-soigné. Elle réalise que la rapidité de la mise en œuvre des soins, qui correspondait à un souhait de la fille, n’a pas pris en compte celui de la mère. Or tout soin nécessite le consentement de la personne et au préalable le droit à l’information. Dans l’attitude de l’infirmière et de la fille de la patiente, il y a discordance entre le souci de bienfaisance et le respect de l’expression de l’autonomie de la dame. La fille, qui perçoit la vulnérabilité de sa mère de façon prégnante, n’entend pas cette demande et, pour tenter de la convaincre, culpabilise sa mère. Après discussions avec le médecin et la fille, l’infirmière tente de réintroduire le dialogue, en proposant une rencontre de tous au domicile de la dame avec son accord. Ce temps partagé permettra d’entendre l’expression d’autonomie de la dame, et de s’inscrire « dans une présomption de capacité plutôt que d’incapacité »(1). Autrement dit, en mettant en avant les capacités de cette personne, des soins plus justes et respectueux de son identité seront mis en place. Avec son accord, l’infirmière interviendra trois fois par semaine.

Une épouse qui demande le pronostic de la pathologie de son mari

M. L. est atteint d’un cancer des poumons en situation palliative. Il en est informé ainsi que son épouse et a exprimé le souhait qu’ils n’en sachent pas davantage. Il conserve une autonomie, poursuit les activités qui le fatiguent le moins. À l’occasion des soins prodigués à M. L., son épouse interroge l’infirmière sur le pronostic.

La révélation d’un diagnostic, voire d’un pronostic, relève du rôle du médecin. De plus, « en cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s’oppose pas à ce que la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance… reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d’apporter un soutien direct à celle-ci, sauf opposition de sa part » (article L. 1110-4 du Code de la santé publique). Les autres professionnels sont aussi concernés, en fonction de leur domaine de compétence, par le droit d’information des personnes sur leur état de santé. « Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. » Dans cette situation, M. L. a fait connaître son opposition à ce « qu’ils n’en sachent pas davantage » et n’a donc pas donné son accord pour que son épouse soit informée du pronostic. Pour autant, l’accompagnement de Mme L. fait partie du rôle infirmier. Dans le cadre d’une relation aidante avec l’épouse, l’infirmière cherchera à comprendre ce qui motive cette demande. Des projets à mener ? Un épuisement qui se fait jour ? Un deuil anticipé ?… Si l’épouse avait un pronostic, cela ne modifierait-il pas sa relation avec son mari (lui ne souhaite pas savoir) ? Sous couvert d’information loyale, peut-on tout dire ou prédire ? Les statistiques ne disent rien d’une situation singulière. Comment prédire ce qui varie d’un individu à un autre et n’est donc pas connu ? Un pronostic fige le présent, l’empêche de se déployer… En soins palliatifs, l’incertitude est parfois source d’espoir et peut permettre au couple, au jour le jour, de faire des projets.

Une situation de violence entre conjoints majeurs, confiée par l’un d’eux

À l’occasion d’une série de soins à une dame, celle-ci confie à l’infirmière que son mari est parfois violent envers elle, mais qu’elle « ne veut pas qu’on en parle ». L’infirmière, mal à l’aise, lui demande si elle en a parlé au médecin, ce que la dame ne souhaite pas faire. L’infirmière propose de l’aider à faire cette démarche, ce que la personne refuse. Ce secret enferme-t-il la soignante, au nom de la confiance et du secret professionnel, dans l’absence de toute intervention visant à protéger cette personne ? Ce qui est confié au professionnel est couvert par le secret, lequel peut être levé lorsque l’infirmier a connaissance de sévices ou privations infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne vulnérable (article 222-14, nouveau code pénal), ou encore lorsque la nécessité de porter assistance à une personne en péril l’exige (article 122-7, Code pénal). Le caractère dangereux de personnes qui détiennent une arme ou envisagent d’en acquérir une fait également dérogation. La levée du secret concernant les sévices ou privations ur des personnes majeures requiert leur accord. Par ailleurs, dans le cadre de la continuité des soins, la loi(2) prévoit que plusieurs professionnels de santé peuvent échanger des informations relatives à une personne, « sauf opposition de la personne dûment avertie ». Dans l’intérêt de cette dame qui a osé une parole sur un sujet difficile, il importe de ne pas trahir sa confiance, d’écouter sa plainte, puis, dans un deuxième temps, de lui proposer des orientations vers des dispositifs d’aide (3 919 Violences femmes info, numéro anonyme et gratuit). Du côté du professionnel, il convient de ne pas porter seul ces situations. Des conseils peuvent être sollicités auprès du conseil de l’Ordre infirmier ou des espaces de réflexion éthique régionaux(3).

(1) A. Zielinski, “Être soi chez soi. Domicile et Identité”, Revue Études, juin 2015.

(2) Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

(3) Arrêté du 4 janvier 2012 relatif à la constitution, à la composition et au fonctionnement des espaces de réflexion éthique régionaux et interrégionaux.

LEXIQUE

• La déontologie

Énonce un ensemble de principes et de règlespropres à une profession qui a pour but de guider sa pratique. Un décret en Conseil d’État devrait promulguer, avant la fin de l’année, le code de déontologie des infirmiers.

• L’éthique

Interroge le bien-fondé de l’action dans le respect de la personne soignée en tant que sujet. Incarnée dans une sagesse pratique, l’éthique prend la formed’une interrogation, d’une recherche qui ne peut pas en rester à l’obéissance à des normes, même si elle s’appuie sur des codes et des lois. Que faire, pour bien faire, dans cette situation, pour cette personne-là ? C’estun questionnement partagé en équipe, où la délibération demande du temps et ne sera pas toujours consensuelle, mais souvent la moins mauvaise solution.