L'infirmière Libérale Magazine n° 319 du 01/11/2015

 

Cahier de formation

Savoir faire

Le risque de complications liées à l’immobilité prolongée est important. L’Idel peut chercher conseil auprès des autres soignants du domicile pour la manutention des patients selon les principes d’ergonomie et prendre des mesures de prévention des escarres.

Vous rendez visite à Mme R., âgée de 58 ans, pour une prescription d’héparines de bas poids moléculaire (HBPM) en prévention du risque thrombo-embolique consécutif au traitement orthopédique d’une fracture non déplacée du plateau tibial gauche (immobilisation sans chirurgie). Elle n’a pas encore l’appui autorisé du pied gauche, sa jambe gauche est immobilisée par une attelle rigide. Elle vous demande s’il est encore nécessaire de faire des injections d’HBPM alors qu’elle a commencé la rééducation chez le kinésithérapeute.

Vous lui expliquez que les traumatismes des membres inférieurs font partie des facteurs de risque thrombotique. Et que, chez les patients avec un traumatisme sous le genou, le risque de thrombose augmente en cas d’immobilisation, même sous prophylaxie. Le risque est aussi augmenté par la gravité du traumatisme, la mise en décharge du membre atteint et un âge supérieur à 50 ans. En l’absence de données plus précises, le traitement préventif est prescrit jusqu’à la reprise de la marche (conformément aux recommandations de la Société française d’anesthésie et de réanimation).

IMMOBILITÉ ET DÉCUBITUS

Les complications d’une position de décubitus prolongée sont liées à la fois à l’immobilisation et à la position allongée à l’horizontale qui perturbe l’équilibre physiologique de l’organisme organisé pour la position debout (lire l’encadré de la page ci-contre). Les modifications physiologiques sont dues aux principaux “effets déconditionnants” qui touchent les systèmes cardiovasculaire, musculaire, osseux et articulaire. Or le décubitus strict n’est pas la seule position d’immobilisation à engendrer de telles complications. Si une mise au fauteuil régulière redonne une position “jambe en bas et tête en haut”, rétablit une posture physiologiquement mieux adaptée à la gravité terrestre et réduit les complications liées à l’alitement strict, l’immobilité en général est elle-même génératrice de complications. Moyen mnémotechnique pour la prise en charge, l’acronyme Tubec (pour Thrombo-embolique, urinaire, bronchique, escarres, cardiaque) a l’avantage de situer la complication la plus grave en premier.

ESCARRES

L’alitement et l’immobilisation prolongés exposent à des pressions excessives au niveau des zones d’appui, donc à la formation d’escarres. La nécrose ischémique des tissus cutanés et sous-cutanés est due à une pression augmentée entre les parties molles et un relief osseux. Il est important de repérer les patients à risque en fonction des facteurs favorisants. La mise en place de mesures préventives efficaces permet d’en prévenir la survenue (lire la partie de Savoir faire p. 45).

ŒDÈME ET THROMBOSE VEINEUSE PROFONDE

Mécanismes

Les complications vasculaires sont principalement dues à la modification des volumes et la stase sanguine (ralentissement du débit veineux). Parmi les mécanismes en cause :

→ le volume sanguin central augmente et le volume périphérique diminue. La réduction des volumes sanguins périphériques associée à l’inefficacité des valvules veineuses, due à l’absence de contractions musculaires (immobilité), entraînent une stase veineuse, principale source de thrombose veineuse profonde ;

→ les modifications des parois capillaires entraînent une augmentation du passage extravasculaire des protéines sanguines responsable d’un œdème déclive.

Prévention de l’œdème des membres inférieurs

→ Contention veineuse des membres inférieurs 24?heures sur 24 (bas ou bandes).

→ Contractions musculaires régulières des membres inférieurs.

→ Massage de drainage veineux des membres inférieurs par le kinésithérapeute en cas d’œdème.

Prévention de la thrombose veineuse profonde

→ Contention veineuse des membres inférieurs 24 heures sur 24 (bas ou bandes).

→ Verticalisation précoce.

→ Contractions musculaires régulières des membres inférieurs.

→ Traitement antithrombotique préventif par HBPM.

Surveillance des complications thromboemboliques

→ Pouls, pression artérielle, température, respiration.

→ Chaleur, douleur, signe de Homans (mollet).

HYPOTENSION ORTHOSTATIQUE ET DIMINUTION DES CAPACITÉS D’ENDURANCE

Mécanismes

Les complications cardiaques induites par le décubitus entraînent :

→ un syndrome de désadaptation à l’orthostatisme avec hypotension orthostatique ;

→ la diminution importante des capacités d’endurance. Perte de 25 % de la capacité maximale aérobie ou VO2 max (débit maximum d’oxygène consommé lors d’un effort).

Les modifications cardiaques sont sévères dès la troisième semaine. À cette période, la verticalisation peut conduire à l’incapacité du cœur à assurer un débit sanguin suffisant dans des zones qui le nécessitent.

Prévention de l’hypotension orthostatique

À la reprise du lever, l’hypotension orthostatique est prévenue par :

→ le port de bas de contention ;

→ une verticalisation progressive ;

→ des traitements médicamenteux dans les cas les plus graves, le plus souvent des vasoconstricteurs (dérivés ergotés), les alphastimulants ou la fludrocortisone ;

→ un réentraînement à l’effort par l’amélioration de la fonction aérobie (rééducation post-immobilisation).

COMPLICATIONS RESPIRATOIRES

Mécanismes

En dehors de l’embolie pulmonaire (complication vitale d’une thrombose veineuse profonde), les complications respiratoires de type encombrement bronchique en décubitus prolongé sont essentiellement liées aux effets gravitationnels sur la circulation et la ventilation pulmonaires, aux altérations de l’escalator muco-ciliaire (système des conduits aériens qui évite l’empoussiérage des alvéoles pulmonaires) et aux modifications des mouvements diaphragmatiques. Ces anomalies ont pour conséquences :

→ un syndrome restrictif favorisant le développement d’atélectasies (affaissements d’alvéoles pulmonaires) et de pneumopathies ;

→ une diminution de la capacité aérobie et la limitation de l’aptitude à l’effort pouvant bénéficier d’un programme de réadaptation.

Prévention

Elle consiste à lutter contre la stase bronchique, l’hypoventilation et la surinfection par :

→ la surveillance clinique (fréquence respiratoire, coloration cutanée) et/ou paraclinique (saturation en oxygène, SAO2, prélevée avec un oxymètre de pouls), avec surveillance gazométrique par prélèvement d’un échantillon de sang artériel (“gaz du sang”) en cas de gravité clinique ;

→ la kinésithérapie respiratoire quotidienne, voire biquotidienne, chez les patients à risque de décompensation ;

→ l’aérosolthérapie et les fluidifiants bronchiques qui peuvent être associés, sans avoir fait la preuve de leur efficacité clinique.

COMPLICATIONS DE L’APPAREIL LOCOMOTEUR

Ces complications de l’immobilité concernent les os, les structures péri-articulaires et les muscles.

Ostéoporose

L’alitement prolongé est associé à une perte osseuse à cause d’un déséquilibre entre la résorption due aux ostéoclastes et la formation osseuse due aux ostéoblastes qui assurent le renouvellement constant du tissu osseux. En prévention, un travail musculaire actif et une verticalisation précoce sont préconisés sans que leur efficacité n’ait été clairement prouvée.

Raideurs articulaires

Mécanismes

Immobilisation et mise en décharge prolongées engendrent des modifications au niveau des capsules, des ligaments, des cavités et surfaces articulaires, des tendons et des muscles qui sont à l’origine d’enraidissement.

Prévention

Dans l’objectif de conserver les amplitudes articulaires, la prévention des attitudes vicieuses passe par :

→ un positionnement correct des patients alités en évitant les attitudes vicieuses (notamment en flexion de hanche et genou, extension de cheville) ;

→ l’utilisation de structures modulaires en mousse, prédécoupées ou découpées à la demande ;

→ l’alternance des postures de façon à maintenir les secteurs de mobilité articulaires ;

→ des mobilisations articulaires passives, actives aidées ou actives réalisées lors de séances de kinésithérapie biquotidiennes. Le but est de préserver une mobilité avec des amplitudes compatibles avec la fonction.

Atteintes musculaires

Mécanismes

Un décubitus ou une immobilisation altère l’ensemble des propriétés du muscle : force maximale, endurance, élasticité, extensibilité et viscosité (résistance au mouvement qui influence l’efficacité d’un muscle à travailler). La perte des contraintes exercées sur les muscles participant à la station debout et à la marche entraîne :

→ réduction du volume musculaire, une amyotrophie qui peut être mesurée par la diminution du périmètre du segment de membre concerné ;

→ perte de la force de contraction maximale qui dépend de la durée d’immobilisation. Elle peut être rapide pour certains muscles : le quadriceps perd jusqu’à 30 % de sa force dès le huitième jour d’immobilisation et 26 à 40 % à un mois. La perte de force serait plus importante en position de raccourcissement, c’est pourquoi la position d’immobilisation doit être la plus proche de la position de fonction ;

→ diminution de la capacité d’endurance à l’effort ;

→ raccourcissement musculaire (rétraction) qui dépend de la position d’immobilisation et peut entraîner des déformations parfois irréversibles.

Prévention

La récupération musculaire après un décubitus est longue et parfois impossible, notamment en cas de rétractions. Les mesures de prévention suivantes doivent être précoces et maintenues tout au long de l’immobilisation :

→ installation correcte du patient en position de fonction : membres en extension, pieds à 90°, doigts en extension neutre, la main étant au mieux légèrement surélevée du plan du lit pour prévenir la stase veineuse ;

→ étirements musculaires et mobilisations articulaires par le kinésithérapeute ciblés sur les muscles les plus à risque en fonction de la position ;

→ correction de la perte protidique par une supplémentation en protéines, vitamine E, sélénium (actions antioxydantes) et acides gras.

COMPLICATIONS DIGESTIVES

Reflux gastro-œsophagien

Il peut être favorisé par le décubitus où il est source de complications pulmonaires mais n’est pas induit par l’immobilité. La prévention repose sur le maintien en position assise ou demi-assise pendant une heure après le repas.

Fausses routes

Elles augmentent avec l’âge et doivent être systématiquement recherchées chez les sujets à risque (personnes âgées, accidents vasculaires cérébraux).

La prévention repose sur des mesures simples :

→ adaptation de l’alimentation solide et liquide en cas de difficulté de déglutition ;

→ position demi-assise lors des repas ;

→ privilégier la prise des repas par le patient lui-même ;

→ position de tête en légère antéflexion ;

→ bonne hygiène dentaire.

Constipation

Elle est fréquente chez le sujet alité. La stase colique et rectale à l’origine de la constipation favorise le météorisme (gaz dans l’intestin, ballonnements). La constipation est aggravée par la prise de certains médicaments, en particulier antalgiques, et certaines conditions neurologiques (paraplégie…). En prévention :

→ surveillance du nombre de selles hebdomadaires ;

→ verticalisation précoce ;

→ apport hydrique suffisant.

DSI

Élaboration

L’élaboration d’une démarche de soins infirmiers (DSI) à domicile est adaptée à la prise en charge d’« un patient, quel que soit son âge, en situation de dépendance temporaire ou permanente » (article 11 de la NGAP). Une DSI est prescrite pour trois mois au maximum, renouvelable jusqu’à cinq fois par an pour un même patient. La première DSI est cotée DI 1,5, soit 15 euros, les suivantes, pour un même patient, sont cotées DI 1, soit 10 euros.

Soins de prévention

Les soins infirmiers visent à préserver l’autonomie du patient. Le médecin prescrit une DSI. L’Idel fait un bilan des besoins du patient et de son environnement, puis élabore un programme de soins personnalisé. Dans le cadre de la DSI, l’Idel peut coter des séances de soins en AIS 3 (toutefois jugée déconnectée de la réalité par nombre d’Idels), la mise en œuvre d’un programme d’aide personnalisé en AIS 3,1, des séances de surveillance clinique infirmière et de prévention en AIS 4. Chaque acte est différencié et certains peuvent se cumuler. à l’avenir, un bilan de soins infirmiers devrait remplacer la DSI.

Le “décubitus” des spationautes

Chez l’homme, les complicationsd’un décubitus prolongé sont forcément liées à une maladie ouun traumatisme. Dans le cas exceptionnel d’une situation de microgravité (très faible gravité), dans l’espace, lors d’une mise en orbite autour de la Terre, l’organisme subit des modifications dues à l’apesanteur similaires à celles observées en décubitus prolongé. Ces modifications dues à une perturbation de l’effet de la gravité terrestre sur l’organisme entraînent des complications, notamment au niveau du volume et de la force musculaire, et du système cardiovasculaire. Si bien que les agences spatiales font des recherches sur la prévention de ces complications en simulant sur Terre les effets de la microgravité spatiale en positionnant les personnes en décubitus avec la tête inclinée vers le bas de -6° par rapport à l’horizontale (décubitus anti-orthostatique). Sur Terre, l’installation au fauteuil et la verticalisation remettent le corps en position physiologique par rapport à la pesanteur terrestre…

Question de patient

Qu’est-ce qui est plus long, la récupération musculaire ou osseuse ?

La récupération musculaire est d’autant plus longue que l’immobilisation et le décubitus sont prolongés, mais elle est toujours plus rapide que pour l’os*. Vous aurez récupéré votre autonomie musculaire alors que vous aurez encore une fragilité osseuse.

* “Complications de l’immobilité et du décubitus. Prévention et conduite à tenir”, Collège français des enseignants universitaires de médecine physique et de réadaptation (Cofemer), 2009 (disponible via le lien raccourci bit.ly/1LI9cO3).