Profession FAUT-IL CRAINDRE LA FIN DE L’EXERCICE LIBÉRAL ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 319 du 01/11/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 319 du 01/11/2015

 

Le débat

Laure Martin  

La multiplication du nombre de maisons de santé – 1 000 d’ici 2017 – et la volonté affichée par les pouvoirs publics d’une coopération accrue entre professionnels de santé génèrent, chez certaines Idels, la crainte notamment d’un éventuel futur salariat. Faut-il vraiment redouter une fin du modèle libéral ?

Pierre de Haas, président de la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS)

La crainte de certaines Idels d’une fin du libéral vous semble-t-elle légitime ?

Actuellement, je pense que la crainte est injustifiée. Il n’y a eu aucune annonce, ni aucune volonté affichée de salarier les infirmiers, ni aucune autre profession libérale de la santé. Il n’y a pas de projet pernicieux et caché, ni d’évolution législative. Dans les maisons de santé, il n’y a que des infirmières libérales. Si les infirmières sont salariées, c’est à des postes de coordination, ou alors dans le cadre de dispositifs spécifiques.

Le système libéral est-il réellement menacé ? Sa fin serait-elle vraiment une solution pour la pérennité de notre système de santé ?

Non, je ne pense pas. Je trouve que l’exercice libéral est en pleine puissance, les professionnels disposent d’une liberté d’entreprendre sans être menacés. Le système pourrait être fragilisé si les libéraux n’assumaient pas leurs responsabilités. Nous constatons à l’heure actuelle des problèmes d’accessibilité économique et géographique, et la réponse à la demande des patients est un réel souci. Si le système libéral se retrouve dans une situation où le médecin ne prend plus de nouveaux patients, alors il va être menacé. Mais s’il se restructure et s’organise pour que tous les Français aient accès aux soins, alors il perdurera. Aujourd’hui, certains professionnels réclament le statut libéral tout en refusant leurs responsabilités. Ce n’est pas possible. Il faut structurer les soins primaires, répondre aux besoins des territoires et dispenser des soins de qualité. On n’est pas encore en période d’alerte. Mais l’État pourrait s’énerver s’il ne recevait que des plaintes.

Une fin du libéral n’impliquerait-elle pas une moindre liberté de choix pour les patients ?

Le fait que le système soit ou non libéral est indépendant de la notion de liberté de choix des patients. Cette liberté ne dépend pas du statut du médecin. Ce n’est pas le problème des patients. Ils ne choisissent pas leur médecin en fonction de son mode de rémunération. En revanche, je suis favorable au choix du médecin traitant par le patient, mais je pense que, pour avoir un système vraiment structuré, le choix devrait se porter sur toute une équipe.

Brigitte Dormont, professeur d’économie et titulaire de la Chaire Santé de l’Université Paris-Dauphine*

La crainte de certaines Idels d’une fin du libéral vous semble-t-elle légitime ?

Je comprends cette crainte car, depuis plusieurs années, il y a une réelle volonté de mettre en place une coopération entre les médecins en ville et les infirmiers, et certaines expérimentations réalisées ont lieu dans le cadre du salariat pour les infirmiers avec Asalée par exemple. Mais cette crainte, est-elle justifiée ? Il y a une réponse d’abord politique avec la question du pouvoir de négociation des médecins face à celui des infirmiers, dans un contexte où la tutelle veut faire avancer la coopération. Ce dossier est risqué car on fait entrer les professionnels dans un processus de production où le médecin est placé en haut de la hiérarchie. Il y a un risque que les infirmiers ne puissent pas assez donner de la voix pour y trouver leur compte. D’un point de vue économique, il faut distinguer statut, libéral ou salarié, et mode de paiement. La coopération n’implique pas forcément le salariat.

Le système libéral est-il réellement menacé ? Sa fin serait-elle vraiment une solution pour la pérennité de notre système de santé ?

Le problème repose sur la polysémie du mot “libéral”. La médecine libérale concerne l’exercice autonome de la profession, mais aussi le libéralisme économique. La charte de la médecine libérale de 1927 évoque des principes de fonctionnement de la médecine difficilement compatibles avec l’Assurance maladie française. Car les prix des consultations doivent être fixés pour qu’il y ait une réelle garantie de couverture, il faut une répartition géographique des médecins pour offrir un égal accès aux soins et l’efficience commande que la prescription soit un minimum contrôlée. Or certains médecins libéraux ont des difficultés à accepter ces contraintes, remettant alors en cause la pérennité du système. D’autres, comme les infirmiers, les ont acceptées notamment avec leur installation, et cela n’a pas remis en cause l’exercice libéral de leur profession.

Une fin du libéral n’impliquerait-elle pas une moindre liberté de choix pour les patients ?

La liberté pour le patient de choisir son praticien est fondamentale car elle incite à une meilleure qualité des soins. Les critères de choix peuvent être les informations disponibles sur la qualité des soins, le système de paiement (salariat, forfait ou paiement à l’acte), mais aussi le mode d’exercice des professionnels.

* Auteure de propos retentissants, en avril sur France Culture, sur « la mort annoncée de la médecine libérale » avec la mise en place du tiers payant généralisé.