L'infirmière Libérale Magazine n° 319 du 01/11/2015

 

PATIENTÈLE

L’exercice au quotidien

Laure Martin  

Installé depuis sept ans, Cédric a perdu, du jour au lendemain, la quasi-totalité de sa patientèle… que son ancien confrère a amenée avec lui dans son nouveau cabinet, dans la même commune.

« Après avoir travaillé pendant trois ans dans un centre psychothérapeutique, j’ai eu envie de changer de mode d’exercice. J’ai appris qu’une infirmière souhaitait monter un cabinet libéral dans ma ville. Le centre refusait de me laisser partir, je me suis donc mis en disponibilité et je me suis lancé dans l’aventure du libéral avec elle. On a travaillé ensemble pendant trois ans, jusqu’à ce qu’elle ait l’opportunité d’ouvrir un cabinet à côté de chez elle. Après son départ, j’ai gardé notre cabinet et trouvé un nouveau collègue. Mais, rapidement, j’ai constaté que nous n’avions pas la même façon de travailler : lui voulait surtout gagner de l’argent, quitte à prendre 70 patients par jour, alors que ce n’est pas ma façon de travailler. Nous avons donc été très vite en conflit. Finalement, il a décidé d’acheter son propre cabinet dans la commune. Je lui ai alors dit que nous allions nous partager notre patientèle. Mais, de toute évidence, il n’était pas d’accord… Je suis parti en vacances pendant deux semaines et, la veille de ma reprise, j’ai reçu un email de sa part m’apprenant qu’il avait cessé toute collaboration avec moi et qu’il ne me laissait que quatre patients car, les autres, il les avait gagnés à la sueur de son front. Il est donc parti du jour au lendemain avec la patientèle du cabinet que j’avais fondé. De 45 patients, je suis passé à quatre ! Cette situation a été cauchemardesque. J’ai cherché à récupérer mes patients en les appelant, mais je les mettais dans l’embarras, d’autant plus que mon ancien confrère leur avait dit que c’était moi qui étais parti. J’ai donc contacté les infirmières du secteur, les masseurs-kinésithérapeutes, les pharmaciens, pour leur expliquer ma situation, et ils m’ont aidé à reconstruire ma patientèle. Aujourd’hui encore, malgré ma trentaine de patients, ma situation demeure difficile car les charges à payer sont toujours là et j’ai un retard financier à rattraper. J’ai décidé de faire appel à un avocat, car j’ai découvert qu’avant de partir, mon ancien collègue avait adressé un courrier à tous nos patients pour leur dire que le cabinet avait changé de coordonnées, ce qui peut être considéré comme un détournement de patientèle. Mais ce n’est pas gagné car nous n’avions pas signé de contrat : le détournement s’avère donc difficile à prouver. Cette situation a été un coup dur. Depuis, j’ai trouvé une nouvelle associée avec qui j’ai signé un contrat ! »

Avis de l’expert

« Les Idels se doivent de signer un contrat »

Maître Pierre Desmarais, avocat en droit de la santé

« Les Idels se font naturellement confiance et “s’associent” assez rapidement. Elles vont partager les moyens, les bénéfices, mais pas forcément signer de contrat. Elles créent donc une société de fait, qui est légale, mais n’attribue aucune protection. Dès lors qu’elles décident de travailler ensemble, il leur est fortement recommandé de signer un contrat. Elles peuvent décider de créer un cabinet groupé, de collaborer ou de devenir associées : tout va dépendre du niveau de confiance qu’ils s’accordent. Et le contrat permettra de déterminer à qui appartient la clientèle, qui doit payer les taxes et les impôts, à qui appartient l’argent sur le compte bancaire. Il permet d’anticiper d’éventuels problèmes à venir. La société de fait est la pire des solutions, mais cela arrive régulièrement. Par ailleurs, il est fortement conseillé de se faire aider pour rédiger le contrat car, lorsque les infirmières l’écrivent toutes seules, il n’est pas toujours fait de la bonne manière. »