ÉVÉNEMENTS > Lors des attaques terroristes du 13 novembre, les soignants se sont montrés à la hauteur de leur mission. Et, pour se consacrer aux victimes, ils ont mis de côté leur opposition à la loi de santé, reportant leurs manifestations à l’entre-deux tours des élections régionales, en décembre.
« Dans ces circonstances tragiques, vous avez su prendre en charge les urgences vitales, traiter les blessés, accompagner les personnes choquées, soutenir les familles et répondre, de façon adaptée, à l’ensemble des appels. […] Tous, médecins, personnels soignants et administratifs, vous avez fait preuve d’un professionnalisme exemplaire. […] Vous avez agi en héros, et je vous exprime ma très grande et sincère gratitude. » Dans une lettre adressée le lundi 16 novembre au personnel de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), la ministre de la Santé, Marisol Touraine, a rendu hommage au travail des soignants après les attentats commis trois jours plus tôt à Paris par des terroristes du groupe État islamique. Elle a par ailleurs annoncé, le 20 novembre, le versement de 3 millions d’euros à l’AP-HP, une somme « notamment destinée à financer des mesures exceptionnelles de gratification des personnels ayant participé à la prise en charge des victimes ».
En effet, parallèlement aux interventions policières, les soignants ont été les premiers à se remonter les manches pour prendre en charge les blessés – plus de 350 – et ainsi éviter que de nouveaux noms ne viennent s’ajouter à la liste des 130 personnes décédées dans les attaques.
Dès le vendredi soir, l’AP-HP a déclenché un plan blanc, un dispositif de mobilisation maximale permettant aux établissements de faire face à un afflux de patients. Une disposition qui a permis aux hôpitaux parisiens de prendre en charge 433 personnes, dont 80 en situation d’urgence absolue. « Quand la direction des soins m’a appelée, le vendredi soir, je n’ai même pas réfléchi : j’ai sauté dans un taxi, rapporte Françoise, infirmière dans l’un des cinq “trauma centers” parisiens (Lariboisière, La Pitié-Salpêtrière, Beaujon, Pompidou et Bichat). J’ai simplement eu peur de ne pas être à la hauteur, car je n’avais jamais vu de blessures par arme à feu. Beaucoup de collègues étaient venus spontanément, tous avec le même objectif : soigner. »
Passée l’urgence, le travail des soignants ne fait pourtant que commencer. Ce sont d’abord le bloc et la réa qui prennent le relais puis, à la sortie de l’hôpital, c’est au tour des infirmières libérales. « J’ai une rescapée du Bataclan en soins, témoigne ainsi Iris, Idel à Montrouge (Hauts-de-Seine). Outre la charge psychologique, les soins sont très longs : j’ai passé trois quarts d’heure à retirer des particules métalliques de sa jambe. Je porte aussi son vécu. Je fais de mon mieux pour rendre les choses moins pesantes, la ramener vers la vie. J’ai cherché pour elle des contacts pour le suivi psychologique. »
La route vers la guérison sera encore longue pour les rescapés, non seulement blessés physiquement mais aussi traumatisés psychologiquement. Pour les aider à se soigner, Marisol Touraine a annoncé la mise en place immédiate de la gratuité des soins et de la simplification des procédures de prise en charge par l’Assurance maladie pour les victimes de terrorisme, initialement prévue pour 2016. Plusieurs dispositifs d’aide psychologique sont également proposés en Île-de-France : l’École militaire (VIIe) accueille les familles des victimes, tandis que la Mairie de Paris a ouvert une plateforme téléphonique
Autre conséquence des événements : le report de l’examen à l’Assemblée nationale de la loi de santé, initialement prévu le lundi 16 novembre. À la demande de nombreux députés, soutenus par les professionnels de santé, il a été remis au 24 novembre, et son vote au 1er décembre, après notre bouclage.
Dans une lettre ouverte au président de la République, le Mouvement pour la santé de tous a même réclamé un moratoire (sur lequel il travaillait déjà avant les attentats) jusqu’en février 2016, après la Conférence nationale de santé. Cela « permettrait l’instauration de la concertation qui a fait défaut jusqu’à maintenant », a-t-il souligné. Ce rassemblement d’une quarantaine de syndicats de professionnels de santé – dont trois des quatre syndicats d’Idels – et d’organisations étudiantes a rappelé que les soignants, de leur propre initiative, avaient mis fin à la grève engagée dans la journée du vendredi, juste avant les attentats. Cette journée “santé morte” était destinée à protester contre la généralisation du tiers payant, accusée de « menacer l’exercice libéral ». Les Idels étaient ainsi invitées à fermer leur cabinet ce 13 novembre, date à laquelle des opérations escargot ont été organisées à Paris et dans de nombreuses villes de province, dont Lyon (Rhône), Marseille (Bouches-du-Rhône) ou encore Bordeaux (Gironde).
Les manifestations prévues le lundi 16 ont, elles, été annulées, par mesure de sécurité mais aussi à l’initiative des soignants. « Les attentats odieux qui ont été commis à Paris et dans sa région imposent à tous unité et recueillement », a notamment justifié le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux. Sur les réseaux sociaux, nombre de libérales ont par ailleurs lancé des initiatives en hommage aux victimes, appelant par exemple à accrocher un tissu noir à son véhicule lors des tournées. De même, l’association Infin’Idels a invité ses adhérents à porter un brassard noir. « Nous n’avons pas répondu à une injonction, [l’annulation de la manifestation] s’imposait. C’était notre devoir de professionnels responsables, de citoyens solidaires, de patriotes mobilisés », a fait savoir le Mouvement pour la santé de tous. Il promet cependant « un grand mouvement d’opposition » au projet de loi de santé entre les deux tours des élections régionales, du 6 au 13 décembre, dénonçant « une tentative de passage en force dans ces moments si douloureux ».
(1) À lire en intégralité sur notre site Internet www.espaceinfirmier.fr, à la date du 18 novembre.
(2) Joignable au 3975.
Après les attentats, la tentation de rester scotché aux chaînes d’info en continu était grande. Or ce comportement n’est pas sans risque, préviennent les spécialistes de la santé mentale : il peut entraîner des symptômes de stress post-traumatique (troubles du sommeil, anxiété, dépression…).
E. Alison Holman, professeure en sciences infirmières à l’Université de Californie et auteure d’une étude après les attentats du marathon de Boston, en 2013, a expliqué à CBS News (cf. Courrier international via bit.ly/1YgLNMo) que « l’exposition répétée à des images violentes permet de maintenir les événements traumatiques vivants et prolonge la réponse au stress chez les personnes vulnérables ». Cette étude montre que la “consommation” quotidienne de six heures d’informations sur les attentats dans la semaine suivant l’événement provoquait un stress plus important que celui ressenti par les personnes présentes sur les lieux ou à proximité.