RELATIONS SOIGNANTS-SOIGNÉS > Lors du deuxième Congrès de la médecine de la personne à Poitiers (Vienne) les 20 et 21 novembre, deux médecins et une infirmière libérale ont croisé leur vécu sur ces moments singuliers d’annonce, du soignant au patient et inversement.
Pendant une pathologie, les annonces sont multiples. En prenant l’exemple de l’un de ses patients qui découvre qu’il est atteint du VIH, le médecin généraliste Eloi Piketty décompte pas moins de sept annonces successives : celle de la pathologie au patient, celle de la pathologie à ses proches… jusqu’à l’annonce des conséquences de cette pathologie dans la vie privée du patient (ici un divorce). L’annonce circule ainsi dans les deux sens : elle peut être l’œuvre du soignant qui délivre une information au patient (le diagnostic…), soit le fait du patient qui s’adresse au soignant (un choix thérapeutique ou un changement de vie personnelle).
Mais le médecin note aussi que la plupart de ces annonces verbales (notamment pour le diagnostic) n’en sont pas vraiment, car la logique du fonctionnement médical “annonce” déjà beaucoup. En témoigne une série de photos prises dans les hôpitaux ou dans des salles d’attente et que présente le docteur Piketty. Ces images montrent que l’espace où évolue le patient, par son simple balisage (“oncologie”, “hématologie”…) ou par les messages de prévention et de conseil qui y sont affichés (“Vivre avec un cancer”…), est déjà, en soi, extrêmement clair. Au risque même de faire de l’humour noir comme lorsqu’un panneau indique dans la même direction la pharmacie… et les chambres mortuaires.
Le docteur Laurent Montaz, chef du service de soins palliatifs au CHU de Poitiers, se demande, lui, si “parler” est suffisant pour “annoncer”. D’après le dictionnaire, annoncer, c’est prédire l’avenir. En conséquence, en plus de parler, cette posture demande de réconforter, d’écouter, d’échanger et donc paradoxalement… de savoir se taire. Le praticien conseille aussi de faire les annonces en présence de plusieurs autres professionnels pour éviter au patient d’entendre répéter son diagnostic, mais aussi pour qu’un consensus se fasse autour de ce qui a été dit et de quelle manière.
L’acte d’annoncer revêt donc une haute importance car il consiste à commencer à traiter mais aussi à dire au patient qu’on ne l’abandonne pas, ce qui est essentiel. Annoncer serait donc comme transformer le soignant en guide de haute montagne pour aider le patient à passer les étapes périlleuses de sa pathologie, mais un guide qui collabore et accepte aussi que ce soit le patient qui choisisse parfois son chemin.
Brigitte Greis, infirmière libérale à Poitiers, note, pour sa part, que sa profession est bien souvent oubliée dans les processus d’annonce et qu’elle se retrouve à faire des soins à des patients pour lesquels elle ne sait pas ce qui a été annoncé. Mais elle invite aussi à se demander pourquoi “dire” serait le seul moyen de communiquer. Autour du cas concret d’un patient qui ne lui a jamais “rien dit” sur sa pathologie, elle imagine que le “bon” soin infirmier peut aussi être vu comme une danse, une rencontre silencieuse où la communication se fait par les gestes. Et c’est peut-être alors dans cette danse, dans ce relâchement des mots, que se résoudraient les paradoxes d’un soin sans annonce où le soignant ne “sait” pas mais comprend quand même ce qui se passe, où le temps est suspendu puisqu’on ne sait pas quand tout a commencé, et où le patient est à la fois seul et très entouré ; seul face à sa maladie mais entouré de nombreuses personnes qui s’occupent et parlent de sa pathologie… Est-il vraiment nécessaire de connaître la pathologie pour connaître celui qui la porte ?