L'infirmière Libérale Magazine n° 320 du 01/12/2015

 

Éditorial

Mathieu Hautemulle  

Une dizaine de jours après les attentats du 13 novembre, et une dizaine d’autres avant que vous ne receviez votre magazine, flotte dans l’air une inquiétude diffuse. La société est sous le choc, un psychiatre de cellule d’aide psychologique y voyant « presque un problème de santé publique »(1). Le temps du soin, marqué par un remarquable travail des professionnels, n’est pas encore passé que fusent déjà les premières réponses politiques, belliqueuses. Seront-elles suffisantes, et même adéquates à long terme pour soigner le grand corps malade de la France ? Nous nous posions déjà la question ici-même au lendemain des violences faites à Charlie-Hebdo. Force est de constater que les seules réponses sécuritaires n’ont pas empêché de nouveaux crimes contre l’humain. Aujourd’hui, au nom de la lutte pour la sécurité, s’ajoute en outre une menace contre les libertés. Ainsi l’interdiction de manifester à Paris jusque fin novembre. On peut en comprendre les raisons, on peut ne pas les approuver. Dans le domaine de la santé, des opposants au projet de loi Touraine ont regretté de ne plus pouvoir s’exprimer dans la rue. C’est un beau symbole que le débat parlementaire ne s’arrête pas à cause du terrorisme ; c’en serait un mauvais que le débat public en général soit entravé par des mesures d’ordre. Le rassemblement mondial pour le climat, ainsi, a été appelé à se passer de la voix du peuple, qui voulait se faire entendre à Paris. Dans ce contexte, d’aucuns font même référence à la doctrine, mise à jour par la journaliste Naomi Klein, de « stratégie du choc », par laquelle certains régimes profiteraient de circonstances déstabilisantes pour la population (catastrophes naturelles, guerres, attentats…) pour faire prospérer des intérêts privés(2). Faut-il rappeler cette évidence ? L’équilibre est fragile, et l’état d’urgence ne doit pas menacer l’État de droit, cet État visé par les terroristes – et qu’il nous faut préserver.

(1) Cité par Ouest-France (lien : bit.ly/1jfWuiq).

(2) Naomi Klein, La Stratégie du choc, Actes Sud, 590 p. , 2008. 25,40 euros.