Pelle Forshed, ancien aide à domicile et désormais dessinateur en Suède
La vie des autres
L’expérience de travailleur à domicile du Suédois Pelle Forshed dans la ville de Stockholm, racontée par le biais de son regard d’artiste et de journaliste, a nourri son album Histoires de famille, paru en France il y a quelques mois chez L’Agrume éditions.
L’humanité crue. Tous ceux qui travaillent à domicile le savent, il y a quelque chose d’universel dans la façon dont les hommes vivent ; une quotidienneté de l’étrange, de l’obscur, du pathétiqueou du merveilleux intime qui se vit mais ne s’exprime pas. Peu d’artistes se sont intéressés à ce sujet, si particulier et incroyable au sens propre du terme. C’est le cas de Pelle Forshed qui, dans sa bande dessinée Histoires de famille
Pelle Forshed a travaillé plusieurs années comme aide à domicile à Stockholm, en Suède, où il vit. « Le matin, j’aidais les personnes à se préparer, se lever, se laver, prendre leur petit-déjeuner, s’habiller. À midi, je préparais le déjeuner et ensuite c’était variable d’un jour à l’autre mais, en gros, je faisais le ménage, la vaisselle, les courses alimentaires et je les accompagnais en balade dans les parcs ou aux consultations à l’hôpital. Mais c’était juste pour payer le loyer puisque je ne trouvais pas de travail comme illustrateur ! Au départ, je pensais que je n’aimerais jamais ça mais, avec le temps, j’ai commencé à apprécier ce travail et j’ai même réalisé que c’était finalement le job idéal à faire à mi-temps avec celui d’illustrateur débutant. En fait, je crois que j’ai vraiment appris à aimer prendre soin des autres… » Durant ses études, Pelle Forshed n’avait jamais pensé devenir aide à domicile, ni même soignant tout court. « J’ai étudié pas mal de choses durant mes études. J’ai fait une école de cinéma, puis j’ai étudié l’ethnologie pour finalement décidé d’apprendre le métier de journaliste. Ce n’est pas la voie royale pour devenir illustrateur, mais c’est la mienne… Quand j’ai commencé à travailler comme journaliste, on m’a envoyé couvrir les élections danoises et je devais aussi prendre des photos. Mais elles étaient si mauvaises que j’ai préféré faire des dessins à la place. Cela a plu au journal pour lequel je travaillais et une petite lumière s’est allumée : et si je faisais ça ? C’est là que j’ai commencé comme illustrateur… Mais, au fond, le regard de journaliste fait toujours partie de mes dessins, dans lesquels je mélange journalisme et imagination. » Précision du journalisme, sens du montage du cinéma et imagination pure nourrissent effectivement son dernier livre, car les situations qu’il expose, même si elles sonnent très juste, sont toutes fictionnelles. « J’ai réalisé à un moment que j’avais collecté beaucoup de pensées et d’expériences avec les années et que je voulais faire quelque chose de ce matériel. J’ai même pensé faire une bande dessinée autobiographique, mais j’ai vite réalisé que c’était impossible à cause du secret professionnel. Finalement, le livre est nourri de mon expérience mais il est purement fictionnel. » Publié en Suède, le livre l’a aussi été en France et en Corée du Sud, où il a même été nommé pour le prix de la meilleure bande dessinée étrangère au festival international de Bucheon, le plus grand festival de bande dessinée en Asie. Malgré ce succès inattendu, Pelle Forshed n’a pas prévu de lui donner une suite. « Je travaille aujourd’hui sur d’autres projets dans le même style mais avec des sujets différents. Même si, au fond, ce sont toujours les mêmes sujets, parce que la mort, la culpabilité, le vieillissement et les responsabilités sont des sujets intemporels… Mon prochain livre parlera de la vie de deux familles dans la banlieue d’une grande ville. Et puis j’écris aussi des livres pour enfants et je dessine la série Stockholmsnatt (“Stockholm la nuit”) qui parle du monde de la nuit à Stockholm et qui paraît tous les vendredis dans Svenska Dagabadet, qui est le deuxième quotidien du pays. »
Depuis la naissance de son premier enfant en 2008 et son congé de paternité de neuf mois, Pelle Forshed n’a finalement pas repris son emploi d’assistant à domicile car les commandes de dessins se sont enchaîné. Il est maintenant illustrateur à temps plein. Mais il a emporté avec lui des souvenirs et des expériences pour plusieurs années de travail. « Il y avait cet homme souffrant d’alcoolisme avec qui, quoi que vous fassiez, ça ne menait à rien… Il était totalement auto-destructeur. On se sentait responsable de lui tout en sachant aussi qu’on ne pouvait rien faire d’autre que nettoyer son appartement et remplir son frigo avec de la nourriture… Mais j’ai aussi gardé de très bons souvenirs ! J’ai apprécié mon travail quand les personnes finissaient par me considérer comme un ami, par boire un café avec moi ou quand on discutait tout simplement. Certaines me parlaient de leur passé, des changements que la ville a connus au fil du temps. D’autres ont eu des vies incroyables et me la racontaient avec simplicité… » Au point d’avoir des regrets de ne plus pratiquer cette activité ? « Oui, ça me manque parfois ! De rencontrer tous ces gens… J’aimais vraiment voir toutes ces personnes dans leur propre maison. Mais c’est surtout la liberté qui me manque, et les grandes promenades à pied dans Stockholm… »
* L’Agrume éditions, 144 pages, 2015. 20 euros. BD chroniquée dans notre rubrique Échappées du numéro 317 de septembre.
« En Suède, quand on est aide à domicile, on s’occupe de tout type de personne depuis l’alcoolique sur son banc jusqu’au bourgeois dans ses appartements immenses. Certains n’ont besoin d‘aide que pour les courses mais d’autres nécessitent une aide totale pour les nourrir, faire la toilette, etc. Nous n’avons évidemment pas le droit de faire des soins comme des injections, soigner des pathologies graves ou donner des médicaments sans prescription. Les infirmières, qui viennent directement de l’hôpital, s’en occupent. Parfois, elles viennent tous les jours, sinon nous les appelons en cas de besoin. J’ai toujours eu de bonnes relations avec elles, même si elles sont souvent bien plus stressées que nous. Pour moi, le métier d’infirmière est fondamental à une société et il ne pourra jamais disparaître. On peut compter sur les infirmières quand on a besoin, et leur savoir- faire, mélange d’éducation et de soins, est imbattable. »