Cahier de formation
Savoir faire
M. D., 76 ans, auquel vous rendez visite pour une vaccination antigrippale, se plaint par ailleurs d’un talon craquelé, très sec et très douloureux à la marche. Subsistant grâce à une modeste retraite et une APA, il s’inquiète de ne pas pouvoir acheter de crème pour prendre en charge ce qu’il appelle son “bobo”.
Vous examinez l’état de son talon. Monsieur D. n’étant ni artériopathique, ni diabétique, il n’est pas nécessaire d’alerter d’emblée son médecin traitant sur l’apparition de cette lésion potentiellement à risque.
L’objectif est d’hydrater, huiler, graisser le talon. Les produits vendus en parapharmacie ou en grandes surfaces tels que les cold cream neutres, les vernis de protection permettant la cicatrisation et les crèmes barrières peuvent être utilisés. Des solutions plus “système D” et moins coûteuses sont également possibles, comme une couche de vaseline ou une compresse imprégnée d’huile glissée dans la chaussette. La surveillance très régulière de l’évolution de la craquelure est indispensable.
La peau constitue normalement une barrière de protection mécanique et sensorielle de l’organisme. Avec l’âge, se produisent un certain nombre de modifications : le taux de renouvellement des cellules de l’épiderme diminue, la peau s’amincit, le nombre de vaisseaux mais aussi de certaines cellules spécialisées décroît, entraînant une moindre capacité de résistance aux micro-organismes et une plus faible protection contre le rayonnement solaire. Les sécrétions sébacées et sudorales sont également réduites et les fibres élastiques altérées. Pour la personne âgée, les deux principales manifestations perceptibles du vieillissement cutané sont donc le dessèchement et la perte d’élasticité. Sa peau doit être considérée par les soignants comme plus fragile et plus perméable qu’une peau jeune.
→ Le vieillissement “intrinsèque” de nature chronologique et génétique. Il survient avant tout sur les régions non exposées au soleil et ses manifestations sont relativement subtiles : fines rides, xérose (sécheresse cutanée), laxité (relâchement cutané), angiomes séniles (tâches rubis)…
→ Le vieillissement “extrinsèque” est davantage lié à l’environnement et principalement à l’exposition aux rayons UV, à l’alcool et au tabac. Il prédomine donc sur les parties du corps photo-exposées et chez les sujets à la peau claire ou sensible. Il apparaît comme une amplification du vieillissement intrinsèque, les modifications de la peau exposée au soleil s’ajoutent donc aux précédentes. On constate une élastose (altération du tissu élastique du derme), notamment sur le visage, la nuque et le décolleté. La peau devient plus rugueuse, plus laxe, parcourue de rides et de sillons, souvent de coloration jaunâtre ou à l’aspect tacheté et irrégulier, du fait de télangiectasies (petits vaisseaux dilatés) et de zones d’hypo- et d’hyper-pigmentations. Des taches solaires apparaissent principalement sur le dos des mains et des avant-bras ou sur les tempes avec une surface lisse, une coloration beige à brune et une forme arrondie ou ovale.
La surface de la peau présente différents “climats” d’un site cutané à l’autre, avec un dénominateur commun, un pH acide (de 5 à 6 en général). Ainsi la quasi-absence de la fonction sébacée dans les extrémités (avant-bras, jambes, pieds…) explique la fréquence accrue de xérose sur ces sites. Tandis que le caractère naturellement occlusif des aisselles, la sudation forte et la température élevée en font un site de climat davantage “tropical”. Quant aux régions riches en sébum (visage, dos, cuir chevelu…), elles privilégient l’épanouissement d’une flore lipophile, à l’origine de processus inflammatoires perturbant la physiologie de la surface cutanée comme l’acné ou les pellicules. Sur le plan pratique, les produits de nettoyage et d’hydratation doivent donc s’adapter à cette mosaïque de climats cutanés. Mais, chez la personne âgée, la production sébacée devenant inexistante après 70 ans, il convient de considérer que la peau de tout le corps est plutôt à tendance sèche.
Nettoyer la peau consiste à éliminer les impuretés qui la recouvrent et gênent la respiration cutanée. Il faut les décoller et les émulsionner avec de l’eau et un produit lavant puis rincer soigneusement pour éviter de graisser ou d’irriter la peau. L’enjeu est de laver tout en respectant l’équilibre physiologique de la peau : son pH acide (5,5 en moyenne, donc), sa flore et son film hydrolipidique.
Les produits nettoyants contiennent un agent détergent, capable de mettre en suspension les impuretés recouvrant la peau pour les éliminer, et des tensioactifs, dont les propriétés favorisent l’émulsion, la formation de mousse et l’étalement du liquide sur la peau. La nature des tensioactifs détermine le type de produit lavant, son pH, donc le type de peaux concernées.
Les savons sont des sels d’acides gras renfermant des tensioactifs naturels. Ils sont issus de la réaction dite de “saponification”, c’est-à-dire l’hydrolyse à une centaine de degrés de corps gras par une base forte comme la soude ou la potasse. Les savons sont donc très alcalins, avec un pH proche de 10, ce qui explique qu’ils augmentent le pH cutané et dissolvent son film hydrolipidique, qui met ensuite plusieurs heures à se reconstituer. C’est le gros défaut des savons, ils fragilisent la peau en la desséchant et peuvent provoquer des sensations de tiraillements. Ils ont en revanche un excellent pouvoir lavant et sont moussants, ce qui facilite leur usage. De plus, le savon est le produit d’hygiène le moins onéreux.
→ Atouts : excellent pouvoir lavant, moussant et peu onéreux.
→ Défauts : très alcalin, le savon augmente le pH cutané et dissout son film hydrolipidique, qui met plusieurs heures à se reconstituer. Il fragilise donc la peau, la dessèche et cause des sensations de tiraillements, accentuées par la dureté de l’eau utilisée.
→ Conseils : à réserver aux peaux normales. Préférer un savon sans additif ni parfum, source d’irritation, et, pour la toilette du visage, un savon surgras. Éviter de laver le visage avant le rasage (lire l’encadré page précédente).
Les syndets, contraction de l’anglais synthetic detergents, sont des nettoyants moussants associant plusieurs tensioactifs synthétiques. Leurs débuts de fabrication remonte à la Seconde Guerre mondiale, lorsque le général Mac Arthur demande aux chimistes américains de mettre au point une variété de savon pouvant mousser dans l’eau de mer, pour permettre aux GI’s de se laver lors de leurs longues missions dans les îles du Pacifique. Mission réussie, les syndets sont de bons nettoyants totalement insensibles à la salinité et à la dureté de l’eau, un atout qui permet d’éviter les sensations de tiraillement de la peau. Les syndets peuvent se présenter sous forme solide (pain dermatologique) ou liquide (souvent spécifié savon sans savon). Leur pH est généralement compris entre 6 et 6,5, ce qui ne provoque pas de modification du pH de la peau. Comme les savons surgras, les syndets sont souvent enrichis en actifs hydratants (eaux thermales…).
→ Atouts : bon nettoyant (certes moins qu’un savon), insensible à la dureté de l’eau, il ne provoque pas de sensations de tiraillement sur la peau.
→ Défauts : mousse moins abondante qu’un savon, toucher et étalement moins agréables, plus difficile à rincer. Plus coûteux qu’un savon.
→ Conseils : à recommander aux peaux sèches, sensibles, irritées ou grasses.
A-Derma, gel douche surgras Sensifluid, Avène Cold Cream en pain surgras ou en gel nettoyant, Bioderma Intensive gel moussant ou pain nettoyant surgras Atoderm, Ducray crème lavante, gel moussant surgras ou pain surgras Ictyane, Uriage syndet nettoyant doux Xémose…
→ Les émollients : lorsque la peau devient sèche, les cellules de l’épiderme (cornéocytes) desquament et forment des interstices à travers lesquels l’eau s’évapore. Les substances émollientes, comme les céramides, l’acide linoléique et autres huiles végétales, comblent les espaces entre ces cellules et donnent à la peau un aspect lisse et souple en réparant et imperméabilisant la barrière hydrolipidique protectrice des couches superficielles de l’épiderme.
→ Les occlusifs : ils empêchent l’évaporation de l’eau à la surface de l’épiderme en formant une pellicule qui agit comme une barrière imperméable supplémentaire. La vaseline est la substance occlusive la plus efficace, pouvant obtenir 98 % de réduction de la perte d’eau transépidermique. D’autres substances, comme les cires animales, la lanoline ou des dérivés de la silicone, sont également utilisées comme occlusifs et sont plus efficaces appliquées sur une peau légèrement humide. Certaines substances occlusives peuvent toutefois laisser sur la peau une sensation grasse au toucher.
→ Les humectants ou hydratants vrais : ces substances hydro-solubles aident la couche cornée à capter l’eau de l’extérieur pour atteindre son taux d’hydratation idéale entre 12 et 15 %. Elles améliorent également le film lipidique protecteur de la peau. Le glycérol, l’urée, l’acide lactique et les acides alpha-hydroxylés sont parmi les ingrédients humectants les plus utilisés dans les cosmétiques hydratants.
Un bon produit hydratant devrait comporter les trois types de substances : émollientes, humectantes et occlusives. Leurs proportions dans la formule devraient être adaptées aux différents types de peau et à la zone du corps à laquelle est destiné le produit. On privilégiera les produits riches en ingrédients gras comme la vaseline, la lanoline ou les huiles pour les peaux sèches, tandis que les peaux à tendance grasse préfèreront les formulations en lait ou en crème légère. Le soin hydratant doit être appliqué une à deux fois par jour, après la toilette.
→ Peaux sèches : Aderma crème nutritive Xera-Mega, Bioderma gamme Atoderm, Uriage lait-crème Suppléance, Avène cold cream.
→ Peaux atopiques : Aderma gamme ExoMega, Avène gamme XeraCalm, Eucerin crème AtopiControl, crème Cadum surdoux à la crème de talc.
→ Pour calmer démangeaisons/irritations : La Roche-Posay baume Lipikar AP+, Bioderma gamme Atoderm Intensive, Avène gamme Cicalfate, Uriage gel apaisant Pruriced, Bepanthen.
→ Peaux très sèches et délipidées : Uriage gamme émolliente Xémose, La Roche-Posay gamme relipidante Lipikar, Ducray gamme Ictyane.
→ Pour adoucir les peaux squameuses : Ducray gamme Ikeriane, Uriage gamme Kératosane, SVR gamme Xérial 30.
→ Mode d’emploi : ces produits coûtent une quinzaine d’euros en moyenne. Mais bien hydrater et nourrir la peau fournit confort et protection, notamment chez la personne âgée. Dexeryl et génériques à base d’occlusifs sont remboursés mais dans des indications précises (dermatite atopique, psoriasis ou brûlures superficielles…). Voir si le médecin traitant désire le prescrire.
À noter : les produits cités dans cette partie sont disponibles en rayon parapharmacie.
La pharmacienne qui délivre les médicaments de ma mère de 86 ans m’a conseillé de lui acheter un savon surgras. Qu’est-ce ?
Pour remédier à l’action desséchante des savons, on ajoute dans leur composition un agent nourrissant végétal comme l’huile d’amande douce ou le beurre de karité pour accélérer la reconstruction du film hydrolipidique cutané. Le dosage reste savant : au-delà de 10 % d’agent surgraissant, le savon risque de perdre son pouvoir moussant. Ce type de produits lavants est particulièrement conseillé chez les personnes ayant la peau sèche et/ou mature.
Observer la peau régulièrement au moment des soins d’hygiène, particulièrement au niveau des saillies osseuses et de tous les points d’appui du corps : talons, genoux, sacrum, coudes, omoplates…
Identifier les facteurs de risque de chaque patient :
→ facteurs extrinsèques (mécaniques) : pression, friction (frottement lorsqu’on tire le drap sous un patient alité), cisaillement (quand le patient en position demi-assise glisse vers le bas), macération cutanée… ;
→ facteurs intrinsèques (cliniques) : immobilité, mauvais état nutritionnel, incontinence, diminution du débit circulatoire, troubles de la sensibilité, état psychologique, âge, fièvre…
Connaître les quatre stades de l’escarre, selon la profondeur de l’atteinte tissulaire :
→ stade 1 : érythème persistant après 45 minutes de décharge complète ;
→ stade 2 : désépidermisation ou phlyctène (ampoule), atteinte du derme superficiel ;
→ stade 3 : perte de substance pouvant atteindre le derme profond et l’hypoderme, présence de nécrose ou fibrine ;
→ stade 4 : ulcération profonde, perte des tissus nécrotiques pouvant atteindre os, articulations, muscles et tendons.
Solliciter les aidants pour assurer les changements de position toutes les 3 heures, voire 2 si le patient est à haut risque, en alternant décubitus latéral droit et gauche et position assise. Au fauteuil, des soulèvements de 10 secondes toutes les 15 à 30 minutes sont préconisés car la pression est majorée par rapport à la position allongée.
Préconiser des supports de prévention d’escarre :
→ statiques, en prévention : mousses à mémoire de forme, sur-matelas et matelas à fibres siliconées ;
→ dynamiques, en cas d’escarre déjà avéré ou d’antécédents : sur-matelas mousse-air, matelas à air.
Et aussi, relire notre numéro 319 de novembre 2015, pp. 44-47…
Andrée-Alice Allain, IDE experte en plaies, pôle médecine physique et de réadaptation Saint-Hélier à Rennes (Ille-et-Vilaine)
« La localisation d’une rougeur aide beaucoup dans le diagnostic différentiel. On pense à une escarre si elle est localisée sur des points d’appui (fesse, talon, ischion), tandis que, si elle se trouve au niveau d’un pli cutané (interfessier, inguinal ou mammaire), on pensera plus à une mycose. Mais les rougeurs fessières appelées “dermatoses d’incontinence” sont plus délicates à diagnostiquer. La peau est rouge, d’aspect très inflammatoire avec parfois des petites peaux squameuses. Compte tenu de leur localisation et du fait que ces patients portent des protections, il est facile de les confondre à la fois avec une mycose et avec une escarre. Il ne faut pas hésiter à demander l’avis du médecin traitant ou du dermatologue. Il est facile de leur envoyer une photo pour avis, via un réseau sécurisé. En attendant la confirmation du diagnostic, le plus sûr est de simplement laver et sécher ; s’il y a une demande du patient, le moins risqué est de mettre une crème neutre, transparente et facile à enlever, comme un cold cream de type Cooper. Le réflexe de mettre de la diprosone sur toutes les rougeurs en pensant qu’il s’agit d’eczéma allergique est à bannir. Lorsque le diagnostic de dermatose d’incontinence est confirmé, poursuivre la mise au sec et privilégier les crèmes graissantes et hydratantes. Les produits comme le Bépanthen, qui sont également utilisés en pédiatrie, sont très utiles dans ces cas où il ne faut surtout pas entretenir l’humidité par le crémage. Parmi les produits plus récents, les crèmes barrières notamment à base de miel sont aussi très intéressantes pour ces indications. Les trois mots-clés : lavage, hydratation et séchage par tamponnage. »
• L’aromathérapie trouve petit à petit sa place dans les établissements de santé. Peut-elle être utile aussi dans la pratique des infirmières libérales, dans les soins à domicile ?
Absolument ! Au niveau cutané, par exemple, tous les soins de plaies qui ont du mal à cicatriser, les escarres, les mycoses, peuvent bénéficier de soins d’hygiène complémentés par des huiles essentielles, pour améliorer la vitesse de cicatrisation ou éviter les chéloïdes, ou encore traiter des infections réfractaires aux anti-fongiques. Pour la prise en charge de la douleur ou des troubles du comportement et de l’humeur chez les personnes âgées, l’aromathérapie apporte aussi d’énormes bienfaits. Mais les infirmières libérales sont très difficiles à “atteindre” (pas à convaincre !) car il faut qu’elles trouvent le temps de suivre une formation, d’en assurer le financement et de prévoir une remplaçante.
• Une formation est-elle indispensable avant de se lancer ?
L’aromathérapie fait appel aux propriétés thérapeutiques des huiles essentielles qui sont des concentrés d’actifs dont les rapports bénéfice/risque peuvent être aussi étroits que ceux de certains médicaments. La réglementation actuelle permet pourtant leur vente dans des grandes enseignes de diététique et de bien-être ou sur Internet. Cette démédicalisation est dangereuse car, aux yeux de nombreuses personnes, les huiles essentielles sont des produits naturels donc anodins. Pour preuve, le terme de “recettes” est souvent mentionné dans des ouvrages grand public vantant les effets des huiles essentielles. Il existe pourtant de réels risques d’effets secondaires en cas de mésusages. En effet, leur utilisation nécessite de prendre beaucoup de précautions, que ce soit au niveau de leurs concentrations, de leurs modes d’application, des durées des traitements ou tout simplement de la qualité des huiles essentielles… Il est possible de brûler une peau au lieu de l’aider à cicatriser, de provoquer des réactions allergiques ou encore d’induire des convulsions ou des crises d’asthme… Notre optique à Strasbourg est donc de former des professionnels - souvent des infirmières - pour qu’ils deviennent les experts de leur structure ou de leur service et les garants face aux éventuelles dérives et mésusages.
• Quels sont les retours de ces soignants formés, une fois l’aromathérapie mise en pratique ?
Les témoignages sont très enthousiastes, les soignants affirment pratiquer les soins autrement, de manière personnalisée et plus humaine. Un toucher-massage d’une personne âgée ou en fin de vie avec des huiles essentielles apporte non seulement un effet relaxant mais peut aussi, par le pouvoir des odeurs, débloquer certains verrous dans l’inconscient et libérer la parole. Je pense à l’exemple d’une personne âgée que la maladie avait plongée dans un véritable mutisme pendant de longues années.Le recours à une huile essentielle de rose au travers de massages aromatiques a provoqué un véritable déclic. Cette personne a pu partager ses souvenirs du jardin de roses de son enfance, renouer le dialogue avec sa fille et partir sereinement. Avoir recours aux huiles essentielles dans les soins permet d’agir sur le physique comme sur le psychique, aide le patient à se sentir mieux, tout en valorisant le travail d’accompagnement des soignants…