L'infirmière Libérale Magazine n° 322 du 01/02/2016

 

Carrière

Dossier

Carole Tymen*   Jacques Guillet**  

« Notre formation ne nous a pas préparées à cela… » La phrase revient comme un leitmotiv dans la bouchedes Idels, pour nombre d’actes ou d’activités. Comment expliquer ce décalage ressenti entre apprentissage et pratique ? La réforme de la formation initiale de 2009 a-t-elle donné plus de place à l’exercice libéral ?

C’est un petit refrain entêtant qui nous a donné l’idée de ce dossier. Dans cette rubrique, les Idels regrettent bien souvent une inadéquation entre ce qu’elles pratiquent sur le terrain et ce qu’elles ont appris à “l’école”. Travail administratif, communication avec les aidants, rôle de l’alimentation dans le soin, pédiatrie : dans ces domaines, elles jugent leur formation initiale insuffisante, quand elle n’est pas inexistante. Anne(1), diplômée en 1987 et installée dans le Finistère dès 1988, souligne aussi la non-préparation à agir et réagir seule, ou la gestion par l’Idel « d’environnements adaptés et souvent lourds avec le vieillissement du patient, l’augmentation de la dépendance, la coordination avec le kiné, l’aide à domicile et le médecin, la gestion d’un mourant… En libéral, tu es parfois obligée de prendre des décisions cruciales et de les expliquer ». D’autres activités pour lesquelles la formation initiale ne paraît pas complète ? « L’informatique et la compta ! », répond Ève-Marie, quand nous sondons les Idels via notre page Facebook. La blogueuse “C’est l’infirmière” va plus loin encore : « J’ai envie de dire “le libéral en général”, parce qu’à part l’intervention d’une Idel complètement déprimée par son travail, l’approche que j’en ai eue durant ma formation était quasi inexistante ! »

TIMIDE APPROCHE

C’est seulement, en effet, dans les années 1980, que les formateurs des écoles d’infirmières commencent à évoquer, en troisième année, la pratique libérale « comme un débouché possible », mais encore « timidement » et « du bout des lèvres, sans doute à un moment où les hôpitaux ne sont plus en mesure (…) de “prendre toute la promo” », écrivent les auteurs du rapport de 2006 sur “Le Métier d’infirmière libérale”(2). À en croire les témoignages que nous avons récoltés, la présentation du métier en Ifsi reste lacunaire dans les années 2010… Mathilde, 24 ans et il n’y a pas si longtemps étudiante en soins infirmiers (ESI) à Vannes (Morbihan), a ainsi assis son envie de libéral sur l’intervention d’un Idel devant sa promotion pendant une petite heure, après les présentations d’une infirmière scolaire et d’une autre travaillant en milieu pénitentiaire. Brice, lui, ne s’en plaint pas. « Trois heures de découverte, c’est assez », tranche cet ESI en troisième année à l’Ifsi Florence Nightingale Bagatelle de Talence (Gironde). La rencontre avec un Idel ne l’a pas convaincu. Pourtant, le programme était sérieux : démarche administrative, fonctionnement quotidien, partenariat avec les structures d’hospitalisation à domicile (HAD). « On ne veut pas tous tendre vers le libéral, recadre le trentenaire. Donc quelques heures de découverte, c’est juste ce qu’il faut. » Loin de trouver les interventions des professionnels inutiles, il relativise : « Il y a tant de choses à voir en trois ans que, pour moi, c’est suffisant de savoir ce que font les libéraux. C’est utile pour nos éventuelles prochaines missions avec eux. » Le jeune homme ne rêve visiblement pas d’une carrière en libéral… « Chaque semestre, mon Ifsi nous propose un ou deux cabinets libéraux [comme terrains de stage]. Je préfère me tourner vers une HAD. »

Peu abordé en formation initiale, l’exercice libéral risque alors de se développer, chez les ESI, autour d’un imaginaire. Certains fantasment un rapport distancié et froid des Idels au patient, un mode d’exercice soumis au rendement et coupé de toute vie professionnelle collective. La réalité peut alors surprendre les ESI à l’occasion de ce moment fondateur qu’est le stage. Pour le meilleur, à l’instar de l’expérience de Mathilde. Avant de passer quatre semaines de son dernier stage d’Ifsi dans le cabinet d’une zone rurale, l’idée qu’elle avait du libéral s’avérait assez floue. Elle en revient avec l’image d’un travail complet et en réseau avec les autres professionnels du soin. « Même si les toilettes, préparations de piluliers et prises de sang sont aussi nombreuses que je le pensais, je n’imaginais pas qu’il y ait, à domicile, autant de soins techniques. » Surprise, elle a aussi apprécié la proximité avec les patients. « On est vraiment dans un rapport qui relève de l’intime. » Jusqu’à en être déstabilisé : « À 19 ans, faire un stage en maison de retraite ou à domicile, cela fait quand même un choc. C’est le saut dans le grand bain, la réalité du quotidien, bien loin des représentations que l’on se fait », note Charlotte, diplômée en 2013, et qui a réalisé son premier stage en libéral – cinq semaines – dès sa première année d’Ifsi.

“RITE D’INITIATION”

Le stage, “rite d’initiation” pour de nombreuses ESI, est aussi un temps d’intégration des positions hiérarchiques, des repères spatio-temporels, de la violence de certaines prises en charge, énumère la sociologue Anne Véga(3). Il permet aussi, bien sûr, d’acquérir des techniques. « Il n’est pas rare de voir des étudiants en troisième année ne pas savoir réaliser certains actes, confirme Katell, désormais IDE en milieu hospitalier. Ils sont souvent penauds et culpabilisent. Mais, pour avoir suivi la même formation, nous savons que c’est le cursus qui veut ça [en enseignant les techniques au fur et à mesure de la formation, et en particulier en stage]. Notre rôle est de les accompagner. » Même constat auprès d’Émilie, Idel en milieu rural, dans le Finistère. « Le manque de maîtrise des actes techniques par les étudiants s’accompagne d’un grand stress auprès des patients. C’est très mauvais car, en libéral, on est seul avec les malades. Cela va de pair avec notre autonomie accrue. » Isabelle(1), diplômée en 1990, relativise cette volonté de maîtriser au plus vite les actes techniques. « Quand on est formation, on veut toutes être de très bonnes techniciennes, explique-t-elle. Mais la démarche de soins est tellement plus importante. Savoir qu’il faut surveiller la tension après l’administration de tel médicament, c’est ça qui fait la différence. Les actes, on les apprend ensuite. » Après tout, ne serait-ce pas aussi le rôle du stage que de “s’exercer” aux actes techniques ? La formation infirmière a historiquement été pensée comme une alternance entre l’école et le terrain.

TROP D’INTELLECT ?

Le décalage entre le temps plus théorique de la formation en Ifsi et la pratique en stage varie, selon Charlotte, en fonction du bagage des ESI et du moment du cursus dans lequel s’inscrit le stage, par rapport aux enseignements déjà reçus à l’école. Sur le terrain libéral, Charlotte a ainsi découvert le logiciel de cotation des soins, mais aussi, de façon plus inattendue, la prise en charge de patients de retour de chimiothérapie, une étape à laquelle elle n’avait pas encore été initiée en formation. « Alors, bon… on s’adapte », confie-t-elle. Si elle ne conteste pas l’enrichissement de l’expérience sur le terrain, elle critique le morcellement de la formation nouvelle formule en dix compétences à valider progressivement (lire l’interview ci-contre). « Une fois que l’une d’elles est validée, elle est un peu délaissée dans la pratique », déplore la jeune femme.

« Les décalages perçus entre la formation initiale et le caractère foisonnant, incertain, voire chaotique, du terrain hospitalier conduisent la plupart des futures infirmières à dévaloriser les enseignements écrits des écoles, “trop abstraits”, opposés aux multiples façons de faire dans chaque unité de soins », détaille Anne Vega. Un constat dressé neuf ans avant l’entrée en vigueur du nouveau référentiel de formation que d’aucuns jugent trop théorique pour coller au réel. Une critique nuancée par Christine Le Bris-Benahim, IDE cadre à l’Ifsi de Quimper (Finistère), qui envisage la démarche d’analyse clinique demandée aux élèves comme un élément indissociable et complémentaire des analyses pratiques. « Ces exercices intellectuels doivent permettre aux étudiants de relier pratique et théorie. Les pratiques avancées, valorisées par la réforme [et inscrites dans la récente loi de santé], doivent, elles, permettre aux futurs infirmiers d’acquérir de nouvelles responsabilités et de se spécialiser. »

STAGES TROP LONGS ?

En diminuant le nombre de stages et en augmentant leur durée, la réforme de la formation initiale de 2009 a contraint les ESI à faire des choix drastiques pouvant avoir des conséquences sur la connaissance de l’exercice libéral. Katell a fait partie de la première promotion nouvelle mouture, entre 2009 et 2012. L’expérience du libéral, elle l’a vécue au cours d’une journée “exploratoire”, pas plus. « Quand on est en phase d’apprentissage, voire de découverte totale, on veut aborder le plus de domaines possibles, explique-t-elle avec du recul. Faire dix semaines en libéral pour débuter, ce serait comme griller ses cartouches dès le premier terrain. En raison du faible nombre de stages, on se met la pression de peur de ne pas valider l’ensemble des compétences techniques au terme des trois années à suivre. »

Fin 2012, la Fédération nationale des ESI avait d’ailleurs dressé un bilan mitigé de la réforme de la formation mise en place en 2009, avec, au centre des critiques, les stages(4). Constat réitéré en 2015 : « Les étudiants sont aujourd’hui évalués par des professionnels qui, pour la plupart, n’ont pas suivi la même formation. »(5) Pas toujours facile pour les IDE en poste, en effet, de s’approprier les outils de formation et d’évaluation. Et la durée des stages, même s’ils peuvent être scindés, peut les contrarier eux aussi. « Dix semaines, c’est long », soupire Françoise, Idel installée en Finistère depuis une dizaine d’années. Son cabinet n’a d’ailleurs pas reçu d’ESI depuis un an. « Accueillir ponctuellement des étudiants, c’est possible. Mais, avec le système actuel, il faut pouvoir le faire sur le long terme et dans de bonnes conditions, rappelle-t-elle avec bienveillance. Former au libéral des jeunes qui n’en ont qu’une toute petite image prend du temps. Nous sommes malheureusement très vite rattrapées par nos rythmes de travail quotidiens intenses. Dans ces moments de formation, il faudrait alors déléguer la prise en charge de certains patients et certaines tâches administratives à nos collègues du cabinet. Difficilement imaginable. »

Quelques-uns voient tout de même d’un bon œil la nouvelle durée des stages. C’est le cas de Sandrik, diplômé en 2007. « Les dix semaines permettent d’appréhender le boulot de manière plus fine. » Aujourd’hui tuteur des ESI dans un hôpital psychiatrique breton, il collecte et restitue les informations à l’ESI et à l’équipe pédagogique (Ifsi, infirmier tuteur du stage). « Cette présence longue dans les services est un vrai bénéfice pour l’étudiant, assure l’encadrant, qui reçoit entre trois et cinq ESI par an. Les bilans de mi-parcours que nous faisons à chaque stage permettent à l’étudiant de réadapter sa pratique si besoin. Les effets peuvent être immédiats. »

RESPONSABILITÉ INDIVIDUELLE

Le décalage entre théorie et pratique a sans doute des origines qui échappent au professionnel en phase d’apprentissage : la nature du référentiel national lui-même et surtout la façon dont il est décliné dans chaque Ifsi, en lien avec l’université ; le profil des formateurs (qui, à une époque, ont pu être uniquement médecins…) ainsi que leur appétence (ou non…) pour le libéral, leurs relations avec les Idels des environs et leur proximité aux pratiques du terrain ; le fait que des Ifsi imposent des terrains de stage ; les conditions d’accueil, d’intégration et de travail en stage ; les pratiques peut-être pas toujours idéales des professionnels déjà en exercice… Au fond, le contenu de formation lui-même compte moins que la façon dont il est transmis, « dans l’organisation même de l’action pédagogique », analyse le sociologue Pierre Bourdieu(6).

Mais le parcours de chacun a aussi une influence sur le décalage ressenti. Certes, dans les Ifsi, les travaux de groupe et les dossiers collectifs ont, en grande partie, été substitués aux anciens contrôles de connaissances individuelles dont les fameuses mises en situation professionnelle. « La démarche co-construite est privilégiée, explicite Christine Le Bris-Benahim. Si certains étudiants peuvent passer à travers les mailles, c’est inhérent à toute formation. Mais, au cours des trois années, les futurs infirmières sont forcément confrontées à elles-mêmes. » La notion d’auto-évaluation est d’ailleurs censée constituer l’un des grands principes de la réforme. Il revient logiquement au futur soignant de réfléchir lui-même à sa pratique, à ses éventuelles connaissances à améliorer.

Brice considère ainsi sa formation théorique plutôt comme une base commune, à alimenter au gré de ses envies. « Il nous manque tellement d’heures sur plein de trucs qu’on ne peut pas privilégier tel ou tel exercice… À nous de combler ça par des stages pratiques riches. » « Si on ne fait pas la démarche de dire à notre encadrant en Ifsi vers où on veut aller, on peut passer à côté de notre avenir professionnel », confirme Bastien, fraîchement diplômé de l’Ifsi de La Roche-sur-Yon (Vendée) et actuellement infirmier en gériatrie dans le Cantal. Après avoir été sensibilisé par une amie Idel à l’exercice libéral, il a su très tôt qu’il voulait en faire de même, « dès que possible ». Ses motivations ? « Être son propre chef et aborder les patients dans leur environnement personnel. » Une volonté que le jeune homme de 24 ans a traduite, pendant ses études, par deux stages de cinq semaines, l’un réalisé en deuxième année, l’autre en troisième.

DU DÉCALAGE, FAIRE UNE FORCE

Au final, il en va de la formation initiale comme de la formation continue : à chaque infirmière, future ou en poste, de tenter de réduire par un apprentissage bien choisi le décalage entre enseignement et pratique. De faire de ce décalage une force puisque, en réalité, ce contraste « ne peut que “favoriser le cheminement et la réflexion” » à la fois professionnelle et personnelle, selon un ESI(7). En termes de cotation des pansements, de développement de sa patientèle et d’organisation des tournées, Charlotte estime ainsi n’avoir gardé que trop peu d’éléments de son stage en ville. « Si j’ai envie de me lancer en libéral, je serai donc obligée de me former à nouveau. » « La formation continue est le lien nécessaire quand on est en libéral pour rester au fait des derniers protocoles et techniques, prolonge l’Idel Anne. Ce n’est certes pas dans la logique de toutes : certaines ne remettront jamais leur pratique en question. Mais il en va de la santé et du confort de nos patients. »

(1) Prénom modifié à la demande de l’infirmière.

(2) Alain Vilbrod et Florence Douguet, Drees, avril 2006 (liens Internet raccourcis : bit.ly/1Zzymen et bit.ly/1JNWwdP).

(3) Anne Véga, Une ethnologue à l’hôpital. L’ambiguïté du quotidien infirmier, éd. des Archives contemporaines, 2000.

(4) À lire sur notre site, fin 2012 : bit.ly/1OR67AW

(5) À lire sur notre site, en 2015 : bit.ly/1KmxUUy

(6) Cité dans le rapport de la Drees.

(7) Propos d’avant la réforme cités par Jean Santarelli dans sa thèse en sciences de l’éducation, “Processus d’apprentissage en formation et quête du sens : le cas des étudiants infirmiers. Approche ethnographique”, 2012 (lien : bit.ly/2025Bnx).

Verbatim

« L’exercice libéral mériterait une spécialisation ou au moins une unité dans le cursus. Relation aux patients dans leur milieu, stratégie et orientations de cabinet, travail en collaboration, facturations, évolutions de la nomenclature : tous ces aspects sont extrêmement complexes et pas du tout abordés en Ifsi. Conséquence : l’exercice devient sans vergogne et perd beaucoup de ses valeurs humaines. »

Raphaël, Idel depuis 13 ans, sur notre page facebook.com/Inflib

Analyse
RÉFORME

Une formation initiale densifiée

Réformé en 2009 dans le cadre de l’harmonisation européenne des diplômes universitaires licence-master-doctorat (LMD), l’ancien programme de 1992 a été modifié pour répondre à « l’évolution de la société et des besoins de santé », en prenant en compte les données sur le vieillissement de la population,les évolutions techniques et les modifications de l’offre de santé. Établi sous l’égide du ministère, pendant plus de deux ans, avec deux groupes de travail et 22 syndicats et associations professionnels, il se décline en dix compétences (à retrouver dans une annexe de l’arrêté du 31 juillet 2009 via le lien bit.ly/1Khu0MG). La durée de la formation a été densifiée : de 4 760 heures réparties sur 132 semaines, elle est passée à 5 100 heures sur 120 semaines. 2 100 heures sont consacrées aux enseignements théoriques et autant aux enseignements cliniques, à raison de deux stages par an (d’une durée de cinq et dix semaines en première année d’Ifsi, deux fois dix semaines en deuxième, de dix et quinze semaines en troisième année), contre 1 680 heures avant 2009 (douze stages de quatre semaines). 900 heures de travail personnel complètent la nouvelle formation (bit.ly/1JOCqjT).

Témoignage

« La pratique s’enseigne de manière globale »

Christine Le Bris-Benahim, formatrice à l’Ifsi de Quimper (Finistère) depuis 2002

« La formation répond aux évolutions de la société mais aussi aux nouvelles politiques du soin telles que le développement de l’ambulatoire et le maintien à domicile. Ce sont des enjeux qui demandent de nouveaux professionnels, avec de nouvelles responsabilités et de nouvelles coordinations. Auparavant, l’exercice libéral était dissocié du milieu hospitalier. Maintenant, la pratique infirmière se pense de manière globale et poreuse entre ces deux mondes. La fracture est moins importante et c’est une bonne chose, car l’hospitalisation de longue durée et le suivi à domicile partagent les mêmes principes de soins infirmiers. D’autant qu’il n’y pas une pratique unique à domicile. Des liens réguliers et forts existent avec les Centres communaux d’action sociale, les HAD ainsi qu’avec les réseaux associatifs de soins palliatifs ou de suivi oncologique. Autour du patient, tous connaissent le domicile. Reste à chacun à trouver son autonomie et ses responsabilités. C’est dans ce contexte que la formation initiale essaie de s’inscrire. »

Interview
Martine Sommelette, présidente du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec)

« Un décalage nécessaire »

On dit les étudiants en soins infirmiers (ESI) réflexifs et peu techniciens…

Nous l’avons voulue, il nous faut maintenant faire vivre la valorisation du métier au grade LMD. S’ils peuvent être un renfort, les ESI vont bien sur des terrains de stage pour étudier. Soyons vigilants à la manière dont on les accueille et comment on les considère.

D’où vient ce ressenti ?

Dans la définition de nos attentes, peut-être. Nous formons des professionnels qui mobilisent dix compétences pour prendre soin des personnes. Si ce n’était que des actes à maîtriser, on n’aurait pas besoin de trois ans de formation. Les contraintes en libéral peuvent accentuer ce décalage. Il n’y a pas d’équipe tutorale. L’Idel fait tout, concentrant les fonctions d’apprentissage, de suivi et d’évaluation. C’est presque du compagnonnage.

Comment surmonter cet écart ?

Il y aura toujours un décalage et c’est nécessaire. Les terrains de stage doivent nourrir la théorie abordée en Ifsi et la réalité du terrain doit permettre aux ESI d’exercer leurs capacités d’analyse. Mais ce principe de l’alternance intégrative ne doit pas devenir un fossé. À chaque équipe de trouver un consensus. Le virage du tutorat n’est pas encore totalement accompli. Il faut poursuivre les explications aux professionnels des contenus de la réforme. On y gagnera tous. ?

APRÈS LE DIPLÔME

La formation continue réduit-elle le décalage ?

En raison des changements techniques, pharmacologiques, organisationnels, le décalage entre formation initiale et pratique ressenti par les infirmières avant même leur sortie de l’Ifsi risque de s’accroître une fois en poste. Ou peut-être pas…

Le décalage théorie/pratique semble en partie soluble dans la formation continue, puisque les Idels choisissent des thèmes de formation « assez conforme[s] à la nature des soins dispensés et des pathologies prises en charge en secteur libéral », lit-on dans un rapport de la Drees(1). De même, en termes de formations longues, les diplômes universitaires ou interuniversitaires « ayant un rapport direct avec l’activité de soins sont, de loin, les plus prisés ». Parmi les motivations des Idels, d’ailleurs, « perfectionner leurs pratiques pour répondre aux besoins des patients ». « Se former, oui, mais que ce soit réellement utile », corrobore Françoise Meur, Idel à Douarnenez (Finistère), qui participe à des sessions organisées par l’association Onco’kerné, dédiée à l’oncologie. En tant qu’adhérente (17 euros par an), elle est informée des stages à venir. Lorsque le thème l’intéresse, elle s’inscrit. En toute liberté. « Les formations se déroulent dans un rayon de cinquante kilomètres, entre 14 et 17 heures. Ce qui est pratique [par rapport aux horaires de tournée]. Les interventions sont animées par des professionnels locaux avec qui nous travaillons régulièrement. Ce lien entre l’hôpital et le domicile est important. Il permet d’être informé des dernières techniques de soins et des nouveaux protocoles. »

Des Idels mieux informées que des hospitalières

Pour les auteurs du rapport de la Drees, les Idels sont même « informées des nouveautés les plus récentes et formées aux techniques les plus innovantes bien avant les soignantes hospitalières », en raison de leurs contacts directs avec les entreprises pharmaceutiques(2).

Les Idels les plus intéressées par la formation continue sont les « générations intermédiaires ». En effet, les enseignements de l’Ifsi et de l’hôpital ne semblent « pas encore obsolètes » aux plus jeunes, tandis que les Idels installées « sur le tard » s’appuient sur leur « longue expérience hospitalière ».

Pour autant, il arrive que le décalage entre formation et pratique subsiste encore. Selon la même étude de la Drees, parue il y a dix ans, les Idels ont été « fortement incitées » à se former en chimiothérapie et cancérologie (citées par 41 % des Idels interrogées) « pour accompagner le développement de l’HAD. Or de tels investissements dans la formation n’ont pas été – ou très peu – réinvestis et valorisés » dans l’exercice au quotidien.

Dans cette étude de 2006, 40 % des Idels indiquaient ne pas avoir suivi une formation continue depuis leur installation. Et depuis ? Lancé en 2013, le développement professionnel continu (DPC) soumet certes, en théorie, les Idels à une obligation de formation, initialement annuelle et désormais triennale(3). Mais l’organisme gestionnaire chargé de sa mise en œuvre (l’OGDPC) indique que 57 625 comptes infirmiers (dont une majorité d’Idels) avaient été créés en 2015 sur son site… Un nombre moins important que les effectifs d’Idels en France. On peut logiquement en déduire que toutes ne sont pas inscrites…

Manque de temps, difficultés à trouver un remplaçant, insatisfaction face au contenu de certaines formations et méfiance vis-à-vis de certains formateurs universitaires (suspectés d’être trop éloignés du terrain) : toutes les Idels ne participeraient donc pas régulièrement à la formation continue, même si elles peuvent profiter indirectement de la formation reçue par une collègue de cabinet… Dommage pour réduire le décalage entre formation initiale et pratique, mais aussi pour atteindre les autres ambitions de la formation continue pour les Idels, comme les énumère la Drees : sortir momentanément d’un exercice solitaire ou encore « mieux se positionner par rapport aux autres professions », et en particulier ses « homologues hospitalières ».

(1) Alain Vilbrod et Florence Douguet, Drees, avril 2006 (liens raccourcis : bit.ly/1Zzymen et bit.ly/1JNWwdP).

(2) Ce qui ne va pas sans poser d’autres questionnements, lire notre dossier de novembre 2015…

(3) Depuis l’adoption de la loi de modernisation du système de santé, le 17 décembre 2015. Voir aussi p. 18, en rubrique actualité, les 28 orientations prioritaires du DPC pour les infirmières dans la période 2016-2018.

EN SAVOIR +

→ ACCUEILLIR DES STAGIAIRES

Des repères pour accueillir des étudiants en soins infirmiers à son cabinet figurent dans le dossier sur le stage en ville paru dans notre numéro 284 (septembre 2012). À lire aussi, un témoignage sur cet accueil sous forme de relais inter-cabinets (numéro 304, juin 2014).