RADICALISATION > Le Conseil national de l’Ordre des médecins a publié des documents à l’intention des professionnels de santé confrontés à un patient en voie de radicalisation. Mais est-il de leur ressort de signaler de telles dérives ?
Devant certaines situations de radicalisation avérée de nature à faire craindre un comportement dangereux de la part du patient, les médecins se trouvent face à un cas de conscience où ils peuvent légitimement estimer ne pas devoir garder pour eux ce qui leur a été confié ou remarqué. Dans ces situations, qui relèvent du cas par cas, les médecins sont invités à se tourner vers les conseils départementaux pour solliciter avis et conseils. »
Dans une note publiée en décembre et accompagnée d’un kit de formation réalisé par le Comité interministériel de la prévention de la délinquance
Les professionnels de santé doivent-ils se muer en sentinelles, priées de prévenir les autorités sur la base d’un pressentiment ? En effet, parmi les critères énoncés par le référentiel interministériel des indices de basculement, reproduit dans la note du Cnom, figurent des indications aussi floues que « changement d’apparence (physique, vestimentaire) », « traits de personnalité », « usages de réseaux virtuels »… « Tout est parti d’une demande des médecins, tempère Jean-Marie Faroudja, président de la section éthique et déontologie du Cnom. Depuis quelques mois, nous recevions des questions sur l’attitude à adopter lorsqu’un patient évolue vers la radicalisation. Ils nous citaient, par exemple, un homme qui vient soudain en djellabah ou qui se laisse pousser la barbe… On leur a expliqué de ne pas s’emballer et de ne surtout pas faire l’amalgame entre radicalisation et fondamentalisme religieux, un ensemble de pratiques qui ne rendent pas un individu dangereux. »
En effet, il s’agit de deux notions bien différentes, selon Farhad Khosrokhavar, sociologue et auteur de l’ouvrage Radicalisation
Est-il cependant possible d’appréhender la radicalisation d’un point de vue médical ? « Dans un sens, on peut l’assimiler à une pathologie, car elle touche des gens fragiles, explique Jean-Marie Faroudja. Mais ils ne relèvent pas forcément de la psychiatrie. Par ailleurs, la radicalisation ne peut être repérée sur la base d’un indice mais d’un faisceau d’indices. C’est cela que nous avons voulu mettre à disposition des médecins. »
S’il est difficile de parler de “symptômes de radicalisation”, il existe en effet des facteurs de risque détectables par les professionnels de santé. Le docteur Kamaldeep Bhui, professeur de psychiatrie à l’université Queen Mary de Londres, mène actuellement une étude sur les jeunes tentés par le djihad : les caractéristiques communes qui ressortent sont la tendance à s’infliger des blessures, la consommation d’alcool et de drogue, l’isolement social, la dépression… Des critères à ce jour bien trop larges, reconnaît le médecin, qui espère les affiner afin de faciliter les opérations de prévention
Est-il pour autant du ressort du médecin, ou de l’infirmière libérale, de signaler un patient sur lequel il y aurait des doutes ? Cela constituerait une atteinte inacceptable au secret médical, selon certains praticiens. « L’État voudrait que l’on dénonce ou que l’on fiche des personnes, tempête Éric Henry, président du Syndicat des médecins libéraux. En tant qu’homme, cela me semble difficile, et comme médecin, c’est tout à fait inaudible : les patients ont confiance en nous, ils viennent déposer leurs secrets dans notre bureau. Si on commence à les juger, on n’est plus soignant. »
Au secret médical par lequel sont liés les soignants, il existe déjà quelques exceptions strictement encadrées par la loi
L’Ordre des médecins explique donc sa démarche comme une réponse aux interrogations citoyennes des médecins qui ont eu accès à des informations par leur métier mais se trouvent “coincés” dans leurs obligations déontologiques. C’est déjà trop, pour le président du Syndicat des médecins libéraux. « Si quelqu’un me dit qu’il va se faire “sauter” sur la place publique, je vais demander une hospitalisation d’office. Nous avions déjà un arsenal à notre disposition pour cela. En dehors de ces cas, je doute que les médecins appellent la Crip – et je ne les y incite pas. On ne va pas briser ce qui est bien dans notre métier à cause de quelques fous sociaux. »
(2) Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 192 pages, 2014.
(3) “A systematic review of pathways to and processes associated with radicalization and extremism amongst Muslims in Western societies”, International Review of Psychiatry, vol. 27, (1) 39 - 50, 2015.
(4) Les praticiens sont notamment autorisés à informer les autorités du caractère dangereux des patients connus pour détenir une arme ou à signaler au président du Conseil départemental un mineur en danger. À lire via le lien raccourci bit.ly/1Se3t9F
(5) Le copilote Andreas Lubitz souffrait de dépression et aurait visiblement caché à son employeur qu’il était, le jour de la catastrophe, en arrêt maladie. Il a précipité le vol 9525 de la Germanwings contre les montagnes des Alpes le 24 mars 2015, entraînant dans la mort cinq autres membres d’équipage et 144 passagers.