Cahier de formation
Savoir faire
Les troubles musculo-squelettiques du dos et du rachis (dorsalgies, sciatiques, cruralgies…) touchent une infirmière sur trois au cours de sa vie professionnelle. Il est donc capital d’adopter des techniques de manutention permettant de se préserver.
« L’article R. 4541-9 du Code du travail interdit de porter plus de 25 kg pour une femme et 55 pour un homme », rappelle Rachel Valdenaire, ergonome et co-auteur de Manutention de personnes et ergonomie (références page suivante). Des limites maximum qui semblent très éloignées du quotidien infirmier à domicile, et pourtant : « Il n’y a qu’une seule manutention qui fait qu’on porte tout le poids d’un patient, c’est un relevé du sol. Tous les transferts au fauteuil, les réhaussements au lit ou au fauteuil et les retournements sont des glissés et non des portés, ce qui demande beaucoup moins d’efforts », poursuit la spécialiste.
Pour éviter de se faire mal au dos, aux épaules ou aux genoux, l’une des clés est d’adapter ses techniques de manutention au degré de handicap de la personne ; en d’autres termes, s’aider de la force du patient autant que possible. « Si le malade peut bouger ne serait-ce qu’un bras ou une jambe, c’est une aide sur laquelle il faut s’appuyer. Or ce n’est pas du tout évident dans la culture soignante », souligne l’ergonome. Responsable de formations initiales et continues de soignants, elle a développé un exercice-test permettant aux infirmières de prendre conscience que, bien qu’elles soient persuadées du contraire, elles ne sollicitent pas assez le patient. La question est simple : pour faire un transfert lit-fauteuil d’un patient hémiplégique à gauche, de quel côté du lit vous placez-vous et où mettez-vous le fauteuil ? Dans la majorité des cas, les infirmières réalisent qu’elles n’en savent rien et qu’elles vont avoir tendance à s’adapter à l’environnement du patient, sans modifier par exemple la position du fauteuil. Or l’agencement des lieux à domicile peut poser de vrais problèmes d’ergonomie. Il faut penser à conseiller aux familles d’enlever les tapis entre le lit et la salle de bains, d’essayer de faire en sorte que l’on puisse tourner autour du lit médicalisé… « Elles ont l’habitude de se dévouer à leurs patients et s’oublient dans le soin, jusqu’à se casser le dos. Ce n’est pas spontané de penser à adapter par exemple le sens de la chambre pour préserver leur santé. D’autant plus que c’est tout à fait justifié pour la préservation de l’autonomie du patient, ce n’est pas juste une réclamation pour le confort des soignants. J’insiste beaucoup sur cet aspect bénéfique pour le patient en formation car c’est celui qui peut pousser les infirmières à oser “déranger” les habitudes du patient et de ses proches », explique Rachel Valdenaire.
En stimulant l’autonomie et les capacités du malade, 90 % des manutentions sont réalisables par une seule personne en toute sécurité. En coordonnant son effort à celui du malade, les manutentions ne sont plus des épreuves de force. Les difficultés se posent lorsque le malade est grabataire ou en refus de soin. Sur le plan pratique, il faut considérer un patient en opposition comme un patient grabataire puisqu’il ne fera aucun geste pour aider l’infirmière au contraire. « S’il n’est pas possible d’intervenir à deux, il ne faut pas hésiter à solliciter le généraliste pour qu’il prescrive le matériel adapté. Un lève-personne, des draps de réhaussement, des draps de glisse, des verticalisateurs, des plateaux-tournants. Il existe plusieurs types d’outils pour que le soignant préserve sa santé et réalise tous les soins et manutentions nécessaires », insiste l’ergonome.
+ Penser à s’économiser au cours de la journée ! Réhausser les lits si nécessaire, s’asseoir pour écrire ses transmissions ou pour discuter avec le patient… C’est toujours cinq minutes de gagnées pour le repos physiologique et la récupération corporelle. C’est ce qui permet ensuite de trouver la force physique et l’énergie nécessaires pour aider les patients les plus grabataires.
+ Pratiquer régulièrement l’activité sportive de son choix pour entretenir sa forme physique mise à rude épreuve chaque jour.
+ Penser à s’étirer la chaîne dorsale cinq minutes chaque soir. Ces petits exercices de récupération compensent une journée complète en tension et en raccourcissement musculaire et peuvent suffire à soulager de petites douleurs et contractures.
+ Ne pas porter quotidiennement de ceinture lombaire au risque de se “démuscler” le dos. En phase douloureuse aiguë, ces ceintures agissent comme un rappel proprioceptif bénéfique puisqu’elles empêchent l’infirmière de faire des faux mouvements. Mais il ne faut pas en faire une habitude.
Lire aussi notre numéro 319 de novembre 2015 sur la manutention des sujets immobilisés (p. 43).