Réaliser une toilette complète au lit - L'Infirmière Libérale Magazine n° 322 du 01/02/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 322 du 01/02/2016

 

Cahier de formation

Savoir faire

Réalisés quotidiennement par les infirmières libérales, les soins d’hygiène nécessitent autant de savoir-faire technique (gestes à faire et à ne pas faire, diagnostics à poser, produits à choisir…) que de savoir-être relationnel tant ils touchent à l’intime du malade.

Vous arrivez pour un soin d’hygiène chez Mme V., 88 ans, en fin de vie, souffrant de métastases osseuses, et dont vous retrouvez les vêtements régulièrement souillés. Elle confie d’emblée qu’une poussée d’arthrose la “cloue” aujourd’hui au lit, et qu’elle ne peut pas se rendre, comme habituellement, au lavabo pour sa toilette.

Son affection, la douleur et le risque de chute l’empêchent effectivement de se mouvoir : vous essayez de la rassurer en lui proposant une toilette complète au lit. Vous commencez par faire avec elle un inventaire de son matériel (bassine, cuvette, crèmes…) pour réaliser cet acte au mieux. Elle n’a pas de gants jetables à sa disposition: heureusement, vous en avez dans votre mallette… Vous lui présentez le déroulement de la toilette au lit et, après avoir évalué son degré de mobilisation, vous débutez le soin.

AVANT LA TOILETTE

Une investigation préalable

L’objectif principal d’une toilette complète au lit est double : il s’agit à la fois d’assurer l’hygiène de la personne et de surveiller son état cutané. Pour atteindre ce but de façon personnalisée, l’infirmière doit d’abord tenir compte du degré d’autonomie du patient. Il s’agit en effet d’un moment de stimulation : il est utile de laisser la personne effectuer elle-même ce qu’elle est en mesure de réaliser, y compris, souvent, la toilette des organes génitaux. Pour l’infirmière comme pour tout soignant, il est également important de connaître les habitudes du patient en termes de toilettes. L’Idel peut se renseigner, auprès de la personne mais aussi de ses proches, sur son rapport à l’hygiène avant même sa perte d’autonomie. « Ces renseignements pourront concerner la fréquence à laquelle s’effectuaient les soins d’hygiène, la réaction typique de la personne à ceux-ci et les stratégies que les proches considèrent comme utiles », lit-on dans l’ouvrage Soins infirmiers aux aînés en perte d’autonomie (références de cet ouvrage à retrouver p. 48).

Une adaptation individualisée

La liste de matériel, le déroulement et les techniques détaillés dans cette partie restent théoriques, comme ils peuvent être enseignés par exemple en formation. Ces conseils non exhaustifs s’inspirent d’ailleurs de plusieurs sources destinées aux étudiants (lire les références dans l’encadré p. 40).

Le déroulé chronologique tel que l’apprennent les étudiants doit être adapté à chaque personne. Pas question ici d’appliquer au soin « une technique rigide » : « l’ordre dans lequel les soins corporels sont prodigués n’est pas immuable. Il importe de procéder avec logique, de façon naturelle », explicitent Jacqueline Bregetzer et Laurence Bourdeaux, toutes deux infirmières et travaillant dans la formation, à l’adresse des aides-soignantes. Cette remarque vaut pour l’horaire de la toilette, qui, « dans certains cas », peut s’effectuer l’après-midi.

En pratique, et à la différence d’un environnement hospitalier, l’Idel doit très souvent travailler dans des conditions de propreté non optimales et s’adapter à ce qui est disponible chez la personne en termes de bassine (dans les cas où un lavabo est situé trop loin du lit de la personne), de produits lavants et de linge. Il s’avère rare, ainsi, que les patients disposent de gants jetables, dont la présence à domicile est plus souvent liée au passage d’un Ssiad ou de l’hospitalisation à domicile. Cet achat peut toutefois être suggéré au patient et à sa famille, éventuellement dans le cadre de l’APA, de même que l’acquisition de produits d’hygiène (lire la deuxième partie de Savoir faire, p. 41).

MATÉRIEL NÉCESSAIRE

→ Deux gants de toilette (l’un pour le haut, l’autre pour le bas du corps), et de même deux serviettes de toilette.

→ Vêtements propres pour le patient ; linge propre pour le lit.

→ Protection anatomique en cas d’incontinence.

→ Produit lavant (savon ou syndet, lire la distinction p. 42).

→ Huile de massage de type huile d’amande douce ou Sanyrène, crème hydratante dermocosmétique (Ictyane, Lipiderm…).

→ Brosse, peigne.

→ Rasoir et mousse à raser.

→ Une cuvette, si possible deux (une pour le haut, une pour le bas du corps).

→ Papier hygiénique.

→ Deux paires de gants non stériles à usage unique.

→ Désinfectant de surface et chiffon.

→ Nécessaire pour l’hygiène des mains.

INSTALLATION

→ Informer le patient à l’avance du soin qui va être fait.

→ Préserver au maximum l’intimité de la personne (fermer la porte, tirer les rideaux, poser un paravent…) ; lui garantir une “ambiance” la plus proche possible de ses préférences (horaire, éclairage, musique, température…).

→ Installer le matériel sur une surface propre, idéalement désinfectée, et à portée de main pour limiter les risques d’interruption du soin à venir.

→ Remplir la cuvette d’eau tiède, à une température agréable pour la personne. S’assurer par la suite du fait que l’eau soit toujours chaude, et la changer de façon régulière.

→ Respecter un triangle d’hygiène, de sécurité et d’ergonomie entre le matériel propre, le patient et la poubelle.

→ Si le patient est sondé, vider la poche de recueil des urines avant le soin ; s’il est continent, lui proposer de vider sa vessie avant le soin (à l’aide du bassin ou de l’urinal).

→ Se laver les mains avec une solution hydro-alcoolique.

PRINCIPES GÉNÉRAUX

→ Réaliser lavage, rinçage et séchage sans précipitation mais de façon appliquée et sûre, par zones du corps, l’une après l’autre, et du plus “propre” au plus “sale”. La toilette s’effectue ainsi en commençant par le visage et en finissant par la toilette génitale et le siège, mais si la personne porte des vêtements souillés par des selles ou urines, commencer, pour son confort, par la toilette génitale puis celle du siège.

→ Veiller au respect de la pudeur de la personne, par exemple en couvrant d’une serviette pubis et dos pendant la toilette du siège, et privilégier une position confortable.

→ Afin de prévenir les escarres (lire aussi p. 42), effectuer des effleurages sur tout point d’appui au fur et à mesure de la toilette, à l’arrière du crâne, sur l’occiput, sur le coude et le bras (d’autant plus si la personne est forte), sur les talons (par des mouvements circulaires et sans appuyer avec l’huile de massage), frictionner le sacrum avec l’huile de massage, effleurer l’épine dorsale (surtout chez les patients très maigres), les omoplates…

VISAGE

→ Si besoin, raser la personne.

À noter : mieux vaut laver le visage après le rasage pour éviter de raser une peau fragilisée et desséchée par le savon, qui élimine son film hydrolipidique protecteur.

→ Laver le visage à l’eau claire, à l’eau savonneuse, avec un savon spécial ou un produit dermatologique, en fonction des indications éventuelles du médecin et de la personne (recourir au savon seulement si la personne le souhaite).

→ Commencer par les yeux avec l’angle du gant de toilette, en allant du nez vers les oreilles. Laver le front, du milieu vers l’extérieur et derrière chaque oreille. Laver le cou.

TORSE, ABDOMEN, BRAS ET MAINS

→ Commencer par le membre le plus éloigné. Mettre la serviette pour le haut sous le bras. Couvrir l’hémicorps le plus proche avec une petite couverture. Savonner l’épaule de l’intérieur vers l’extérieur puis l’aisselle (et vérifier si elle est irritée), ainsi que le bras en allant de l’épaule vers la main en effectuant des mouvements en forme de 8 autour du bras, et enfin la main et les doigts.

→ Rincer en procédant de la même façon. Essuyer en tamponnant, sans frotter.

→ Procéder de la même façon pour le bras le plus proche.

→ Laver le torse ainsi que l’abdomen en insistant au niveau des plis (notamment de l’aine) et du nombril, rincer et sécher en tamponnant.

JAMBES ET PIEDS

→ Prendre le second gant de toilette et si possible une seconde cuvette.

→ Commencer là encore par le membre le plus éloigné. Mettre une serviette sous la jambe et la soutenir sous la cheville pendant le lavage.

→ Commencer à savonner à partir de la moitié de la cuisse en effectuant des mouvements en 8. Laver les espaces interdigitaux avec le bord du gant de toilette. Rincer de la même façon. Essuyer en tamponnant avec la serviette réservée pour la toilette du bas.

→ Procéder de la même façon pour la jambe la plus proche.

ORGANES GÉNITAUX

→ Changer l’eau de la bassine, se laver les mains, mettre des gants non stériles.

→ Si la personne a une protection anatomique, l’ouvrir et rabattre l’ouverture entre les cuisses, vers la région anale.

→  Faute de bassin de lit, possibilité de glisser une protection à usage unique sous le siège, pour la femme.

→ Savonner avec un gant de toilette ou des tampons de coton en commençant par la cuisse la plus éloignée, remonter vers l’abdomen, passer sur le pubis puis finir en descendant sur la cuisse la plus proche. Savonner ensuite les organes de l’extérieur vers l’intérieur et de haut en bas, sans retour afin d’éviter une dissémination de germes anaux au niveau du vagin ou du pénis. Insister au niveau des plis.

→ Bien rincer et bien sécher, sans frotter.

→ Jeter les gants. Effectuer un nouveau lavage simple des mains. Changer l’eau de la bassine.

DOS

→ Installer la personne en position latérale (elle peut aussi être assise). Si besoin et si possible, demander de l’aide.

→ Reprendre le gant de toilette et la serviette réservés pour la toilette du haut. Mettre cette serviette sous le dos. Savonner de haut en bas, sans passer plusieurs fois au même endroit, dans l’idéal et surtout en cas de pansement stérile ou de plaie.

→ Rincer et essuyer.

SIÈGE

→ Se laver les mains et mettre une seconde paire de gants non stériles.

→ Le patient est toujours installé en position couchée latérale.

→ Reprendre le gant de toilette et la serviette réservés pour la toilette du bas. Jeter la protection anatomique. Si présence de selles, essuyer le siège avec du papier toilette puis le jeter.

→ Savonner en partant des organes génitaux et en remontant vers la région anale.

→ Rincer et sécher par tamponnement.

→ Jeter les gants. Effectuer un nouveau lavage simple des mains.

LIT

→ La réfection du lit se fait autant de fois que possible, en tenant compte des moyens de la personne - multiplier les lessives peut ainsi constituer un investissement en argent et en énergie trop important.

Témoignage

« Des sentiments variés »

Jean-Dominique Bauby, atteint du syndrome d’enfermement (locked-in syndrom), dans Le Scaphandre et le Papillon, Robert Laffont, 1997

« Un épisode domestique comme la toilette peut m’inspirer des sentiments variés. Un jour, je trouve cocasse d’être, à 44 ans, nettoyé, retourné, torché et langé comme un nourrisson. En pleine régression infantile, j’y prends même un trouble plaisir. Le lendemain, tout cela me semble le comble du pathétique et une larme roule dans la mousse à raser qu’un aide-soignant étale sur mes joues. Quant au bain hebdomadaire, il me plonge à la fois dans la détresse et la félicité. »

Point de vue

« À domicile, il n’y a plus de protocoles, on s’adapte »

Charline, infirmière libérale en zone rurale dans l’Ouest de la France et auteur du blog “C’est l’infirmière”

« À domicile, rien n’est protocolaire. On a de toutes petites douches, des baignoires impossibles à utiliser pour des patients qui ne peuvent pas lever la jambe, pas de matériel… Il faut s’adapter aux lieux et aux gens. J’ai une dame dont je fais la toilette deux fois par jour, chez qui je n’ai qu’un gant et une serviette pour toute la semaine et qui servent à toute la famille. On a essayé avec mon collègue de demander au moins un second gant pour le bas. Réponse ? “Oh non, c’est pas nécessaire, on a toujours fait comme ça.” Alors on s’adapte, on retourne le gant pour faire une petite toilette au plus propre. Mais c’est finalement mieux d’être dans un cadre moins protocolisé, c’est la vie réelle. Cela fait plus de quatre-vingt dix ans que cette dame se lave comme ça : pourquoi devrais-je la heurter pour tout changer ? Je suis là pour qu’elle soit bien, qu’elle puisse finir ses jours tranquillement dans sa maison. C’est ça qui compte vraiment. »

Références

La page très complète sur l’hygiène corporelle du site soins-infirmiers.com, rédigée par Morgan Pitte, faisant fonction cadre de santé formateur à l’Ifsi du Havre ; Les pratiques de l’AS, Jacqueline Bregetzer et Laurence Bourdeaux, Lamarre, 4e éd., 2012 ; Infectiologie et hygiène. Unité d’enseignement 2.10, Warren Vidal, Vuibert, 2013 ; Mémo-guide infirmier UE 4.1 à 4.8, Pascal Hallouët, Elsevier Masson, 2011.