Thibaut Blairon, éducateur et formateur à l’École de chiens guides de Paris (XIIe arrondissement)
La vie des autres
Un ras-le-bol pour son métier d’origine et un engagement bien ancré dans le secteur du handicap ont conduit Thibaut Blairon à changer de carrière. Depuis maintenant trois ans, il exerce son métier d’éducateur de chiens guides pour personnes malvoyantes ou aveugles.
Lorsque Thibaut ouvre la porte du box, trois labradors sortent, tout fous, heureux de se dégourdir les pattes, mais obéissant au doigt et à l’œil à leur éducateur. À l’École des chiens guides de Paris, retrievers, bergers, caniches, labradoodles se côtoient en toute harmonie. Devenir éducateur de chiens guides n’était pas le plan de carrière de Thibaut.
« À l’origine, je suis plutôt un scientifique. » Après un cursus de cinq ans dans une école d’ingénieur parisienne et un an et demi passé à Vancouver (Canada) pour apprendre l’anglais, « je suis rentré pour monter ma boîte de développement Web avec des amis et être chef de projet junior de développement de logiciels dans la finance ». En parallèle, Thibaut poursuit l’engagement qu’il a depuis le lycée dans le secteur du handicap, et surtout celui de la surdité. « J’ai appris la langue des signes pour des raisons personnelles, puis l’une de mes amies, qui était famille-relais pour les chiens guides, m’a fait découvrir ce milieu », se rappelle-t-il. C’est par son intermédiaire qu’il découvre l’École des chiens guides de Paris où il devient bénévole. À l’époque, il y consacre une grande partie de son temps libre, auprès des malvoyants et de leurs chiens guides.
Et puis, un jour, branle-bas de combat. « J’ai été dégoûté par le milieu de la finance. Je voulais exercer un métier qui me passionne le matin au réveil, qui soit utile, qui ait un sens. » Il cherche alors dans le domaine de la surdité, lorsque la secrétaire de l’École des chiens guides de Paris lui apprend que la structure recrute un éducateur. « J’ai apporté mon CV et une lettre de motivation, et comme je faisais déjà du bénévolat, l’équipe me connaissait et savait que j’étais motivé, alors j’ai été embauché. » Thibaut est envoyé en formation en alternance pour apprendre le métier (lire l’encadré du bas). « Un éducateur doit être polyvalent. Car nous ne sommes pas uniquement en relation avec les chiens, mais aussi avec les personnes déficientes visuelles et les familles d’accueil. »
?La formation que l’éducateur dispense aux chiens se déroule en plusieurs étapes. « Dès leur naissance, les chiots sont intégrés dans la stimulation parisienne, bus, métro, bruits environnants », indique Thibaut. À trois mois, ils sont envoyés dans une famille d’accueil. « Les membres du foyer doivent amener le chiot partout avec eux. Nous sommes d’ailleurs en manque de familles d’accueil alors qu’elles ont un rôle essentiel, car elles participent à l’apprentissage du chien dès ses premiers mois. » Les familles sont formées et accompagnées par les éducateurs de l’école pour faire de l’animal un bon chien de famille. À un an, le chien revient au sein de la structure et est pris en charge par Thibaut ou un de ses confrères. « Pendant six mois, le chien reste à mes côtés pour que je lui apprenne le “métier”, à savoir guider en toute sécurité avec autonomie et confort. » L’éducateur doit apprendre au chien l’obéissance puis les déplacements et les recherches (escaliers, portes, passages piétons, guichet de banque). « Un chien guide saura désobéir en cas de danger pour son maître, mais il doit d’abord être très obéissant », précise Thibaut. À l’issue des six mois d’apprentissage, le chien est gratuitement remis à une personne.
C’est directement à l’École de chiens guides de Paris que les personnes aveugles ou malvoyantes désireuses d’avoir un animal font leur demande, en sachant qu’il y a un délai d’attente d’environ deux ans. Une équipe pluridisciplinaire de l’école, composée d’un instructeur de locomotion – qui apprend à la personne malvoyante ou aveugle à avoir une bonne analyse de son environnement et à se déplacer –, d’un orthoptiste et d’un psychologue, étudie la demande pour associer au mieux la personne avec un chien en fonction de certains critères, dont les plus importants sont le physique et la démarche. « Nous pouvons penser à plusieurs chiens pour une personne. Nous préparons alors une rencontre entre eux, et, après quelques tests, le choix se fait. » Une fois formé, le duo participe à un stage de deux semaines en immersion nuit et jour, à l’école, au cours duquel Thibaut forme le maître. Ce stage est suivi d’une semaine d’accompagnement au domicile de la personne, pour une mise en pratique dans la vie quotidienne. « Pendant ces trois semaines, le bénéficiaire “fusionne” avec l’animal. Il s’agit d’un moment très important. » Ensuite, Thibaut assure le suivi de “l’équipe” toute la première année. Pendant le restant de la vie du chien, le relais est pris par une équipe de suivi de l’école.
À ce jour, 350 personnes disposent d’un chien guide à Paris. Si 45 chiens sont remis par an, « nous visons une remise de 80 chiens par an pour réduire le temps d’attente », souligne Thibaut. Et de conclure : « Je n’ai aucun regret d’avoir changé de métier. J’exerce un métier passionnant, qui forme un tout avec ma vie. Il ne faut pas calculer ses horaires, ni son salaire, il faut être motivé. Mais il y a de quoi, car c’est un vrai échange et une relation de confiance qui se construit avec les chiens. »
« Je n’ai pas l’occasion de croiser des infirmières libérales dans le cadre de mon métier. En revanche, il est possible qu’elles prennent en charge des personnes malvoyantes ou aveugles qui disposent d’un chien guide. Il faut savoir que les personnes malvoyantes et leurs chiens ont une relation très fusionnelle et, même en cas de soins, il ne faut jamais chercher à les séparer. Il faut toujours demander l’autorisation du bénéficiaire avant de caresser l’animal. Dans tous les cas, ce sont des chiens de compagnie classique qu’il ne faut pas craindre car ils n’ont pas une once d’agressivité en eux. Nous faisons des lignées de chiens sans agressivité. »
Pour devenir éducateur de chiens guides, il faut être employé par une école de chiens guides pour aveugles et malvoyants, qui décide d’envoyer en formation le salarié, déjà titulaire d’un diplôme de niveau baccalauréat. La formation est organisée et financée par la Fédération française des associations de chiens guides d’aveugles, et dispensée par l’Association de formation aux métiers du handicap visuel par l’aide animalière. Les études, en alternance pendant trois ans, sont sanctionnées par le titre d’Éducateur de chiens guides d’aveugles, enregistré au Répertoire national des certifications professionnelles. Durant sa formation, l’élève éducateur est salarié de l’école de chiens guides qui l’a embauché. Un maître de stage le conseille et le note. Le diplôme est validé par la soutenance du mémoire devant un jury fédéral et la remise de six chiens guides, comme l’impose la Fédération internationale du chien guide. Il s’agit d’un métier très prisé, mais avec peu d’élus.