L'infirmière Libérale Magazine n° 323 du 01/03/2016

 

Immunologie

Cahier de formation

LE POINT SUR

Marie Fuks  

Perturbé par le risque de transmission du VIH, le désir d’enfant des couples vivant avec le VIH/sida peut cependant se concrétiser dans de bonnes conditions sous réserve de l’anticiper, de le préparer et de l’accompagner médicalement.

Différents niveaux de risque

« Pour limiter au maximum le risque de transmission du VIH pendant la grossesse, les femmes infectées doivent présenter une charge virale (CV) indétectable (< 50 copies) si possible avant la conception et pendant la grossesse, mais surtout dans les trois derniers mois et au moment de l’accouchement »(1), explique le Dr Roland Tubiana, infectiologue à Paris (La Pitié-Salpêtrière, AP-HP). Cela signifie qu’elles doivent être dépistées et prises en charge médicalement de façon efficace avant d’envisager un projet de grossesse. « Si tel est le cas, précise l’infectiologue, une récente étude de cohorte portant sur plus de 2 500 mères-enfants(2) montre que le risque de transmission du virus de la mère à l’enfant est nul et que l’on peut même se dispenser d’une césarienne programmée au profit d’un accouchement par voie basse. » Inversement, lorsque les femmes ne découvrent leur séropositivité qu’au moment ou au décours de la grossesse ou ont été infectées en cours de grossesse(3) et ne commencent leur traitement antirétroviral (ARV) que quelques semaines à peine avant l’accouchement, « environ un tiers d’entre elles ont une CV encore détectable et supérieure aux recommandations (> 50 copies) au moment de l’accouchement », constatent les auteures d’une étude Inserm portant sur 779 femmes ayant entamé leur traitement ARV en cours de grossesse(4).

Favoriser un dépistage précoce

Il s’agit de favoriser un dépistage précoce et l’orientation vers des consultations préconceptionnelles(5) : elles permettront d’optimiser la prise en charge de la conception et de la grossesse par un accompagnement médical adapté en cas de sérologie VIH positif de l’un des deux futurs parents. D’autant qu’en France, la moitié environ des quelque 30 000 personnes ignorant leur séropositivité au VIH sont des femmes, qui s’exposent donc sans le savoir à un risque de transmission à l’enfant en cas de grossesse.

Modalités de procréation possibles

Les modalités de procréation peuvent être naturelles (rapports sans préservatif, auto-insémination) ou assistées (assistance médicale à la procréation, AMP) en fonction du statut sérologique des deux partenaires. Dans tous les cas, elles doivent être discutées avec le couple et médicalement accompagnées.

Femme séropositive, homme séronégatif

La conception naturelle sans préservatif peut être envisagée à la condition que la CV de la femme soit parfaitement contrôlée depuis plus de six mois, l’observance du traitement parfaitement respectée, qu’elle ne présente ni infections sexuellement transmissibles (IST), ni inflammation du tractus génital et que la période d’ovulation puisse être correctement identifiée pour limiter le nombre de rapports non protégés. Il est important d’éviter toute irritation des muqueuses et de conseiller l’emploi d’un gel lubrifiant à base d’eau et sans spermicide. En cas d’échec, et pour éviter une surexposition du conjoint, l’auto-insémination à domicile (lire l’encadré page ci-contre) constitue la technique la plus sécurisée.

Homme séropositif, femme séronégative

La conception naturelle sans préservatif peut être envisagée dans les mêmes conditions de contrôle que pour la femme séropositive, sachant que le risque de transmission par rapport sexuel non protégé est alors estimé à 1/10 000 par an (6). L’AMP après préparation (lavage) du sperme permettant d’obtenir une fraction pure de spermatozoïdes reste la méthode la plus fiable et la plus sûre.

Homme et femme séropositifs

Un traitement bien observé de longue date, une CV indétectable et l’absence d’IST chez les deux partenaires sont indispensables sachant que le risque de surcontamination lors de rapports sexuels non protégés est marginal dans ce cas(6).

Stratégie thérapeutique

L’attitude thérapeutique doit être adaptée au contexte. D’une manière générale, l’Efavirenz qui présente un risque de tératogénicité (malformations neurologiques) au premier trimestre est supprimé du traitement par anticipation ou dès que la grossesse est connue. Chez les femmes bien suivies, ou dont l’infection est détectée en début de grossesse, l’objectif est de maintenir ou d’atteindre une CV indétectable (elle est contrôlée tous les mois) le plus tôt possible. Les traitements sont adaptés au cas par cas en essayant d’obtenir le meilleur rapport efficacité/tolérance. Plus l’induction du traitement est tardive (deuxième ou troisième mois de grossesse), plus le traitement utilisé contre le virus doit être agressif. Dans ce cas, les infectiologues utilisent préférentiellement des inhibiteurs d’intégrase (une des dernières générations de médicaments), dont la toxicité et la tératogénicité potentielles sont moins à craindre en fin de grossesse mais dont l’efficacité sur la décroissance du virus, associée à un accouchement par césarienne programmée et au traitement préventif par trithérapie du nouveau-né(7), permet de rattraper des situations virologiques à risque pour l’enfant. L’infection est recherchée par PCR (amplification en chaîne par polymérase) à la naissance puis à un, trois et six mois, sachant qu’un résultat positif doit obligatoirement être confirmé par un nouvel examen.

Rôle des Idels

Si le Dr Tubiana insiste beaucoup sur le dépistage, il souligne également que le rôle des Idels peut être d’une grande utilité, entre autres, pour expliquer les ordonnances, vérifier que les femmes ont bien compris l’importance d’observer le traitement ARV, rassurer sur le fait qu’après la grossesse il pourra être simplifié et allégé, signaler à l’équipe hospitalière ou au médecin traitant tout problème susceptible de compromettre la prise en charge. « À domicile, par leur accompagnement bienveillant ancré dans la réalité quotidienne, conclut le Dr Tubiana, les Idels peuvent apporter une contribution majeure au succès de cette prise en charge complexe et anxiogène, en aidant les femmes et les couples à potentialiser la motivation suscitée par leur désir d’enfant pour mieux supporter les contraintes du traitement et lui donner toutes les chances de réussite. »

(1) La transmission du virus de la mère à l’enfant se produit dans 5 % des cas durant le dernier trimestre de la grossesse et dans 15 % des cas pendant l’accouchement.

(2) “No Perinatal HIV-1 Transmission From Women With Effective Antiretroviral Therapy Starting Before Conception”, sous la direction du Pr Mandelbrot, Clinical Infectious Disease, 2015:61.

(3) 50 % des enfants VIH positif à la naissance concernent des femmes primo-infectées pendant la grossesse.

(4) www.inserm.fr.

(5) Liste des consultations sur le site de l’Agence de la biomédecine (www.agence-biomedecine.fr).

(6) “Prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH”. Recommandations de 2013 sous la direction du Pr P. Morlat, CNS/ANRS (bit.ly/1Ty3dkn).

(7) Actuellement, à la naissance, quel que soit le statut de la mère, le nouveau-né est traité par AZT (azidothymidine) pendant quatre semaines.

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.

L’auto-insémination à domicile

Après un rapport protégé (sans spermicide), le sperme est :

→ récupéré dans un réceptacle (dans un verre par exemple) ou dans un préservatif masculin ou féminin (attention aux préservatifs lubrifiés contenant des spermicides) ;

→ prélevé dans une seringue de 10 à 20 ml ;

→ déposé au fond du vagin.

Cette opération doit être associée à la surveillance de l’ovulation par courbe de température ou par bandelette urinaire si les cycles sont réguliers. Dans le cas contraire, un monitorage échographique de la croissance folliculaire peut être utile pourcibler la date d’ovulation.