Véronique Profit, infirmière dans une équipe mobile de gériatrie à Lyon (Rhône)
La vie des autres
Depuis 2014, à la demande de professionnels de santé libéraux, l’équipe mobile de gériatrie de l’hôpital Édouard-Herriot toque à la porte du domicile de patients âgés. Une illustration concrète de la volonté ambitieuse de rapprocher la ville et l’hôpital.
Depuis 2014, des professionnels de santé de ville (médecins traitants, Ssiad, Idels…) du Rhône peuvent appeler directement un médecin gériatre, susceptible de proposer entre autres l’envoi à domicile d’une équipe mobile de gériatrie. Parmi les quatre unités financées dans le Rhône par l’Agence régionale de santé, en vue notamment de limiter le nombre d’hospitalisations en urgence de personnes âgées, l’une est rattachée à l’hôpital Édouard-Herriot (Hospices civils de Lyon). Elle se compose de trois médecins gériatres, d’une ergothérapeute, d’une assistante sociale et de quatre infirmières : l’une s’occupe d’onco-gériatrie, l’autre de recherche clinique, la troisième répond aux demandes de synthèse et conseils provenant (à la suite d’une hospitalisation par exemple) de services d’Édouard-Herriot ou d’autres établissements, au sein desquels l’équipe peut se déplacer depuis 2004 ; la quatrième infirmière, Véronique Profit, est chargée des liens avec l’extrahospitalier, en particulier les Idels. En 2014, 2 764 situations ont été analysées via la hotline par un médecin gériatre, pour des patients d’environ 85 ans, présentant une dépendance importante, souvent associée à des troubles cognitifs. Dans 12 % des cas, le médecin a résolu le problème par téléphone. Il peut aussi décider d’un recours aux urgences, d’une hospitalisation programmée ou encore, donc, proposer l’envoi de l’équipe mobile de gériatrie, parfois de façon commune avec une équipe mobile d’évaluation et d’orientation psychique du sujet âgé à domicile.
Chaque visite à domicile est précédée d’un long travail préparatoire, confié à Véronique Profit. « Je demande systématiquement l’accord du médecin traitant. Je n’ai reçu que de très rares refus, l’équipe étant un élément neutre d’analyse, qui émet uniquement des recommandations, sans aucun droit de prescription. J’essaie aussi de savoir qui entoure la personne âgée, afin de recueillir leur ressenti du quotidien et de comprendre leur coordination. Parfois, pour joindre les Idels, ce n’est pas facile, quand je sais seulement que “c’est Martine et Isabelle qui viennent”. Ces contacts se font par téléphone, c’est un bon moyen d’échange. Jamais une Idel ne m’écrirait par exemple noir sur blanc que “la famille est là, mais qu’elle n’est pas si présente que ça…”, ou alors “je passe souvent chercher le pansement à la pharmacie”. » Ces cas sont-ils fréquents ? « Des Idels préparent le petit-déjeuner, vont chercher le pain. Ou se laissent embarquer par la famille dans des histoires d’affect. Je n’émets aucun jugement de valeur. Parfois, on ne peut pas faire autrement. La synthèse permet justement de mettre le doigt sur les glissements de tâches, pour reposer les objectifs de soins et le cadre des interventions. »
L’équipe envoyée à domicile dépend des besoins ainsi analysés au préalable : elle se déplace souvent en binôme ou en trinôme (médecin gériatre et infirmier, médecin plus ergothérapeute et assistante sociale, etc.). Dans ses interventions, Véronique Profit doit faire la part « entre l’idéal parfois décrit par la famille et ce qui se passe réellement au quotidien. Les gens ont aussi tendance à penser que lorsque l’on vieillit, il est normal de manger moins, de perdre un peu la tête… Mais glisser de son fauteuil, c’est déjà tomber ! Il faut veiller à déceler tous ces indices lors des entretiens, rebondir sur les propos, bien observer le domicile ». Elle effectue aussi une analyse des syndromes gériatriques (nutrition, locomotion, autonomie, état cognitif, thymique…), complétée par l’examen clinique du médecin gériatre. Un bilan social ainsi qu’une évaluation des besoins en matériel (pour le patient ou les soignants) sont effectués. La synthèse est ensuite envoyée au médecin traitant et au patient (ou à ses représentants légaux), pour par exemple recommander une orientation (vers un spécialiste, l’équipe psychiatrique, une Maia…). Des changements d’intervention au domicile peuvent être préconisés (recommandation d’un second passage quotidien de l’Idel…). « Il faut articuler les besoins médicaux du patient et ce qui est mentalement acceptable pour lui ou pour son entourage. Ils ont parfois l’impression que leur lieu de vie se transforme en hall de gare. Ou qu’ils sont envahis par trop de matériel… »
Les limites du maintien à domicile sont aussi parfois posées par les soignants. Ainsi ce cas « où les intervenants entourent une dame de 95 ans, alitée en permanence. Comme elle est sereine, ils acceptent l’idée de la trouver peut-être morte un jour. Dans un second cas identique, cette perspective devenait un frein à l’aide médicale d’une équipe. Chaque soignant a sa propre représentation de ce qui admissible, tolérable ou pas. Il convient d’éviter les mises en danger, en tenant également compte de l’angoisse du patient et de celle de l’aidant. De toute façon, il faut rester humble au domicile : on fait ce que l’on peut, ce que la personne laisse faire, notamment en cas de troubles du comportement ».
« Des Idels portent quasiment seules des situations très lourdes. Elles ressentent parfois le besoin d’un regard neuf, face à des patients qu’elles suivent depuis des années… Elles contactent souvent notre médecin gériatre, compétent notamment en matière de plaies et d’escarres, quand la dépendance augmente ou face à des évolutions difficiles à maîtriser. Par ailleurs, une toilette sur une personne âgée multipathologique est de leur ressort. Parce que, ce faisant, l’Idel peut aussi juger de l’état clinique, mieux que ne le ferait une auxiliaire de vie. Mais peut-être faudrait-il leur payer davantage le coût d’une telle prestation ? Concrètement, on a de plus en plus de mal à trouver des médecins traitants qui se déplacent à domicile. Certains patients très âgés n’en ont même plus, et finissent aux urgences ! Je constate aussi un manque d’Idels sur des quartiers où certaines refusent de se déplacer après 17 heures. »
Véronique Profit a 52 ans, dont trente de carrière en gériatrie (à l’hôpital en court séjour, soins de suite…), « parce que c’est la seule spécialité où l’on s’occupe du patient dans sa globalité, de ses multiples pathologies, de ses conditions de vie ». Les principales qualités pour son poste actuel sont « l’envie d’évoluer, de se former régulièrement, d’être ouvert aux gens et aux changements de pratiques car, contrairement aux clichés répandus, la gériatrie ça bouge, et c’est intéressant ». « Les infirmières sont indispensables à l’équipe mobile de gériatrie, où nous formons réellement des binômes, commente le Dr Castel-Kremer, médecin gériatre dans le même hôpital. Au Canada, il y a des infirmières cliniciennes d’évaluation, dont la formation est beaucoup plus développée qu’en France. Je pense que ce nouveau rôle reste à formaliser chez nous. »