L'infirmière Libérale Magazine n° 323 du 01/03/2016

 

Le débat

Laure Martin  

Non au gluten, au lactose, à la viande rouge, à la charcuterie, pollution de la faune et de la flore… Que reste-t-il donc à manger ? Comment choisir son alimentation pour rester en bonne santé tout en préservant la planète ?

Pr Philippe Legrand

directeur du laboratoire de biochimie et nutrition humaine à l’Agrocampus, Institut national de la recherche agronomique et agroalimentaire de Rennes(1)

Peut-on manger sainement avec les aliments produits de façon industrielle ?

Du point de vue sanitaire, oui. D’ailleurs, les accidents sanitaires arrivent davantage avec les produits artisanaux et bio(2). Par ailleurs, l’Anses démontre qu’il n’y a pas d’intérêt nutritionnel à manger bio(3). Cependant, pour les arômes et la qualité gustative, le bio a un avantage en raison du circuit court et de la cueillette des fruits et légumes à la juste maturité. Enfin, du côté toxicologique, le bio a mis moins de produits phytosanitaires, mais l’industrie agroalimentaire a tellement diminué leur quantité que, finalement, il n’y a plus autant d’écart. Le bio est revendiqué pour des raisons écologiques d’obligations de moyens et non de résultats. Cela touche avant tout l’environnement et la santé des agriculteurs ; il n’existe pas, actuellement, d’argument nutritionnel.

La consommation de viande rouge est pointée du doigt, accusée d’être source d’épuisement de la planète mais aussi de cancer chez les hommes. Faut-il arrêter sa consommation ?

Surtout pas, pour une raison très simple : l’alerte est liée à une quantité excessive de viande consommée. Tout peut s’avérer toxique mais seule “la dose fait le poison”. De plus, une corrélation n’est pas une démonstration de cause à effet. Et en éliminant la viande, on prend un plus grand risque de déficit en B12 et en fer…

Avec tous les scandales liés à la malbouffe, quelle place y a-t-il pour la notion de plaisir alimentaire dans le choix de nos aliments ?

Les produits industriels, même s’ils ne sont ni toxiques ni mauvais, sont généralement aseptisés et formatés, ce qui peut fusiller leur goût. À l’inverse, les produits frais apportent généralement plus de saveurs et d’arômes. Le surpoids et l’obésité sont liés aux excès des deux, même si l’industrie alimentaire est un parfait bouc émissaire. Or les produits industriels ne changent rien au poids, ni au goût, et n’empoisonnent personne. C’est la quantité qu’il nous faut ajuster à nos dépenses. Cette névrose sociétale, comme le déficit de saveur de certains aliments industriels et le prix qu’on ne veut pas mettre dansnotre assiette, gâchent le plaisir alimentaire.

Christophe Brusset

ancien ingénieur dans l’industrie agroalimentaire(4)

Peut-on manger sainement avec les aliments produits de façon industrielle ?

Le but de l’industrie agroalimentaire est de baisser les prix au maximum pour augmenter sa marge. Pour cela, elle dégrade la qualité des ingrédients (fructose, huiles saturées) et des recettes (ajout d’eau, de sel), et a recours aux additifs dits “alimentaires” (colorants, conservateurs, édulcorants) qui sont des éléments malsains. Il n’y a aucune préoccupation des industriels autour de la notion de santé. Dans l’agriculture bio, une cinquantaine d’additifs sont autorisés. Dans l’industrie agroalimentaire, il y en a plus de trois cents, auxquels s’ajoutent trois cents additifs technologiques censés disparaître à la fin de la production. Ajouter des molécules artificielles à la nourriture, je ne trouve pas cela sain.

La consommation de viande rouge est pointée du doigt, accusée d’être source d’épuisement de la planète mais aussi de cancer chez les hommes. Faut-il arrêter sa consommation ?

Il est évident que produire de la viande rouge coûte plus cher que produire du poulet, et c’est aussi moins écologique. Produire 1 kilo de bœuf nécessite environ 8 kilos de nourriture, alors qu’il suffit de 1,8 kilo pour le poulet. De même, il faut moins d’eau et moins de surface car on produit un poulet en quarante jours, contrairement au bœuf qui prend environ huit mois. C’est aussi pour cela que le poulet coûte moins cher. Il vaut mieux réduire sa consommation de viande rouge et privilégier les viandes blanches, d’autant que c’est plus économique.

Avec tous les scandales liés à la malbouffe, quelle place y a-t-il pour la notion de plaisir alimentaire dans le choix de nos aliments ?

J’estime qu’on se fait davantage plaisir en mangeant une tomate mûre et bio cueillie en plein champ qu’avec un ketchup industriel. On peut et on doit se faire plaisir avec des produits de qualité. Certes, le bio coûte plus cher. Mais, pour manger sain et se faire plaisir, cela mérite de payer un peu plus. Il vaut mieux faire l’économie de produits malsains comme les sodas, pour s’offrir des produits de meilleure qualité. Des choix sont à faire. D’autant plus qu’on paie souvent trop cher des produits qui ne le valent pas.

(1) Également auteur de Le coup de pied dans le plat. Pour ne plus avaler tout ce qu’on nous raconte sur la nutrition !, aux éditions Marabout (septembre 2015).

(2) Référence à la polémique à Marseille en 2014, après la découverte notamment de chenilles dans des brocolis bios destinés à des écoliers. Un dommage « davantage psychologique que sanitaire, et encore », ont relativisé certains (lien raccourci : bit.ly/1cVDXNR).

(3) Dans un rapport de 2003 de l’Afssa, devenue depuis Anses, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (lien : bit.ly/218ykaG).

(4) Également auteur de Vous êtes fous d’avaler ça ! Un industriel de l’agro-alimentaire dénonce, aux éditions Flammarion (septembre 2015), il est toujours employé dans l’agroalimentaire et les achats (branche nutrition animale).