L'infirmière Libérale Magazine n° 324 du 01/04/2016

 

HÉRAULT

Initiatives

Laure Martin  

Aude Grangeon n’aime pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Même si elle aime son métier d’infirmière libérale, elle le reconnaît franchement, il ne représente pas toute sa vie. Son temps, elle en consacre une grande partie à sa famille, mais aussi à sa passion, la couture.

Les tissus s’amoncèlent par dizaines sur le plan de travail de l’atelier de couture d’Aude. Le liberty (motifs à fleurs) et la fausse fourrure côtoient les larges ciseaux aiguisés et s’apprêtent à être transformés, sous les doigts méticuleux de la créatrice, en un tour de cou bien douillet pour l’hiver. D’où lui vient cette passion pour la couture ? « Quand j’étais enfant, j’ai toujours vu ma maman coudre, se souvient-elle. Elle me faisait des habits et je me rappelle avoir bricolé avec elle pour faire des vêtements à mes poupées. » Et d’ajouter en riant à l’évocation de cette période : « À l’adolescence, j’ai également brodé des marques connues sur les t-shirts de mon frère et de ma sœur, ils étaient trop contents ! » Lorsqu’elle a 26?ans, à la naissance de sa première fille, Aude souhaite s’investir plus sérieusement dans la couture. « J’ai eu l’envie de faire des vêtements à Margo. » Alors, pour Noël, elle demande une machine à coudre et apprend en regardant des livres et des tutoriels sur Internet. « J’ai également pris des cours pendant six mois chez une couturière tous les samedis matins. » Avec cinq autres personnes, elles se retrouvaient, chacune avec un projet, un patron, du tissu et leur machine à coudre, « et lorsque nous étions confrontées à des difficultés, la couturière nous apportait des trucs et astuces ». Et de préciser : « Savoir coudre n’arrive pas d’un coup. Il faut être patient, ne pas avoir peur de se tromper ni de recommencer. »

Premières ventes

Sets de tables, protège-cahiers, pochoirs, attaches-tétines, couvertures et gilets en fausse fourrure pour enfants font partie de ses premières créations. « En voyant ce que je faisais, ma sœur m’a encouragée à participer à un marché de Noël à Montpeyroux en 2009 », se rappelle-t-elle. Aude se laisse convaincre, devient auto-entrepreneure et crée sa marque, Oduspokus, ayant pour origine le surnom que lui donnait ses amies lorsqu’elle était étudiante. Sur le marché de Noël, ses produits se vendent comme des petits pains. « Cela m’a donné confiance en moi, confie-t-elle. Et j’ai aimé jouer à la marchande. » Elle ouvre une page Facebook pour montrer ses modèles et, progressivement, les commandes affluent. Depuis, Aude élabore, crée, produit et organise la vente de ses produits. Sa nouvelle création fétiche : le tour de cou. « J’en ai eu l’idée lorsqu’à l’école de ma fille, les écharpes ont été interdites. Cela fait deux ans que j’en conçois, j’en fais environ deux cents par saison. » Aude a fait le choix de ne créer que des produits pour les enfants et des vêtements simples car, « entre le prix des matériaux et le temps que je consacre à la création, il faudrait que je facture une robe pour enfant 60 euros, ce qui ne m’intéresse pas. Je préfère faire des produits moins compliqués, comme des sarouels, afin de ne pas avoir à les facturer trop cher ». Et d’ajouter : « J’ai du mal à anticiper la production mais comme je vends beaucoup en période de fin d’année, généralement entre novembre et décembre, je consacre une grande partie de mon temps à produire pour être prête pour les marchés de Noël. » Alors qu’auparavant, elle travaillait chez elle, avoir son propre atelier lui permet maintenant de se concentrer uniquement sur cette activité.

Il y a trois ans, alors que ses créations commencent à avoir du succès, Aude est séduite par l’idée de pouvoir les présenter dans une boutique qui ouvre ses portes à Gignac, un village voisin. Mais la boutique ferme et laisse place à un dépôt-vente. « La propriétaire du dépôt-vente avait un espace créateur, raconte Aude. Je suis allée la voir pour lui dire que je créais des gilets et des accessoires pour enfants et, lorsqu’elle a vu mes produits, elle a accepté que je les laisse dans son dépôt, ce qui m’a permis d’avoir une vitrine. » La propriétaire décide ensuite de s’agrandir en rachetant le local voisin et, en septembre 2014, « nous avons ouvert une boutique dans ce local qui communique avec le dépôt-vente, afin de vendre les modèles d’une créatrice de vêtements pour femmes et mes créations. Nous nous sommes réparti les horaires d’ouverture entre nous trois afin de tenir la boutique et le dépôt-vente à tour de rôle ». Mais l’aventure est interrompue après sept mois seulement car, « en décembre 2014, ma collaboratrice au cabinet infirmier m’a informée vouloir arrêter notre collaboration. Ma priorité a été de me reconstruire une patientèle. J’ai donc décidé, à contrecœur, de donner mon préavis à la boutique ».

Reconversion professionnelle

À l’origine, Aude se destinait à devenir comptable mais, après un stage réalisé dans le cadre de son BTS comptabilité gestion, « j’ai pris conscience que ce n’était pas ce que je voulais faire. Je ne voulais pas rester dans un bureau, mais voir des gens ». Après son BTS, elle réfléchit à reprendre ses études. « Être infirmière n’est pas une vocation, dit-elle. J’ai cherché des études qui n’étaient pas trop longues, en alternance, m’offrant un métier dans le relationnel, avec des perspectives d’embauche et qui me permette de changer régulièrement de lieu d’exercice pour être sûre de ne pas m’ennuyer, tout en me laissant du temps pour mes futurs enfants. » L’idée de devenir infirmière lui apparaît alors comme une évidence. Pour mettre toutes les chances de son côté, elle s’inscrit dans une prépa de six mois à Nîmes et réussit le concours de trois Ifsi. Elle intègre celui de Montpellier et est très vite confortée dans sa réorientation. À la fin de ses études en 2005, elle tombe enceinte de sa première fille, Margo. « Après avoir suivi une formation de quinze jours en réanimation, j’ai travaillé en intérim dans ce domaine pendant les six premiers mois de ma grossesse. » À l’issue de son congé maternité, elle intègre la clinique Val d’Aurelle, spécialisée dans la prise en charge du cancer, pour travailler successivement en chimiothérapie et au bloc opératoire. Enceinte de sa deuxième fille, Apoline, elle décide qu’après son accouchement, ce sera le moment de se lancer en libéral. « Je voulais un petit remplacement pour faire cinq jours par mois en libéral et compléter par de l’intérim en bloc opératoire. » Elle trouve un cabinet libéral qui travaille sur deux communes. « Mais, après un an, l’infirmière avec laquelle je collaborais m’a demandé de faire plus d’heures. » Aude arrête l’intérim pour travailler douze jours par mois au cabinet de 2012 à 2014, ce qui lui laisse suffisamment de temps pour coudre en parallèle. Mais le travail avec cette infirmière ne correspond pas vraiment à sa vision du métier. Aude ressent un réel manque de confiance et d’échanges. « Nous n’avions aucun travail d’équipe, on ne se voyait jamais, je lui faisais les transmissions sur son répondeur et elle gérait surtout les plannings, sans que j’aie mon mot à dire. » Finalement, elles se séparent en décembre 2014. « On a décidé d’un commun accord que je prenais la patientèle de Montpeyroux, où je vis, et elle, celle de l’autre commune. » Depuis, Aude a remonté un cabinet dans lequel elles sont trois à travailler, environ dix jours par mois chacune, avec une dizaine de patients. « Nous pourrions éventuellement avoir deux patients supplémentaires, mais pas plus, car j’aime vraiment pouvoir prendre le temps avec eux, ce qui n’était pas le cas dans l’ancien cabinet. » Aude travaille également une fois par semaine au bloc d’un chirurgien esthétique, afin de garder une certaine technicité, explique-t-elle, car elle fait beaucoup de soins de nursing pendant sa tournée.

Se concentrer sur ses envies

Malgré la déception liée à la fermeture de la boutique, Aude continue à produire des accessoires pour enfants et à faire les marchés de Noël. Ses créations sont toujours dans le dépôt-vente au-dessus duquel est installé son atelier depuis septembre. « Depuis ce dernier Noël, je n’y suis pas encore retournée. J’ai besoin de faire une pause car j’ai beaucoup produit avant les fêtes. Je ne mets plus mes créations sur Facebook car, dès que je reçois des commandes, je me sens obligée de les faire immédiatement. Cela me met une pression alors que ce n’est pas ce que je recherche. » Et de poursuivre : « Mon conjoint m’encourage à développer cette activité, mais cela me stresserait trop. La vente de mes créations est très valorisante pour moi, mais je ne veux pas tout plaquer pour ça. J’ai trouvé un équilibre qui me convient pour le moment. Alors que, si je produisais davantage, il faudrait que je délègue et je n’en ai pas l’envie. La petite échelle me plaît. Je gagne de l’argent ponctuellement et je réinvestis dans le tissu et les machines. »

Aude aimerait transmettre certaines techniques aux passionnées. Elle a d’ailleurs déjà organisé des ateliers parents-enfants, « mais c’est relativement contraignant ». Sa fille aînée est aujourd’hui motivée pour apprendre la couture. « Nous faisons des coussins, des doudous, et je vais bientôt lui faire utiliser la machine. » Elle va également enseigner à sa sœur. Et puis simplement prendre le temps de créer pour elle, jusqu’au prochain marché de Noël…