Claude Huertas, podologue, président de l’ADP Midi-Pyrénées
La vie des autres
À Toulouse, Claude Huertas œuvre depuis plus de quarante ans pour la reconnaissance de la podologie et une action pluridisciplinaire, notamment grâce à l’Association pour le développement de la podologie (ADP) via des cursus ouverts aux Idels.
Je voulais devenir chirurgien », se souvient Claude Huertas, revenant sur sa longue carrière dans le milieu de la santé. Mais son père, médecin et responsable du centre de la CPAM de Dijon, le dissuade de suivre cette filière particulièrement sélective ; il pointe plutôt les besoins en podologie, de surcroît une discipline indépendante de la prescription médicale. « Cela convenait mieux à mon tempérament », reconnaît Claude Huertas. Après les deux années de formation alors en vigueur à la pédicurie, il obtient son diplôme et se spécialise ensuite en podologie et appareillage, qui l’attiraient davantage. Depuis, il n’a de cesse de faire valoir sa discipline, car bien que le pédicure-podologue soit « le seul praticien qui ait une vue généraliste et complète du pied, malheureusement les autres acteurs de santé méconnaissent l’étendue de son champ de compétences et de son arsenal thérapeutique ». D’ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé estime que 80 % des amputations du pied pourraient être évitées chez les diabétiques. Classiquement, « les patients, qui souvent assimilent la discipline à un geste esthétique, consultent pour un soin de pédicurie et les médecins les envoient pour des orthèses plantaires », commente-t-il.
En 1970, diplômé de l’Institut national de podologie parisien, il prend la direction de la Nouvelle-Calédonie – « les pieds-noirs n’étaient pas spécialement les bienvenus ici [en métropole] », glisse celui qui, en 1962, a quitté en famille l’Algérie, à la suite de la guerre pour l’indépendance. Pendant trois ans, à l’hôpitalde Nouméa, qui manque de financements, il n’hésite pas à exercer bénévolement pour faire vivre son idée de consultation pluridisciplinaire, « une démarche qui éclaire le raisonnement médical. Deux après-midi par semaine, je recevais les patients avec un rhumatologue et un chirurgien orthopédiste. Par ailleurs, je travaillais dans l’import-export. »
En 1973, il revient définitivement en métropole. Il postule à l’Institut de formation de pédicurie- podologie (IFPP) qui vient d’ouvrir à Toulouse (Haute-Garonne) et, cinq ans plus tard, lorsque l’IFPP intègre le centre hospitalier universitaire (CHU), il en devient le directeur. « J’ai créé la consultation externe de l’institut qui, en vingt ans, est devenue la plus importante du CHU, avec 6 000 à 8 000 patients par an. »
Malgré tout, la profession reste transparente au regard des médecins du CHU : « Les patients consultaient majoritairement grâce au bouche-à-oreille, profitant du moindre coût de l’IFPP?la majorité des soins sur les affections podologiques souffrent du non-remboursement. Quelques-uns étaient adressés par leur médecin traitant, mais d’autres exceptionnellement par le CHU. » Alors, en 1988, il crée l’Association pour le développement de la podologie (ADP)
Claude Huertas est opiniâtre. Avant de quitter sa fonction au CHU, il a étayé un dossier de transfert de compétences dans la prise en charge de la chirurgie de l’ongle incarné – 20 % des pathologies unguéales –, « une intervention que le généraliste réalisait autrefois et qui, aujourd’hui, engorge les urgences, en raison du désengagement de l’Assurance maladie ». Récemment validé par l’Agence régionale de santé, ce projet n’attend plus que les dernières retouches de la Haute Autorité de santé pour entrer en vigueur. En arrière-plan, se profile une vision à long terme : une formation en pratiques avancées, à l’instar des États-Unis qui comptent des “podiatres” (DPM, Doctor in podiatric medecine).
« Les pieds sont d’ordinaire “invisibles”. Or les Idels interviennent pour des soins d’hygiène ou l’enfilage de bas de contention. Elles ont donc une place privilégiée de prévention et de repérage, par exemple d’une onychogryphose qui peut dégénérer en gangrène, et de conseil, sur le type de bas à utiliser ou sur l’intérêt de consulter un podologue. En septembre dernier, je suis intervenu auprès de l’URPS-infirmiers Midi-Pyrénées à propos du syndrome main-pied, dû aux effets secondaires des thérapies ciblées du cancer, administrées en ambulatoire. Ce syndrome peut conduire à un arrêt du traitement. De fait, les Idels sont concernées, et plus elles connaîtront la problématique, mieux elles pourront assurer leur prise en charge et inciter les patients à nous consulter préventivement. D’ailleurs, depuis l’intervention à l’URPS, plusieurs associations d’Idels m’ont sollicité. »
80 % des prises en charge en podologie concernent des troubles mécaniques : ce sont des pathologies de l’usure (cors, durillons…), dues aux micro-traumatismes et au vieillissement du tissu conjonctif. La patientèle est donc majoritairement âgée de plus de quarante ans, avec une moyenne de soixante-cinq ans. Les prises en charge restantes concernent l’appareil locomoteur : rhumatismes et troubles inflammatoires dus à la polyarthrite rhumatoïde, ou provoqués par le diabète ou les thérapies ciblées du cancer, des troubles aggravés par l’effort mécanique de la marche, contrairement aux mains. Un manque de prise en charge podologique affecte la mobilité de la personne et, associé à des troubles statiques, augmente le risque de chute. Les interventions sont de deux natures : soit le bistouri et la turbine, à l’image du dentiste, pour tout ce qui touche la kératine, soit l’appareillage pour les articulations ou les ongles (orthèse plantaire, orthoplastie et orthonyxie).