L'infirmière Libérale Magazine n° 325 du 01/05/2016

 

Cahier de formation

Savoir faire

Mme V., 79 ans, reste alerte malgré son arthrose et un embonpoint qui pèse sur ses articulations douloureuses et l’incite à réduire ses sorties car elle a peur de chuter. Depuis peu, elle a tendance à s’enfermer dans un immobilisme qui s’avère d’autant plus préoccupant qu’elle n’a jamais eu un tempérament à baisser les bras.

Étonnée de ce comportement inhabituel et soudain, vous lui expliquez que l’immobilité, surtout à son âge, peut engendrer une sarcopénie et mettre en danger son autonomie. Sa réaction (« pas question de devenir grabataire ! ») vous donne l’opportunité de lui faire découvrir sur le site de la semaine nationale de la santé à domicile des seniors(1) les exercices commentés par l’ancienne co-animatrice de l’émission Gym Tonic qui pourront l’aider à se “dérouiller” et reprendre confiance.

ACCOMPAGNER VERS L’AUTONOMIE

Au-delà des bénéfices communs à toute la population, « la pratique d’une AP chez le sujet âgé permet plus spécifiquement d’entretenir la force et la souplesse nécessaires à l’autonomie physique, de faire reculer l’échéance de l’atteinte du seuil d’incapacité, de conserver sa composition corporelle et de préserver son habileté motrice et son équilibre », explique Alain Beylier, professeur d’EPS et directeur du centre d’études À corps et accord(2). Des travaux mesurant la force des quadriceps (muscle de la cuisse) (ME Cress, Journal of Gerontology, 1999) montrent qu’il existe une relation directe entre la puissance développée par ces muscles et la mortalité des personnes âgées en maison de retraite et en Ehpad. Cela signifie que plus on les aide à se maintenir en forme, plus longtemps ils pourront vivre de bonne humeur et en bonne santé car ils seront capables de mieux se défendre contre la grippe, la cellule cancéreuse ou l’athérosclérose, entre autres. L’AP est également utile pour lutter contre l’impact psychologique du vieillissement et le risque de repli et de dépression réactionnelle en maintenant le lien social et en apportant des satisfactions (“se sentir capable de”) qui entretiennent la confiance en soi, l’amour propre et le plaisir. Autant de bienfaits qui favorisent le maintien de l’autonomie pour les sujets âgés en forme et sont capables de ralentir la perte d’autonomie pour ceux qui le sont moins et nécessitent une approche de l’AP personnalisée (voir le tableau ci-dessous).

METTRE LE PIED À L’ÉTRIER… EN PRATIQUE

À domicile, ces sujets à risque ou déjà en perte d’autonomie constituent une patientèle importante des Idels pour laquelle l’objectif consiste à maintenir et augmenter les capacités ambulatoires (à se déplacer) résiduelles. En effet, ces patients ont des capacités ambulatoires assez limitées. Toutefois, il leur reste toujours quelques capacités résiduelles qu’il faut maintenir ou augmenter par l’AP pour limiter au maximum le risque de dépendance. Pour ce faire, après avoir pris les précautions élémentaires (avoir un minimum de formation(3), s’assurer qu’il n’y a pas de contre-indication médicale), l’Idel peut définir avec le patient un programme d’exercices adaptés qui consistera par exemple à :

→ entraîner le patient à se transférer lui-même du lit au fauteuil et inversement ;

→ réaliser des exercices d’amplitude passifs, actifs assistés ou actifs autonomes pour entretenir la fonction articulaire, maintenir et améliorer la force musculaire et l’endurance et prévenir les contractures en période d’immobilité ou de repos(4) ;

→ aider le patient à visualiser l’enchaînement des actions pour se lever de sa chaise ou de son fauteuil facilement : s’avancer sur le devant la chaise ; placer les pieds à plat sur le sol de façon décalée ; avancer les épaules au-dessus des genoux en restant droit ; sentir le poids du corps se reporter sur les pieds et repousser le sol(5) ;

→ faire accomplir des flexions/extensions des genoux et des bras assis au fauteuil ou sur une chaise et progressivement rajouter des poids ou utiliser des élastiques de fitness souples pour faire travailler le patient contre résistance (ce qui combine exercices d’amplitude et de musculation pour améliorer les fonctions cardiaques et respiratoires) ;

→ contracter les quadriceps alternativement puis ensemble, au lit ou assis sur une chaise ;

→ faire marcher le patient jusqu’à un point donné en proposant si besoin des aides à la marche ou en organisant un parcours sécurisé, jalonné de points d’appui ;

→ travailler la coordination, l’équilibre, le renforcement musculaire : faire avancer et reculer un objet posé à terre alternativement avec chaque pied ; se tenir sur une jambe puis sur l’autre en fermant l’œil ou en levant le bras opposé ; faire des pompes contre un mur…

INSTALLER LA CONFIANCE

L’Idel doit veiller à donner des consignes claires afin que le patient puisse mobiliser au maximum ses capacités physiques avec un minimum d’aide. « Le soignant, explique Alain Beylier, amène le patient à trouver la réponse motrice capable de mettre son corps en mouvement en toute sécurité de manière à ce qu’il puisse progressivement reprendre confiance en lui, réaliser spontanément l’action et se mettre en situation de réussite pour l’inciter à recommencer. » Car, en plus de l’exercice lui-même, c’est sa répétition qui compte. Ensuite, il est possible d’augmenter la vitesse d’exécution, de varier et de compliquer les exercices et de stimuler les fonctions à la fois physiques et cognitives en ajoutant d’autres tâches à l’exercice initial (lever alternativement un genou puis l’autre en comptant de 2 en 2 les nombres pairs ou impairs et/ou en levant le bras opposé). Le fait d’associer à l’exercice physique de plus en plus rapide un exercice nécessitant de la concentration ajoute de la complexité et permet de faire travailler le corps tout en stimulant les fonctions cognitives. Au fil des jours, le patient pourra enchaîner ou combiner plusieurs exercices associant motricité et mémoire et, progressivement, augmenter la vitesse d’exécution, la durée et la fréquence de l’exercice jusqu’à retrouver une aisance qui améliore sa capacité à se déplacer et son autonomie.

DONNER DU SENS POUR ENTRETENIR LA MOTIVATION

Pour que la personne âgée réalise volontairement ces exercices, elle doit y voir du sens mais aussi trouver, dans le plaisir et la satisfaction d’y arriver, la motivation pour inscrire ce changement dans la durée. « Si des sujets âgés parviennent à pratiquer l’escrime en déambulateur ou le badminton en fauteuil roulant dans certains établissements très impliqués dans la promotion de l’AP, conclut le Pr Rivière, il faut en déduire qu’il y a forcément une AP adaptée à chaque patient âgé à domicile et que les Idels ont un vrai challenge à relever dans ce domaine pour combattre les effets particulièrement délétères de la sédentarité à cette période de la vie. »

(1) Semaine initiée par la Fédération des prestataires de santé à domicile. Vidéos via le lien raccourci bit.ly/1NpvMNh

(2) Ce centre transmet ses approches par des conférences, stages, publications et formations (http://acorpsetaccord.jimdo.com/).

(3) Arrêté en 2014, le DU “Activité physique adaptée seniors et personnes âgées” proposé par l’unité de formation et de recherche en sciences et techniques des activités physiques et sportives de Lyon devrait revoir le jour en septembre 2017 sous forme d’une licence professionnelle. En attendant, les Idels qui souhaitent se former peuvent accéder aux formations proposées par le centre “À corps et accord” ou par le Cned (www.cned.fr) qui a mis en place dans le cadre de la formation “Prendre soin des personnes âgées dépendantes” un module spécifique “Maintenir l’autonomie” réalisé en partenariat avec Alain Beylier.

(4) Philippe Voyer (dir.), Soins infirmiers aux ainés en perte d’autonomie, Collection Compétences infirmières, Édition Erpi, 2013.

(5) Guide “Prévenir la sarcopénie par l’activité physique adaptée”, Alain Beylier, juillet 2015.