L'infirmière Libérale Magazine n° 325 du 01/05/2016

 

Le débat

Françoise Vlaemÿnck  

Le lancement fin 2015 du site Deuxiemeavis.fr, qui dit compter 74 médecins pouvant donner un second avis sur 236 pathologies, a fait polémique chez les professionnels de santé et les usagers. En partie à cause du coût : 295 euros l’avis.

Pauline d’Orgeval

cofondatrice(1) et porte-parole de Deuxièmeavis.fr

Quelles alternatives s’offrent aux patients souhaitant un second avis médical ?

Aujourd’hui, un second avis, c’est une consultation en face-à-face. Mais pour des maladies graves, complexes ou invalidantes, il n’est pas toujours aisé d’obtenir un rendez-vous avec un spécialiste dans un délai compatible avec la prise de décision. Si votre médecin possède un bon réseau, vous avez de la chance ; sinon, cela peut devenir un parcours du combattant. Notre service facilite la mise en relation des patients avec des praticiens de haut niveau d’expertise. Notre idée est d’apporter une solution à ceux qui n’en n’ont pas et/ou pour lesquels un déplacement est compliqué.

Les consultations en ligne offrent-elles toutes les garanties éthiques et déontologiques ?

Les règles éthiques et déontologiques sont associées à la profession, pas à la façon de l’exercer. Notre conseil scientifique a élaboré une charte déontologique, soumise au Conseil national de l’Ordre des médecins et signée par les médecins en même temps que la convention que nous passons avec eux. On nous a beaucoup reproché le fait que les médecins donnent un avis sans voir le patient, mais c’est une pratique courante, notamment en cancérologie lors des réunions de concertation pluridisciplinaire de recours. Nous avons prêté une attention particulière au questionnaire rempli en ligne par le patient afin de prendre celui-ci en compte dans sa globalité : cela ’“humanise” l’avis à distance et le personnalise le plus possible.

Par son coût, ce type de service ne risque-t-il pas « d’ubériser »(2) la médecine ?

Nous sommes étonnées d’être régulièrement taxées de promouvoir “l’ubérisation” de la santé : Uber est un service concurrent des taxis et ne respecte pas la réglementation, Deuxiemeavis.fr n’est pas concurrent des médecins et respecte la réglementation.?Notre service s’inscrit dans le parcours de soin. Nous serons très vigilantes pour que le coût ne soit jamais un frein.

Dans cet esprit, nous avons engagé des pourparlers avec des complémentaires santé et organismes de prévoyance : beaucoup sont intéressés et envisagent une prise en charge totale du service. Nous avons déjà conclu un accord avec une branche professionnelle. À terme, nous devrions couvrir plusieurs millions d’adhérents. Enfin, sur les 295 euros, en moyenne, 120 euros sont destinés au médecins et 175 à la société, dont une part pour la sécurisation des données.

Jacques Lucas

cardiologue, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins

Quelles alternatives s’offrent aux patients souhaitant un second avis médical ?

Lorsqu’un patient souhaite un deuxième avis après l’annonce d’un diagnostic et d’une thérapeutique, que la maladie soit grave ou que le patient vive l’annonce de manière grave, ceci est un droit et cette consultation est prise en charge par l’Assurance maladie. Cette demande, courante, que le médecin traitant peut faciliter, n’est pas nécessairement la mise en doute du premier diagnostic, mais une démarche sur le mode du “deux avis valent mieux qu’un”.

Les consultations en ligne offrent-elles toutes les garanties éthiques et déontologiques ?

Soit il s’agit de téléexpertise au sens de la réglementation(3), et le médecin consulté en premier organise une consultation à distance avec un médecin expert, en présence du patient. Soit, comme avec Deuxiemeavis.fr, il s’agit de téléconseil, hors du parcours du soins. C’est le patient qui transmet par voie numérique les éléments de son dossier médical. Il n’y a pas d’encadrement réglementaire, c’est une offre d’une société commerciale. Deuxiemeavis.fr entretient l’ambiguïté car les médecins qui y collaborent, quelles que soient leurs qualités professionnelles, ne sont pas des experts au sens du décret qui encadre la télémédecine.

Par son coût, ce type de service ne risque-t-il pas “d’ubériser” la médecine ?

S’agissant de maladies rares, les ressources expertales peuvent être limitées, mais le site que vous évoquez propose un second avis sur des situations pathologiques communes sur lesquelles un deuxième avis peut tout à fait être donné dans la proximité ! Nous y voyons une vraie dérive marchande et commerciale.

Ces sociétés qui s’interposent, dans une logique de marché, ont une responsabilité, et par conséquent la qualité de l’offre doit être garantie au consommateur. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a une compétence pour la protection de l’usager dans le secteur marchand. En outre, un tel service de téléconseil personnalisé aux patients ne peut donner lieu à honoraires, d’après le Code de la santé publique [CSP]. Les médecins qui doivent avoir un contrat avec la société et qui perçoivent 120 euros sont donc en délicatesse avec le CSP. Pour l’instant, nous n’avons pas voulu actionner de contentieux, mais nous ne pourrons pas rester longtemps inertes, et le ministère non plus.

(1) Avec Catherine Franc et Prune Nercy, toutes trois diplômées de HEC.

(2) Du nom de l’entreprise Uber, qui met en relation directe, via les nouvelles technologies, client et professionnel et a été accusée dans plusieurs pays de ne pas respecter la loi.

(3) Cf. le décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 qui liste téléconsultation, téléexpertise, télésurveillance médicale, téléassistance médicale et régulation médicale.