DOSSIER MÉDICAL > Objets connectés, applications, multiplication de groupes de patients sur les réseaux sociaux… Les professionnels de santé sont confrontés à l’expansion du monde numérique. Le dossier médical partagé (DMP) sera-t-il l’outil qui améliorera la coopération entre professionnels ?
Relancé par la nouvelle loi de santé de janvier, le DMP est considéré comme la pierre angulaire de la coopération entre les professionnels de santé. Il appartient à l’Assurance maladie de le mettre en œuvre. « J’ai fait un tour de France auprès des médecins et des établissements de santé pour comprendre ce qui n’allait pas jusqu’à présent », a indiqué Yvon Merlière, directeur à la mission DMP à la Caisse nationale de l’Assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts), lors de la convention du Centre national des professions libérales de santé (CNPS), le 1er avril. Avec un décret d’application attendu pour juin, l’objectif est désormais de faciliter la création des DMP notamment par les patients.
« Nous travaillons aussi pour faire en sorte que l’ensemble des professionnels de santé, dont ceux en contact avec des personnes dépendantes ou âgées comme les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes, les biologistes ou encore les pharmaciens, puissent le créer pour elles », précise Yvon Merlière. Anne Dehêtre, présidente de la Fédération nationale des orthophonistes (FNO), pointe d’ailleurs du doigt les inégalités qu’entraîne le numérique, notamment vis-à-vis des personnes âgées « qui ne sont pas nées à cette ère ». Une ère qui demande aussi une grande compétence en lecture et en écriture. « Une situation problématique pour les 15 % de personnes illettrées en France », ajoute-t-elle.
De son côté, Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI), estime que cette évolution numérique va impacter les pratiques de soins. Selon lui, le circuit du médicament ou l’observance thérapeutique pourraient être améliorés avec des applications ou avec le pilulier électronique. « Le seul problème, c’est qu’il appartient au patient de le payer, explique-t-il. Dans un circuit de patients dépendants chroniques, on va donc cumuler du reste à charge ou générer des inégalités de santé entre ceux qui auront accès à ces outils et les autres. »
Autre problème soulevé : « Quasiment la moitié des DMP créés [environ 575 000] sont vides », note Yvon Merlière. Pour l’éviter, « nous allons y intégrer l’historique des remboursements, des médicaments, les actes effectués, les actes de biologie remboursés et l’ensemble des séjours hospitaliers du patient », indique le responsable, en reconnaissant néanmoins qu’aujourd’hui, le problème majeur « est que plus personne ne croit au DMP ». « Le pré-requis pour que sa mise en œuvre fonctionne est que son utilisation soit simple, qu’elle s’effectue dans un climat de confiance et qu’il soit utile, sinon le DMP ne verra pas le jour », rapporte le DrJean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF).
Aux patients d’autoriser leurs professionnels de santé à accéder aux données incluses dans le DMP. « La nouvelle loi de santé prévoit un partage de ces données avec beaucoup d’autres professionnels », souligne Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). De ce fait, on peut se demander où commence l’équipe de prise en charge. « Ce n’est pas parce que nous sommes dans une prise en charge globale que toutes les informations doivent être partagées, ajoute-t-il. L’attention doit être portée sur l’autorisation, il faut éclairer la personne sur ce qu’elle souhaite. »
D’autant plus que si, actuellement, les outils numériques sont essentiellement étatiques (DMP, messageries sécurisées), et qu’ils sont accessibles avec une carte de professionnel de santé qui permet l’identification et l’autorisation d’accès, ils sont contournés par d’autres bases (applications) qui collectent des données personnelles. « La personne n’a pas forcément conscience de ce à quoi elle consent, souligne le DrJacques Lucas, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins. Cela pose un problème éthique fondamental car un citoyen aliène lui-même volontairement sa liberté en acceptant on ne sait quoi. »