L'infirmière Libérale Magazine n° 325 du 01/05/2016

 

RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ

Actualité

Marie Fuks  

CONGRÈS > Le sourire dans les soins à domicile est un sujet qui, loin d’être léger, prend une dimension particulière car il peut ouvrir et illuminer la relation à l’autre. Mais attention, par son absence ou sa présence artificielle, il peut aussi blesser et nuire à la communication soignant-soigné.

Une balade anthropologique autour de la fonction du sourire dans les soins à domicile. C’est ce qu’a proposé David Le Breton, sociologue, en ouverture des Journées nationales des infirmiers libéraux, les 31 mars et 1er avril 2016, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine).

Une symbolique corporelle forte

Au cœur de la sociabilité, le sourire, lorsqu’il part du cœur, est une manifestation de bienveillance et d’ouverture. Il traduit le plus souvent un principe de considération mutuelle et constitue un rite confirmatif qui implique l’échange et semble dire « tu existes, j’existe, et c’est bien comme ça ». Il illumine, réconforte, rassure, émeut, embellit, invite au partage, rend complice et met en confiance. Comme une évidence, il est pour l’Idel une valeur intrinsèque aux soins car c’est un langage naturel qui participe du rôle propre infirmier. « Le sourire est un peu comme un passeport de la relation qui va s’instaurer avec le patient, explique Freddy Martin, Idel à Caissargues (Gard). Avant même de le rencontrer, il s’entend au téléphone. Ensuite, c’est la première chose que le patient voit et c’est aussi, au-delà de la qualité du soin, l’image que nous laissons derrière nous, celle d’un soignant aimable, disponible, empathique. » De fait, le sourire – au même titre que les mouvements innombrables du corps – constitue la matière d’un langage qui prolonge de ses indications précieuses celles déjà procurées par la voix. « Même si la parole se tait, les mouvements du visage et du corps demeurent et témoignent des significations inhérentes au face-à-face ou à la situation, indique David Le Breton. Aucune parcelle de la personne qui parle ou qui se tait n’échappe à l’affirmation de son affectivité par le sourire. »

Dès lors, il faut rester vrai, car « un sourire est un chemin de sens ouvert à l’interprétation, précise le sociologue. Équivoque, polysémique, il ne reflète pas systématiquement la joie et le bonheur, il peut aussi renvoyer à la tristesse, à l’indifférence, à une certaine forme de distanciation, voire à la manipulation. » Les soignants doivent en avoir conscience car, si un sourire triste peut susciter un supplément d’échange et de connivence entre le soignant et le patient, à l’inverse, un sourire de bienséance machinal, artificiel, sans intentionnalité, peut avoir des retentissements importants sur les patients et la relation de soin. « Le sourire qui n’est qu’une routine de comportement et qui cherche seulement à donner l’illusion devient blessant dans le contexte d’hypersensibilité propre à un patient malade ou en attente de soins, poursuit David Le Breton. Sourire en regardant sa montre ou en jetant un coup d’œil à son téléphone portable discrédite totalement le sens du sourire car le patient n’est pas dupe de cet artifice hypocrite. »

Désamorcer les conflits

Le sourire traduit le plus souvent l’harmonie d’un instant et assure le fonctionnement apaisé de la rencontre en la plaçant d’emblée sur un terrain propice. En certaines circonstances propres aux Idels, il peut aussi se révéler un formidable “adoucisseur de contact” en dissipant le trouble ou le malentendu et en affichant le signe de la bonne volonté ou de l’accommodement. Ainsi, face à un patient pris en défaut d’observance de son traitement ou de son régime par exemple et qui reconnaît son “inconséquence” en souriant pour désamorcer la réaction du soignant, l’Idel peut répondre par l’agacement, voire la colère, ou sourire à son tour et désamorcer une situation de conflit potentiel. « Ce sourire inattendu et désarmant, loin d’être le signe d’une faiblesse, traduit au contraire une force intérieure, une égalité d’âme devant l’adversité et la conscience aiguë de la relativité des choses, conclut David Le Breton. Dès lors, les difficultés se lèvent, les dernières réticences s’effacent et l’échange se rétablit sur un ton de connivence qui peut être très utile au soignant, parce qu’il touche l’autre en profondeur, l’atteint au plus sensible et semble lui signifier qu’il se trompe et qu’il est temps de remettre les choses à leur place. » Autant dire que les Idels peuvent en user et en abuser.

À LIRE

Si la littérature sur le sourire est rare, deux ouvrages font références :

→ Le Sourire, Patrick Drevet, Gallimard, 2006 ;

→ Le Livre du sourire, Sourire des dieux, Christian de Bartillat, Albin-Michel, 1998.

À lire aussi :

→ Les Passions ordinaires. Anthropologie des émotions, David Le Breton, Payot poche, 2004.