Déjà abreuvés de nouvelles, les Français peuvent avoir l’impression d’être saturés de messages de prévention sanitaire. Comment ces campagnes grand public sont-elles construites ? Est-il possible de mesurer leur efficacité ?
Si les Français suivaient à la lettre tous les conseils de prévention dont ils sont abreuvés chaque jour, ils seraient des athlètes à l’alimentation saine, qui ne fument pas et qui boivent à peine. Or, même si l’espérance de vie, en particulier en bonne santé, continue globalement de progresser
Même avec plusieurs dizaines d’années de recul, l’évaluation des ces campagnes reste compliquée. « En réalité, explique David Heard, chef du département des campagnes de prévention à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), il est très difficile de mesurer le rapport direct de cause à effet entre une campagne de prévention et des changements de comportement. »
Les premières campagnes en France - notamment en faveur d’une meilleure hygiène, d’une diminution de la consommation d’alcool ou contre les grandes maladies comme le choléra, la variole ou la syphilis - datent du XIXe siècle. Mais c’est après la Seconde Guerre mondiale et la création de la Sécurité sociale qu’elles se développent. Et plus encore dans les années 1970 avec la création du Comité français d’éducation pour la santé, devenu INPES en 2002. Cet établissement public administratif, aujourd’hui maître d’œuvre des campagnes de prévention pour le ministère, s’est lui-même fondu, le 1er mai, dans la nouvelle ANSP (lire en encadré en haut en droite).
Sur la forme, les campagnes ont beaucoup évolué. « On note un changement d’approche qui est difficile à dater précisément, remarque Frédéric Ketterer, sociologue à l’Université de Liège en Belgique, auteur d’une thèse sur les campagnes de prévention. Les messages sont moins simples qu’ils n’ont été et surtout moins paternalistes. C’est sans doute dû à l’intervention des agences de publicité qui ont contribué à changer le ton. » Une évolution confirmée par Juliette Berthod, directrice conseil de l’agence de publicité et de communication Australie, qui travaille pour l’INPES et a réalisé pour l’Assurance maladie la fameuse campagne “les antibiotiques, c’est pas automatique” lancée en 2002. « En France, un discours moralisateur ne passerait plus du tout, dit-elle. Et, contrairement aux pays anglo-saxons qui produisent encore pas mal de campagnes-choc, nous avons tendance à penser que la peur ne marche pas, même si le débat n’est toujours pas tranché à ce jour. Pour autant, l’époque n’est plus non plus à la légèreté de la publicité des années 1980. » On repense en effet aux slogans du type “un verre ça va, trois verres, bonjour les dégâts”, qui ont marqué les esprits mais dont l’effet sur la baisse de consommation d’alcool est resté très incertain. Aujourd’hui, les agences de communication reçoivent des “briefs” très cadrés par les autorités de santé. « Le message et sa cible sont toujours définis par nous après un travail de nos équipes qui, au regard des connaissances scientifiques disponibles, évaluent les connaissances du public et les comportements sur lesquels il est possible d’agir, explique David Heard. Nous sollicitons des agences pour leur capacité à traduire les messages de manière percutante, accessible et parlante. »
La prévention est une science difficile, et les études révèlent parfois de vraies surprises. Carolina Werle est professeure associée de marketing à l’École de management de Grenoble (Isère). « Mes recherches portent sur le marketing social, c’est-à-dire l’application des principes de marketing de base à la promotion d’idées sociales, explique-t-elle. Beaucoup de recherche montrent que plus une campagne de prévention sera proche d’une campagne traditionnelle de marketing, plus elle sera efficace. » D’où l’idée également d’utiliser les mêmes outils de mesure pour évaluer ces campagnes. La chercheuse s’est notamment intéressée à l’efficacité comparée des arguments des campagnes de prévention de l’obésité chez les adolescents. Une expérience
À l’issue de la présentation de ces messages, les collégiens ont été interrogés sur leur intention de modifier ou non leur comportement alimentaire et une petite récompense leur était offerte : au choix, une barre de céréales ou une barre chocolatée. Résultat : 65 % des enfants qui avaient vu l’affiche comportant un argument social avaient choisi la récompense la plus saine (la barre de céréales, donc), contre 55 % de ceux qui avaient vu l’argument santé, et 62 % de ceux qui n’avaient été soumis à aucun message. « L’argument social semble mieux fonctionner avec une orientation de promotion car c’est moins stigmatisant, explique Carolina Werle. Alors que l’argument santé fonctionne mieux quand il présente les risques. » Certains messages positifs se prêtent plus à certains sujets, de type “manger-bouger” (lire aussi l’encadré page de gauche), ou pour la santé sexuelle.
Parmi les campagnes souvent citées comme exemple de réussite, celle de l’Assurance maladie sur les antibiotiques. « Cette campagne avait intégré l’ensemble des facteurs de réussite, estime Geneviève Chapuis en charge des campagnes de prévention à la direction de la communication de la Caisse nationale d’Assurance maladie. En effet, elle s’était inscrite dans la durée car, sur des thématiques de santé publique, il faut pouvoir répéter les messages, d’autant que ce ne sont pas toujours des sujets simples. En outre, cette campagne a été en réalité un élément d’un tout car d’autres leviers ont été utilisés. Celui qui a été particulièrement efficace est le recours par les médecins au test de dépistage rapide qui permet de savoir si une infection est virale ou bactérienne. C’est un instrument de dialogue avec le patient très utile au généraliste pour lui éviter de prescrire des antibiotiques. Dans ce contexte, la campagne de communication permet de rendre la discussion encore plus facile. D’où l’importance aussi de construire les messages dans la concertation avec les professionnels de santé afin qu’ils soient homogènes et puissent être répétés. » « Quand l’Assurance maladie lance une campagne de prévention, c’est toujours avec des objectifs de santé publique précis et chiffrés en termes de morbi-mortalité notamment, explique le Dr François-Xavier Brouck, directeur des assurés à la Caisse nationale de l’Assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts). Ainsi, nous mesurons le nombre de boîtes, mais aussi les catégories d’antibiotiques prescrits et d’autres indicateurs comme l’évolution de la résistance bactérienne. » Entre 2002 et 2007, pendant la campagne “les antibiotiques, c’est pas automatique”, la consommation hivernale d’antibiotiques a diminué de 26,5 %
L’effet rebond bien connu après un arrêt de campagne semble aussi se lire au travers du dernier sondage de l’Institut français d’opinion publique pour le compte du Sidaction qui montre une inquiétante baisse du niveau de connaissances des jeunes sur le VIH. « Nous avons alerté les pouvoirs publics sur le fait que cela fait longtemps qu’il n’y a plus eu de campagne sur le préservatif et qu’il y a un recul sur l’éducation à la santé sexuelle des jeunes de manière générale », souligne Antoine Henry, responsable de la communication d’Aides. L’association a elle-même relancé une campagne l’année dernière sur le thème “pas de préservatif, pas de sexe”, avec pour particularité d’être déclinée auprès de quatre types de publics, dont les plus de 50 ans, catégorie d’âge longtemps oubliée de ces campagnes. « Dans le domaine du sida, depuis l’arrivée des nouvelles thérapies à la fin des années 1990 qui ont considérablement réduit la mortalité, on est dans une communication post-crise, estime Antoine Henry. Il ne faut surtout pas arrêter les campagnes de prévention sur le dépistage et la prévention, d’autant que les messages se sont complexifiés par rapport aux débuts de l’épidémie. »
Pour être plus efficaces, les campagnes doivent également trouver des déclinaisons régionales et locales. C’est ce que font notamment les Agences régionales de santé (ARS). « Les agences ne sont pas à l’initiative de campagnes, mais elles déclinent sur le terrain les campagnes nationales, explique Christophe Tonner, infirmier de santé publique au département prévention et promotion de la santé de l’ARS Paca. C’est ce que nous faisons par exemple pour la semaine de la vaccination en lien notamment avec les unions régionales de professionnels de santé et d’autres acteurs de terrain pour mettre en place des actions concrètes. »
Plus récemment, les industriels du médicament se sont aussi avancés sur le terrain de la prévention, ce qui est diversement apprécié du côté des patients ou des professionnels de santé. « Il faut faire une différence entre les campagnes de santé publique et les campagnes dites de “disease awareness” proposées par les laboratoires, ce qui n’est pas du tout la même chose », analyse Philippe Pariente, président de McCann Healthcare France, agence de communication spécialisée en santé et dont les clients sont surtout des laboratoires pharmaceutiques. En effet, les secondes ont pour objectif d’alerter l’opinion sur une pathologie (comme les dysfonctionnements érectiles ou la dégénérescence maculaire liée à l’âge par exemple) afin d’inciter les personnes concernées à consulter un médecin pour recevoir un traitement approprié, et non pas les inciter à changer un comportement
(1) Sauf en 2015 : selon l’Insee, l’espérance de vie à la naissance a diminué l’an dernier de 0,3 an pour les hommes et de 0,4 an pour les femmes. « Une première depuis 1969 », a souligné Le Monde à propos de ce recul « conjoncturel » (lien Internet raccourci : bit.ly/1OuW82M).
(2) Expérimentation menée par Werle Carolina O. C., Boesen-Mariani Sabine, et Gavard-Perret Marie-Laure (2010), “Prévention du risque d’obésité chez les adolescents : Identification de facteurs d’efficacité des messages”, Rapport final, Fondation Wyeth pour la santé de l’enfant et de l’adolescent.
(3) Résultats de 2009, issus d’une recherche de l’Institut Pasteur et de l’Inserm, en collaboration avec l’Assurance maladie. à lire sur le site de l’Inserm (raccourci : bit.ly/1MFJG3i).
(4) Le risque de telles campagnes, où par ailleurs aucun nom de médicament n’est mentionné, est de surmédicaliser une situation, comme nous le signalions dans notre dossier de novembre dernier sur l’influence des laboratoires dans le domaine de la santé.
L’INPES s’est fondu, le 1er mai, dans la nouvelle Agence nationale de santé publique (ANSP), selon l’ordonnance publiée le 15 avril au Journal officiel. L’ANSP regroupe l’INPES, l’Institut national de veille sanitaire (InVS) et l’établissement de préparation aux urgences sanitaires (Eprus).
Karim Mameri, secrétaire général du Conseil national de l’Ordre des infirmiers
« Les Idels sont celles qui se déplacent le plus au domicile des patients et elles ont à ce titre un rôle majeur à jouer en termes d’information du grand public sur les problématiques de santé. La prévention et l’éducation à la santé font d’ailleurs partie du rôle propre de l’infirmière. Mais elles sont insuffisamment utilisées pour transmettre les bonnes informations alors qu’on voit que la population est submergée de différents messages dans lesquels il est parfois difficile de se retrouver. Nous travaillons avec les pouvoirs publics pour que notre rôle dans la prévention soit mieux reconnu. À noter d’ailleurs que, lorsqu’on fait appel à nous, ça marche. En février, l’Autorité de sûreté nucléaire a contacté l’Ordre pour que les Idels relayent une campagne d’incitation à la population vivant à proximité des centrales nucléaires à se réapprovisionner en comprimés d’iode, nécessaires en cas d’accident. Nous avons identifié les Idels concernées et leur avons fait passer le message. »
→ 4 REPÈRES ET 1 POLÉMIQUE
Deux verres maximum par jour pour les femmes, trois pour les hommes… Fin 2015, Vin & société a lancé une « campagne d’information » sur quatre « repères de consommation ». « Les seuils mentionnés (…) sont ceux qui nécessitent de déclencher une intervention médicale, a répliqué la Haute Autorité de santé. Il ne s’agit en aucune façon de dire qu’en-dessous de ces seuils, la consommation serait normale, recommandée ou exempte de risque. » Le lobby du vin, lui, s’est targué d’avoir investi 600 000 euros dans cette publicité, alors que « la France n’alloue que 5 millions par an à la prévention contre l’alcool » (lien : bit.ly/1Qv8vOe).
Une expérience a été réalisée auprès d’un échantillon d’étudiants de l’École de management de Grenoble (Isère). Les participants étaient exposés à des publicités pour un fast food, comprenant ou non un message de prévention du type “manger/bouger”. À l’issue de l’expérience, ils ont été interrogés sur leur intention de mieux s’alimenter et ils recevaient un bon d’achat pour une crème glacée ou des fruits. Le résultat surprenant est que les personnes exposées au message de prévention choisissaient très largement la glace. « Si on présente un produit qui fait plaisir mais qui est moins sain et en même temps une solution, cela diminue la culpabilité », explique la responsable des recherches, Caroline Werle, professeure associée de marketing dans la même école. Autrement dit, l’individu préfère manger la glace tout de suite quitte à se dire, comme le message vient de lui rappeler, qu’il pourra faire du sport plus tard pour compenser. Ces résultats surprenants, qui mériteraient d’être généralisés dans des études plus vastes, rejoignent des études plus anciennes sur la prévention du tabac. Les jeunes sont plus sensibles aux arguments sociaux que sanitaires. Par ailleurs, les messages qui figurent sur les paquets de cigarettes depuis quelques années ont été plutôt bien acceptés par les industriels par rapport aux autres mesures anti-tabac. Comme s’ils avaient l’air de considérer que ces messages ont finalement peu d’efficacité et en même temps les exonèrent de leurs responsabilités. L’arrivée du paquet neutre ne semble pas les laisser autant de marbre…
Les campagnes de prévention sont-elles indispensables ? Oui car, dans un pays démocratique, on doit toujours expliquer aux gens les dangers et les risques. De manière générale, elles permettent de mettre sur la place publique des sujets qui n’étaient pas facilement abordés. Dans le même temps, on sait maintenant que ce sont les facteurs environnementaux qui ont la part la plus importante dans les changements de comportement.
Peut-on évaluer les campagnes de prévention, et de quelle manière ?
On peut mesurer l’exposition des personnes aux campagnes par des sondages notamment. Mais ce n’est pas parce qu’une campagne a été vue que cela génère des changements de comportement. Les effets sont en réalité très modestes. L’autre difficulté est que les campagnes de prévention peuvent accroître les inégalités de santé car la facilité des individus à adopter un comportement conseillé pour la santé suit un gradient socio-culturel.
Dans ce cas vaut-il mieux “cibler” certaines populations ? C’est très compliqué car on prend aussi le risque de stigmatiser un groupe. Mais, depuis plusieurs années, on sait que la meilleure stratégie consiste à cibler tout le monde puis à ajuster les messages en fonction de groupes. C’est ce qu’on voit dans la prévention du VIH. La difficulté est qu’on risque d’en manquer d’autres.
Charlotte Marchandise-Franquet, adjointe à la santé au maire de Rennes (Ille-et-Vilaine) et présidente du Réseau français des villes santé OMS
« Les campagnes de prévention toutes seules en population générale, cela ne marche pas, et cela peut même avoir tendance à accroître les inégalités. Les villes ne sont pas là pour construire des campagnes de prévention. C’est pourquoi nous demandons à ce que les villes soient davantage mises au courant des grandes campagnes nationales pour qu’elles puissent se les approprier et leur donner de la chair. À Rennes, nous avons beaucoup travaillé sur l’équilibre alimentaire, notamment par le biais des ateliers de cuisine dans les quartiers où nous avons des gamins qui n’avaient jamais goûté certains fruits ou légumes. À mon avis, une campagne comme “manger/bouger” n’est pas très utile en soi. En revanche, dans le cadre d’actions de prévention avec une approche de santé communautaire - c’est-à-dire en utilisant des relais dans les quartiers -, les personnes peuvent ensuite faire le lien avec la campagne. C’est pareil quand nous faisons des actions de prévention sur l’alcool. Nous sommes très attachés à construire des campagnes qui ne soient pas hors sol. C’est pourquoi nous invitons des jeunes des missions locales, des facs, des jeunes travailleurs et des apprentis pour qu’ils aident à construire leur propres messages de prévention. »
→ BROCHURES AU CABINET
Les Idels sont destinataires et peuvent commander auprès de l’INPES des supports de prévention pour informer le grand public. www.inpes.sante.fr, rubrique “Espaces professionnels”.