PROJET DE TEXTE > Saisie par le ministère de la Santé, l’Autorité de la concurrence critique plusieurs dispositions du projet de code de déontologie proposé par l’Ordre. Elle recommande d’en assouplir plusieurs dispositions pour permettre aux Idels d’accroître leur activité et faire face à la concurrence.
Rédigé il y a six ans par l’Ordre national infirmier (ONI), le code de déontologie de la profession infirmière n’est toujours pas entré en vigueur. Après des années d’atermoiements, marquées notamment par les difficultés de l’Ordre à asseoir sa légitimité auprès de la profession, des syndicats et des tutelles, le gouvernement a finalement été sommé, en mars 2015, par le Conseil d’État, de publier le texte avant le 31 décembre 2015, sous peine d’une amende de 500 euros par jour de retard. Depuis, le dossier avance : le Haut Conseil des professions paramédicales a ainsi adoubé le projet de code en février dernier, l’Autorité de la concurrence (AC), qui a également son mot à dire sur les dispositions encadrant l’exercice libéral (lire l’encadré), vient, elle, d’émettre un avis défavorable. Et bien que ce dernier, de nature consultative, ne comporte aucune contrainte, le rapport de 28 pages
En préambule, l’AC reproche au projet de code de l’ONI d’avoir « beaucoup trop procédé par reproduction pure et simple des dispositions contenues dans d’autres codes de professions de santé, en retenant souvent les formules les plus restrictives, sinon parfois les plus archaïques, de chacun d’entre eux ». Or, note l’instance, « compte tenu du besoin croissant de soins à domicile lié au vieillissement de la population et au développement des soins ambulatoires, il existe pour les infirmiers libéraux une opportunité pour développer leur activité ». Une critique qui n’étonne, et c’est assez rare pour être souligné, ni les pro- ni les anti-Ordre. Présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil), Annick Touba déplore ainsi une absence totale de concertation avec les syndicats représentatifs. « L’Ordre, dit-elle, gagnerait à ne pas se considérer comme compétent sur tout et à écouter un peu plus l’avis des gens. Il faut un minimum d’échange et de dialogue pour décrypter, analyser et comprendre la réalité de l’exercice libéral en 2016. Ainsi, les syndicats sont bien plus au fait de ce qui se passe sur le terrain, d’autant que nos conseillers juridiques sont quotidiennement confrontés aux questions des libérales, alors que l’Ordre, qui n’existe que depuis quelques années, ne règle que de petits problèmes locaux. » De son côté, Hugues Dechilly, du syndicat anti-Ordre Résilience, se dit « ravi » de la pique de l’AC.
L’AC formule plusieurs recommandations pour desserrer l’étau des contraintes qu’elle décèle dans le projet de code, telles que permettre aux infirmières de communiquer sur leurs spécialités et diplômes et, signe des temps, y compris via Internet. Pour l’AC, outre que ce type d’information « permet au patient d’optimiser son choix », elle constitue aussi « un des rares éléments permettant aux infirmiers de se distinguer dans un secteur où les prix, les actes et l’installation sont entièrement contraints ». Une recommandation qui satisfait Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI), et pour laquelle il avait plaidé auprès de l’AC lorsque les syndicats ont été auditionnés. « Cette restriction était justifiée à une époque où la concurrence n’existait qu’entre libérales ; aujourd’hui, les choses ont évolué puisque la concurrence s’exerce surtout avec des structures qui offrent des prestations qui se substituent aux nôtres », dit-il. Le Sniil est aussi favorable à la mesure. À condition que la formation soit sanctionnée par un diplôme universitaire. S’agissant de la suppression que préconise l’Autorité de l’interdit fait aux infirmiers d’abaisser leurs honoraires au motif « qu’étant quasiment tous conventionnés par la Sécurité sociale, ils sont privés de toute liberté tarifaire », la FNI se dit contre cette évolution ; le Sniil, lui, estime qu’il y a peu de risque que la concurrence soit effrénée, faute d’intérêt à tirer ses tarifs vers le bas, « puisque seule une poignée d’Idels exerce en effet hors convention ».
L’AC préconise aussi l’assouplissement des règles qui entourent l’ouverture d’un cabinet secondaire. Elle souhaite également que soit reformulé l’article qui limite la période de non-concurrence après un remplacement afin de ne pas allonger « de manière illimitée la période de référence pour le calcul de la durée des remplacements ». Dans la même veine, l’AC réclame l’assouplissement de la règle qui interdit aux infirmiers de s’installer dans l’immeuble ou à proximité immédiate du cabinet où exerce un confrère. Elle estime la disposition trop restrictive et recommande d’interdire « seulement l’installation à la même adresse que le cabinet d’un autre infirmier avec lequel il aurait été lié par un contrat d’exercice en commun ». Il est par ailleurs recommandé qu’une Idel puisse travailler avec plusieurs collaboratrices contre une seule actuellement, et que soit favorisé le développement du salariat d’infirmières, mais également des étudiants infirmiers, des aides-soignants, des auxiliaires de puériculture ou encore des aides médico-psychologiques. Dans ce dernier champ, l’Autorité invite « à mener une réflexion sur l’aménagement d’une relation salariale compatible avec l’ensemble des règles de la profession, et notamment son indépendance ». Dans un communiqué publié le 10 mai, Didier Borniche, président de l’Ordre, indique que les recommandations de l’AC seront soigneusement examinées « afin d’envisager d’éventuelles évolutions de notre projet ». Sans doute conscient que la concertation a fait défaut lors de la rédaction du texte, l’ONI a convié les syndicats à une rencontre pour échanger autour de l’avis de l’AC.
Le projet de texte poursuit son chemin et devrait être soumis au Conseil d’État dans les prochaines semaines. Si rien ne s’y oppose, le code pourrait être publié par décret avant l’été.
* À consulter via bit.ly/1TzNEar
L’AC assure le contrôle des pratiques anticoncurrentielles. “Au service du consommateur”, elle a pour mission de veiller au libre jeu de la concurrence et d’apporter son concours au fonctionnement concurrentiel des marchés en Europe et à l’international. Autorité administrative indépendante, elle est composée de dix-sept membres nommés par décret, dont cinq personnalités exerçant ou ayant exercé leurs activités dans le secteur de la production, de la distribution, de l’artisanat, des services ou les professions libérales. Elle doit être consultée lorsqu’un projet de texte législatif ou réglementaire envisage de réglementer les prix ou de restreindre la concurrence. Elle rend alors aux pouvoirs publics un avis motivé, dans lequel elle formule ses observations sur le texte envisagé et propose, le cas échéant, des solutions selon elle plus compatibles avec la concurrence.
Source : Autorité de la concurrence.